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Les TPE, vers une autre pédagogie

Attention, la recension de ce livre édité en partenariat entre le CRDP d’Amiens et les Cahiers pédagogiques a été faite en toute dépendance ! L’auteur, Raoul Pantanella, et le préfacier,Philippe Meirieu, ont tous les deux été rédacteurs en chef de notre revue à laquelle ils sont toujours associés. Il serait tout aussi paradoxal de ne pas analyser une production dans laquelle notre mouvement est aussi intimement impliqué qu’inconvenant de ne pas en avertir le lecteur.


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Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les TPE, les grands, les petits, les TICE et les IPR ! La lecture de cette somme consacrée par Raoul Pantanella aux TPE m’a irrésistiblement fait penser à la chanson de Pierre Perret d’autant plus que l’auteur n’hésite pas, conformément à ses bonnes habitudes, à recourir à l’humour le plus ravageur et à appeler à la rescousse Coluche aussi bien que Montaigne ou Rousseau. C’est un exploit de sortir en décembre 2000 un mode d’emploi des Travaux Personnels Encadrés (TPE) alors que l’expérimentation a couru sur l’année 1999-2000, qu’il a fallu les suivre au quotidien, en lire les conclusions officieuses ou officielles et modifier le propos en fonction du changement de ministre. Heureusement, les TPE sont restés ! Longue vie à eux ?

Une fois salué l’exploit, reste à interroger le propos : le sous-titre vers une autre pédagogie laisse entendre qu’il s’agit d’une révolution, minuscule certes, si l’on accepte le qualificatif de Christian Baudelot (p. 15), mais bien réelle. De là, le choix que je discuterai de commencer par un historique sur les TPE dans l’histoire (et la préhistoire) de l’éducation. Sans doute pouvait-on faire plus court et plus condensé pour permettre au lecteur potentiel, professeur de lycée dubitatif devant ce nouvel objet pédagogique non identifié, de trouver le plus rapidement possible des réponses à ses questions. C’est une manie dont on devrait se déprendre que de commencer par l’exposé des attendus de la réforme sachant que la présente réflexion sur les TPE n’a pas d’autre ambition que d’apporter des éléments de réflexion sur la pédagogie qu’il convient de mettre en œuvre et de donner des outils concrets pour qu’elle réussisse (p. 52). Alors, du concret et tout de suite ! Les professeurs de lycée l’auront compris, je leur conseille de commencer leur lecture à la page 77. Les 76 premières pages ne sont pas inutiles mais elles n’éclairent pas directement l’action, ont tout du plaidoyer pro domo et, si elles méritent qu’on y revienne, c’est après que les premières lueurs d’espoir seront apparues sur cette commande institutionnelle paradoxale.

Ce sont les deuxième et troisième tiers de l’ouvrage qui vont permettre une focalisation très précieuse de la démarche : de nouveaux fonctionnements de la classe y sont présentés. Ils s’ajoutent et se combinent aux anciens : le schéma de la page 90 situe clairement le modèle constructiviste avec TPE dans l’environnement pédagogique traditionnel. Délaissant la polémique, dans laquelle il excelle, Raoul Pantanella sait accompagner les enseignants dans une nouvelle façon de faire apprendre par la conduite d’un projet personnel d’un élève ou d’un petit groupe de moins de cinq. Il part de l’analyse du thème, poursuit par la dérivation des sujets à partir des sous-thèmes, passe par la problématisation et la tenue du carnet de bord, va jusqu’à l’évaluation terminale dont il établit la différence de nature avec l’évaluation formative qui caractérise la phase de production. À cette occasion, il ferraille contre les anti-pédagogistes dont le combat d’arrière-garde retarde la prise en compte des TPE dans le Contrôle en Cours de Formation. C’est à juste titre qu’il dénonce leur hypocrisie puisque ces défenseurs de l’égalité républicaine organisent, en toute opacité, sans état d’âme ni contrôle (c’est le cas de le dire), l’entrée dans les classes préparatoires aux grandes écoles (p. 177). Le naturel revient au galop…

Les explications détaillées s’enchaînent et cèdent la place, quand il le faut, à des tableaux dont la robuste simplicité est gage d’efficacité : les différents groupes que l’on peut faire dans la classe (p. 112), un scénario pour une séance d’une heure (p. 114), la charte minimum entre professeurs et professeurs documentalistes (p. 132), les annuaires et moteurs de recherche sur internet (p. 147) – sans oublier d’épingler yahoo. com et son acolyte français – ou encore les cinq fonctions de l’évaluation formative et ses acteurs (p. 161), présentant même des outils de communication avec les parents ou les élèves, tel le triptyque repris à la DESCO (p. 184) et adapté à la situation.

