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Les causes de l’échec scolaire évaluées par les enseignants

Voici un livre assez atypique parmi tous ceux qui ont trait à l’échec scolaire. Il analyse en effet les résultats d’une enquête indépendante à laquelle 8000 enseignants ont répondu. Elle consiste en 100 questions sur les hypothèses que l’on peut faire pour expliquer l’échec scolaire. Les questions se répartissent en 9 chapitres selon que les hypothèses renvoient plus directement aux enseignants, aux élèves, aux familles, aux établissements, à la politique de l’État, au mode d’évaluation, à la langue, à l’usage des nouvelles technologies, aux conditions sociétales. Pour chaque item, un paragraphe et un graphique montrent la répartition des réponses des enseignants, dont l’auteur propose une courte synthèse. Un des aspects intéressants c’est que pour la plupart des questions le dissensus est plus fréquent que le consensus : sur les 100 hypothèses, seules 11 recueillent une unanimité de réponses supérieure à 90 %.

Auparavant, dans une première partie, l’auteur rappelle brièvement mais avec efficacité l’état des analyses sur l’échec scolaire ; il passe ainsi en revue une quinzaine de causes ou plutôt de domaines de causes que les chercheurs ont étudiés, par exemple la formation des enseignants, l’importance de l’évaluation, la question des effectifs, le rôle du milieu d’origine… L’auteur donne ensuite son point de vue qui invite à la prudence, rappelant que la grande quantité de variables qui déterminent une trajectoire scolaire ne permet pas de se laisser aller à énoncer des causalités simplistes, en tout cas au niveau micro. Au niveau macro, une meilleure connaissance ou prise de conscience de tous ces déterminants de l’échec scolaire pourrait amener à des décisions politiques éloignées des dogmatismes.

Mais cette enquête comportait aussi deux questions ouvertes : « Parmi toutes les causes possibles de l’échec scolaire quelles sont celles que vous considérez les plus importantes ? »  et « Si vous aviez le pouvoir de changer le système éducatif, quelles mesures proposeriez-vous en priorité pour réduire l’échec scolaire ? ». Pour la première, l’auteur remarque les enseignants font de nombreuses réflexions sur le rôle de l’école dans la construction des inégalités, mais au final rejettent sur la famille l’échec de leurs élèves : manque de suivi à la maison, manque d’intérêt des familles etc. On sent bien, dit l’auteur, que leur propre modèle de rapport efficace à la scolarité et à ses contraintes (modèle qu’ils maîtrisent bien pour leurs propres enfants) sert de fondement à leur opinion. Leurs affirmations sur ce qu’il faut faire comme parents pour éviter l’échec s’assortit d’une demande de confiance totale dans l’enseignant dont on ne va pas discuter les méthodes et auquel on remet des enfants bien élevés, prêts à apprendre.

Autre source d’échec scolaire énoncée dans ces réponses, l’indiscipline et le trouble dans les classes, conséquences, entre autres, d’un laxisme des institutions face à des élèves indisciplinés soutenu par leurs parents. Il apparaît ainsi que le cadre protecteur de l’école est fissuré et les enseignants expriment une grande solitude dans leur exercice quotidien : ils donnent l’image d’un métier livré à des déterminismes négatifs sur lesquels ils n’ont pas de prise, et n’évoquent pas de remise en question de leur propre pratique, point aveugle de leurs réponses. Une absence que l’on va retrouver dans les propositions énoncées en réponse à la deuxième question :
peu de mesures innovantes préconisées, très massivement ce sont des mesures techniques qui sont avancées pour améliorer la réussite de tous : baisse des effectifs, remise en question du collège unique, retour à ( ?) la discipline…Il y a, certes, une forte demande de renforcement des aides aux élèves en difficulté, mais l’idée est qu’elles doivent venir en plus ou à côté des heures d’enseignement. Bref, il faut un cadre qui crée de bonnes conditions, et une fois cela acquis, l’élève doit s’adapter – ou alors c’est qu’il n’est pas à sa place.

Même tonalité dans les commentaires libres que les enseignants pouvaient laisser à la fin de l’enquête. L’auteur se dit même surpris par la colère et la souffrance qui s’y expriment, dirigées vers les « décideurs politiques » et les « pédagogues » désignés comme responsables du mauvais fonctionnement de l’école et enclins à nier la réalité de l’école en cassant les thermomètres, par exemple par des pratiques d’évaluation destinées à cacher aux élèves la réalité de leurs insuffisances.

L’auteur se dit étonné de voir la confusion qui fait appeler « pédagogues » certains courtisans bien vus dans les ministères, alors que les vrais chercheurs en pédagogie crient souvent dans le désert. Et il rappelle qu’attribuer les malheurs aux gens d’ « en haut » c’est oublier un peu vite les espaces de liberté, et donc de responsabilité, non négligeables qui existent sur le terrain. Les instructions officielles,  on le sait bien, peuvent être déclinées en modalités de mise en œuvre très différentes sans trahir les objectifs prescrits…Mais rien n’y fait. Dans les propos de ces enseignants le découragement et le désenchantement sont majoritaires. Un phénomène pas entièrement nouveau, mais dont l’ampleur est récente, créant un clivage et une incompréhension avec ceux (minoritaires dans cette enquête) qui continuent à « y croire ». D’ailleurs, se demande l’auteur, comment veut-on que les élèves aient confiance dans le pouvoir d’émancipation de l’école si les enseignants eux-mêmes, en majorité,  n’y croient plus ? Espérons que ce corps de métier retrouve, comme dans un tableau de Pierre Soulages, la lumière qui naît de l’outrenoir…

Florence Castincaud