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Les blagues à PISA, le discours sur l’école d’une institution internationale

Il serait tentant de commencer la lecture de ce « court essai » par la « collection des citations » que les auteurs ont tirée d’une lecture attentive des nombreuses publications relatives aux cinq premières vagues du PISA. Notons que c’est à dessein que les auteurs disent « le PISA » pour désigner l’instance productive du discours tenu par l’OCDE dans l’abondante littérature publiée depuis 1999, pour rendre compte des évaluations conduites dans le cadre du Programme International de Suivi des Acquis des élèves.

Les quelque cinquante pages de cette collection de « blagues à PISA », notamment celles relatives aux constats et recommandations de l’OCDE, évoquent plus des  discussions de café du commerce que la littérature scientifique sur l’éducation :
« Pour être efficace, les systèmes d’éducation doivent pouvoir compter sur du personnel compétent et talentueux, des moyens pédagogiques et des infrastructures adéquats et des élèves motivés et disposés à apprendre.»[[Les citations en italique et entre guillemets, toutes issues de publications de l’OCDE, sont évidemment référencées de façon précise dans l’ouvrage. Les citations sans guillemets proviennent de l’ouvrage.]]« Pour être efficace, un établissement doit savoir allier un personnel doué et motivé, des programmes pertinents, des locaux adaptés et des élèves qui ont envie d’apprendre ».

« Les élèves doivent être engagés, motivés et désireux d’apprendre de nouvelles choses, et doivent avoir le sentiment qu’ils sont capables de réussir […] à défaut de ces dispositions, ils seront incapables de transformer leur potentiel brut en compétences de haut niveau, aussi intelligents et doués soient-ils, quels que soient le professionnalisme des enseignants et les efforts qu’ils déploient dans leur travail, et quel que soit le budget que leur pays alloue à l’éducation. »

À lire ce florilège, répétitif, non exempt de contradictions, et qui comporte des affirmations aussi discutables que « l’intelligence et les aptitudes innées des élèves varient », on ne peut qu’être d’accord avec les auteurs qui soulignent l’arrogance de l’OCDE lorsque qu’elle affirme que PISA est « l’initiative la plus complète et la plus rigoureuse qui ait été entreprise à l’échelle internationale pour évaluer le niveau de compétence des élèves ».

Leur propos, en donnant à lire ces « blagues », n’est pas d’engager une discussion scientifique étayée de références théoriques à propos de la conception de PISA, mais, comme l’indique leur sous-titre, de pointer ce qui leur semble insensé dans le discours que l’OCDE tient, avec l’assurance institutionnelle qui est la sienne, à propos de la conception de PISA et de ses résultats.

Sont ainsi examinés, et illustrées par des « blagues », plusieurs caractéristiques de ce discours, qui constituent autant d’affirmations répétées à l’envi – pour ne pas dire assénées – depuis plus de quinze ans, au fil des publications successives de l’OCDE : PISA évalue aujourd’hui les compétences qui serviront aux élèves de 15 ans dans leur vie ultérieure ! ; il le fait en proposant des exercices authentiques « de la vie réelle » qui se démarquent du contexte scolaire ! Voilà pour la conception. Quant aux résultats, la pauvreté, et l’aspect parfois inquiétant, des admonestations que l’OCDE en tire, au sujet des élèves, des enseignants, des parents, des établissements, sont affligeants : des propos catégoriques (dont les quelques blagues reprises ci-dessus) évoquent souvent des idées qu’on pourrait observer dans n’importe quelle discussion un peu spontanée sur des questions relatives à l’école …  en faisant le choix de ne pas étayer et discuter ces idées avec les acquis de la littérature pédagogique et didactique mondiale.

Chacun donnera le sens qu’il pourra ou voudra à ce discours insensé ; les auteurs ne se prononcent pas explicitement sur ce point, mais ils soulignent que : ce qui est curieux c’est que le PISA… ne se donne pas comme lieu de réflexion sur l’éducation, mais comme réservoir d’évidences non interrogées, qu’il  s’empêche de discuter à l’aide des nombreux outils intellectuels à notre disposition pour cela, notamment l’approche comparative qu’il promeut pourtant. On aurait envie d’ajouter tout ça pour ça !

Ce petit livre qui propose une analyse critique du discours de l’OCDE, bien plus sérieuse que son titre pourrait le laisser penser, devrait inciter les responsables éducatifs et les chercheurs en éducation à  laisser de côté ce discours pour (re)donner à PISA, sa juste place parmi les outils mis à disposition des recherches et du débat et des recherches sur l’école. Car il ne faudrait surtout pas jeter ce qu’une analyse sérieuse des données de PISA peut apporter aux réflexions sur l’éducation avec l’eau des mauvaises blagues de l’OCDE.

Jean-Claude Emin