Car c’est une autre qualité du livre de Raoul Pantanella que de s’appuyer sur la mise en œuvre faite dans des lycées d’Amiens, de Brignoles ou de… New York ! Les professeurs qui nous livrent leurs outils et leurs démarches ne sont pas des héros mais ils communiquent volontiers sur ce qu’ils font dans la logique de projet et de réseaux qui forme l’arrière-plan culturel de cette autre pédagogie. Nous en venons à suivre une classe, des groupes, des élèves, et à lire le journal intime apocryphe de Sylvanie Hugon, institutrice amiénoise pendant la Grande Guerre. Merci à Yann et Sophie d’avoir illustré la richesse et la diversité des productions possibles qui peuvent échapper à la platitude programmée du dossier !

Sur le fond, je crois qu’il ne nous faut pas déborder d’optimisme : c’est déjà un petit miracle que les textes soient sortis et que l’opération ait survécu à la déministration. C’est dans chaque lycée que la chose va se jouer, se joue déjà sûrement. La question de l’accès à l’information n’est pas une mince affaire ; pas besoin d’internet, certes ; pas forcé de travailler au CDI, si l’on veutä mais c’est comme mon crétin d’âne à qui je diminuais quotidiennement de moitié son picotin : il s’est avisé de mourir le lendemain du jour où je n’avais plus besoin de le nourrir !
Plus sérieusement, il faudrait décréter autour des carnets de bord (carne née du bord ! p. 215) et des procédures d’évaluation ainsi que de la nouvelle organisation des lycées, une mobilisation massive pour diffuser le type de solutions préconisées dans ce livre car elles font confiance à l’intelligence et à la créativité. Ce serait un contrepoison à l’actuel travail de sape mené grâce à l’inertie de notre système. Il me revient déjà aux oreilles quelques pratiques dignes du boa constrictor (p. 223) : les heures placées dans le service des enseignants et celles qui figurent à l’emploi du temps des élèves ne préservent pas de ce que l’on peut maintenant appeler l’effet module. Il est si simple de faire du vieux avec du neuf et de se répartir les élèves comme les projets pour ne se retrouver que lors des soutenances ! Le carnet de bord se transforme en document administratif servant à contrôler la circulation des élèves et le tour est joué ! Qu’on ne s’y trompe pas, la question essentielle reste en suspens et elle ressemble à une injonction contradictoire : soit les TPE ont un statut alternatif qui leur impose de contribuer à l’obtention du baccalauréat (mais alors ne sont-ils pas dénaturés, ravalés au rang d’épreuves académiques ?), soit ils périssent dans l’indifférence générale au même titre que feu les PAE et autres groupes de niveau matière, carbonisés par l’épuisement de leurs promoteurs. Raoul Pantanella souligne que la consultation sur leur cotation dans l’attribution du bac prévue pour 1999-2000 n’a pas eu lieu. Elle n’est plus à l’ordre du jour. Signe des temps ?

Il est donc urgent que tous les établissements et toutes les équipes fassent l’acquisition de cette prose militante, agréable à lire parce que bien écrite, claire, intelligible et indispensable pour réfléchir comme pour agir à l’occasion d’une énième transformation de notre métier impossible (Freud). Cet afflux de ventes permettrait d’envisager de nouvelles éditions enrichies, notamment d’un index qui m’a manqué lorsque j’ai voulu regrouper tous les éléments qui traitent du carnet de bord ou de la question de l’information et de la communication, voire de corriger les quelques très rares erreurs, comme l’absence d’URL (p. 211) dans la table des sigles, ou enfin d’inciter à la lecture vagabonde par des chemins de lectures signalés en tête d’ouvrage. !

Toujours est-il que cet ouvrage vient au moment opportun et comble une lacune qui faisait des TPE plus une injonction institutionnelle qu’une solution pédagogique à la vague de massification en lycée.

NB : l’ouvrage est disponible sur commande auprès du CRAP, voir catalogue de nos publications dans ce numéro.

Richard Étienne


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