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Les TPE : motivés motivez…

JUIN 2000, la mise en place des TPE au lycée se fait dans la convivialité. Des professeurs, certains que je connaissais à peine, se retrouvent pour former une équipe en 1re économique et sociale. L’idée est de regrouper les deux classes de 1re ES sur le temps des TPE et de proposer le choix le plus large possible de thèmes avec une équipe de huit professeurs : SES, histoire, français, mathématiques, biologie et langues vivantes. Avec la documentaliste nous nous retrouvons pour dîner dans mon jardin et c’est ainsi que l’aventure commence…

À la rentrée le proviseur ne nous donne pas les moyens de travailler à huit, nous limitons l’équipe à cinq. Les langues vivantes n’interviendront pas. Cette première déception passée, nous nous organisons. La première séance plénière avec les cinquante-sept élèves aura lieu en salle polyvalente avant les vacances de la Toussaint.

Ils sont comme nous, ils découvrent. Il va falloir faire des choix, discuter, s’organiser. Nous proposons des thèmes, des documents sont distribués pour présenter les TPE. C’est la première fois que les élèves sont face à plusieurs professeurs, c’est aussi la première fois pour certains qu’ils voient les professeurs hésiter à répondre, dire qu’ils vont se renseigner, qu’ils ne savent pas encore, qu’ils vont « essayer ».

Les groupes s’organisent par affinité, ou par choix de thèmes.

Plus tard les groupes vont travailler à l’élaboration du sujet. « Vous ne pourriez pas vous mettre d’accord, le prof d’histoire vient juste de nous dire le contraire ! » Première découverte : les adultes ne sont pas tous d’accord sur un modèle. Eux aussi se mettent à discuter devant les élèves, échangeant leurs points de vue. Et si une problématique se trouvait soudain différente suivant qu’on l’aborde par une discipline ou une autre ?

« Mais finalement qu’est-ce qu’on doit faire ? » Deuxième découverte : les professeurs peuvent ne pas répondre ! Pour une fois il ne sera pas question d’attendre le corrigé, il n’y aura pas de corrigé.

Certains mettront du temps à le comprendre et chercheront à perdre du temps en se disant que les professeurs finiront bien par craquer et par faire à leur place. Mais non, nous avons bien résisté !

Les cinq professeurs se retrouvent à tourner d’un groupe à l’autre. Nous échangeons des idées, des conseils, nous les aidons à formuler ou reformuler leurs idées. C’est difficile, très difficile. Il nous faut nous retrouver à la fin de la séance pour faire le point :
– « Ceux-là ils rament. »
– « Ils sont sur Internet depuis deux séances pour rien. »
– « Un groupe est parti faire une interview sans avoir préparé des questions, on les laisse se casser le nez ? »
– « Le groupe qui est parti faire une enquête, leur questionnaire ne tient pas la route, on leur dit ou on les laisse essayer ? »
– « Celui-là, je lui ai dit que ça n’allait pas, il n’y a rien à faire, il ne veut pas démordre de son idée. »
– « Il y en a quatre qui n’ont toujours rien fait. »
– « Ils n’ont pas de problématique, comment les aider à y parvenir ? »…

C’est ce moment qui aura été le plus riche en échanges de tous genres, le moment aussi le plus long.

Quand le sujet a été validé, chaque professeur a accompagné le groupe qui l’a demandé. Deux à trois disciplines par groupe ont essayé de se croiser : que ce soit dans la problématique, dans l’outillage ou dans la production. Chaque professeur a appris de l’autre. Chaque élève reconnaît avoir appris des savoirs nouveaux. Mais plus que tout, nous avons tous appris à nous rencontrer, à nous parler, à nous écouter, à essayer de nous comprendre : professeurs, élèves, mais aussi tous les autres.
– Dur de voir des retraités qui ne veulent pas répondre à vos questions.
– Dur de se faire entendre qu’on est trop jeune pour avoir accès à certaines informations.
– Dur les courriers sans réponses, les téléphones raccrochés. Et si le monde extérieur n’était pas finalement plus beau que celui du lycée qu’on ne cesse de critiquer ?
– Dure l’autonomie, et si on avait finalement besoin d’un professeur ?
– L’oral, la présentation devant un jury plus ou moins officiel, intimidant.
– La peur au ventre avant, la fierté de l’avoir fait après.

Les conseils de classes où l’on entend :
– « Mais en TPE, cet élève s’est révélé d’une efficacité qu’on n’aurait pas imaginée. »
– « Lui qui ne dit rien en cours a été très brillant dans son exposé. »
– « Celui-là qu’on ne croyait intéressé à rien, il a passé des heures à faire son dossier. »

Dans le bus on entend aussi :
– « On a interviewé les parents de la prof de math ; qu’est-ce qu’ils ont vécu pendant la guerre ! »
– « Le prof de SES, sa femme a accouché pendant les TPE, faudra qu’on lui achète un cadeau. »
– « Le prof d’histoire je l’ai pas en cours mais il me connaît bien. »
– « Elle est pas pareille en cours qu’en TPE, au moins on peut discuter. »
– « Maintenant j’ai compris à quoi ça sert les statistiques ! »…

Et dans la salle des profs :
– « Je n’aurais jamais imaginé pouvoir travailler avec cette collègue, mais maintenant je ne souhaite qu’une chose c’est qu’on recommence l’an prochain. »
– « Je t’ai entendu parler de coût marginal en TPE, si tu veux, je peux faire une activité informatique là-dessus pour la semaine prochaine. »
– « Mais si, je te dis qu’il y a une aide éducatrice qui peut les aider avec le traitement de texte. »
– « Il faudrait que tu m’aides parce qu’en biologie moi je ne connais rien ! »…

Mais il y a aussi des bilans plus négatifs, le travail d’équipe en lycée n’est pas si facile. Chacun doit laisser l’autre s’exprimer, accepter que tout le monde ne soit pas rendu au même stade de sa réflexion. Les heures de concertation sont finalement les plus douloureuses entre les discours, les actes, les intentions, les jugements. Dur de se dire qu’on a échoué, dur d’apprendre de l’autre, dur de changer sa pratique.

Tous étaient prêts à remettre cela, certains élèves avaient même envie de continuer leur sujet, d’autres étaient affolés rien qu’à l’idée de passer le bac en même temps mais tiraient des leçons de cette première expérience : et voilà que les TPE perdent leur place en terminale, pour devenir une option ! Pour la première fois un travail scolaire se voyait évalué autrement que par une note et voilà que le TPE n’est plus que cela, une note et même pire puisque ne compteront que les points au-dessus de 10.

Comment nos élèves pourront-ils réinvestir ce qu’ils auront appris cette année ? Comment l’équipe survivra-t-elle à cette période de doute ? Ce petit espace de liberté, on venait juste de l’apprivoiser, on y a laissé du temps, de soi, on commençait à imaginer les répercussions dans nos cours, à ouvrir les portes des salles, du CDI, les grilles du lycée. Il faut le laisser grandir, mûrir, s’enrichir des expériences, lui donner une chance de changer notre institution.

Essayez, vous verrez !

Sylvie Grau, Lycée Monge, Nantes.