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Elle voulait devenir professeure des écoles mais les stages suivis pendant son parcours universitaire dans la filière STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) lui donnent envie de passer le concours d’enseignante en éducation physique et sportive, qu’elle réussit du premier coup. Elle est stagiaire dans un lycée de Montpellier puis, après sa titularisation, remplaçante pendant trois ans en Seine-Saint-Denis. Lorsqu’elle apprend sa nomination en poste au collège Robert Doisneau, classé en éducation prioritaire renforcé à Clichy sous Bois, elle est, dit-elle, désespérée. « J’avais peur de ne pas être à la hauteur, je craignais un peu les élèves ». Elle s’y est plu et y est même restée après avoir obtenu l’agrégation qui lui aurait permis de partir pour enseigner ailleurs, sans être perdante sur son avancement de carrière. Elle a perçu rapidement le lien entre le sport et la citoyenneté, le rôle qu’elle pouvait jouer pour tisser les fils entre les deux, en faisant de son enseignement une discipline ouverte vers le monde et vers l’avenir.

Prendre goût à l’effort

Elle le fait avec le support de deux projets ambitieux. Le premier, la classe sportive citoyenne, s’organise autour d’un permis basé sur un barème positif. « Nos collégiens issus à 71 % de catégories socio-professionnelles défavorisées ont les difficultés habituelles de ce type de public : retards, mauvais résultats scolaires, désintérêt et ennui, manque d’estime de soi et de confiance en l’institution, pour un grand nombre. Mais aussi des codes et une culture souvent inadéquats avec les attendus scolaires. » L’idée est alors d’enclencher une persévérance scolaire et la volonté de faire des efforts à long terme, avec à la clé des activités culturelles motivantes. Des valeurs du sport sont mobilisées comme l’entraide, la solidarité, l’amitié, le respect des règles, de soi, des autres et de l’environnement, valorisées dans l’ensemble des disciplines par une mutualisation au sein de l’équipe pédagogique. Le permis est composé d’items rouges ou verts, selon leur tonalité négative ou positive, définis collectivement en début d’année mais qui peuvent évoluer et s’adapter à la classe. Le barème est inclus dans le carnet de correspondance et tous les enseignants détiennent la grille du permis lors des cours.

Chaque élève se voit attribuer en début de trimestre vingt-quatre points, le minimum requis pour accéder aux récompenses. « En tant que professeure principale et coordinatrice du projet, je regroupe les bilans hebdomadaires. En fin de semaine l’équipe enseignante renseigne individuellement les points des élèves sur un document partagé en ligne. Cela prend environ cinq minutes par professeur et permet d’avoir des bilans pour chaque discipline et élève. Nous sommes tous au courant de ce qui se passe dans la classe, nous prenons les décisions et agissons ensemble. » Les récompenses sont des activités culturelles organisées par l’établissement. Elles sont annoncées à l’avance et réservées aux collégiens intégrés au projet dont le bilan des items verts est dominant. Les autres suivent les cours prévus mais avec un contenu et un accompagnement adaptés favorisés par le faible effectif. « Nos apprenants sont habitués aux sanctions dues à de mauvais comportements, mais ils le sont moins à se battre pour gagner des privilèges. » Certains élèves adoptent au départ des bonnes attitudes en surface, pour obtenir des points. L’idée est alors de les amener à progresser en prenant goût aux efforts. Cela passe par le respect, l’entraide, la persévérance, et pour les enseignants de miser sur le temps. Le permis citoyen a aussi des effets positifs sur l’équipe pédagogique. « Il donne plus de sens et de poids au travail collectif, tout en responsabilisant les élèves qui sont impliqués dans un outil élaboré avec eux ».

Produire des reportages sportifs

Le second projet « Reporters sportifs » est basé sur le volontariat et mise sur le développement de capacités en expression et en communication. L’attrait de la culture sportive amène les élèves à s’investir dans le milieu associatif et d’une façon un peu détournée à travailler sur l’écriture et l’oralisation. Ceux qui sont peu sportifs se familiarisent avec cette culture et ont parfois envie de prolonger cette découverte dans une pratique sportive. Des ateliers sont organisés pour se former aux différents rôles : cadreur, interviewer, créateur de la voix off à l’écrit et l’oral, journaliste plateau ou sur les évènements, technicien et plus tard monteur. La première année est axée sur la familiarisation avec les techniques de base pour que chacun trouve le rôle qui lui convient le mieux et se spécialise les années suivantes. « Nous gardons en tête qu’il s’agit d’une “génération 2024” qui aura la possibilité de travailler sur les jeux olympiques de 2024 organisés à Paris. » Un partenariat avec l’UNSS (Union nationale du sport scolaire) permet de couvrir de nombreux évènements. Les reportages sont mis en ligne sur une page Facebook.

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Jeunes reporters

Le projet est mené depuis trois ans avec des tâtonnements. « La première année, les articles étaient écrits mais ce n’était pas très motivant, d’où l’idée de passer à la vidéo, ce qui n’a pas été évident. Cette année, je m’y prends différemment ». Elle a construit un livret avec des fiches méthodologiques pour chaque rôle travaillé, des fiches d’exercices et d’exemples. Une partie du contenu est élaboré avec les collégiens, notamment une banque de questions pour les interviews. Elle leur donne un maximum de clés pour que le travail soit plus efficace. L’enseignante constate que parfois des élèves qui ne souhaitent pas aller dans le dispositif « devoirs faits » participent à l’atelier alors que les exigences en expression orale et écrite sont très fortes. « Je me retrouve avec des élèves inclus dans un projet qui donne du sens, qui donne envie de se battre. Notre meilleur interviewer est porteur d’un handicap amenant des troubles de déficit de l’attention ». Un système de tutorat est instauré favorisant l’entraide et le partage des compétences. Elle voit les progrès en oralisation, en concentration, regarde les élèves évoluer, réinvestir ce qu’ils apprennent dans leur travail scolaire. Elle s’est formée en autodidacte sur les techniques du journalisme sportif, du cadrage et montage vidéo et toutes les techniques qu’elle partage à son tour au sein de l’atelier.

Pendant le confinement, ça continue

La perspective de suivre une même classe pendant quatre ans lie les deux projets mais pas seulement. L’objectif de développer des compétences citoyennes et la pédagogie mise en œuvre sont communes en s’échappant de ce qui peut être perçu comme un carcan scolaire pour prendre confiance en soi, en les autres, acquérir de la persévérance et adopter les règles d’un fonctionnement collectif. Brenda Di Crescenzo se sert de ces expériences pour assurer ses cours pendant le confinement. « Le projet reporter se déroule déjà en classe inversée car une à deux heures d’atelier par semaine ne serait pas suffisantes. Les élèves ont pris l’habitude. » Elle construit des supports vidéos mis en ligne sur la chaîne YouTube « Doisneau Sport TV » complétés par des questionnaires en ligne, propose des séances d’EPS à la maison sur le « hunger games training » ou le jonglage. Elle prévoit aussi des défis physiques quotidiens pour inciter les élèves à bouger.

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En tant que modératrice du groupe EPS Mania, elle participe à la création d’un flashmob par les professeurs d’EPS français au niveau international en réalisant le montage vidéo et le tutoriel. Elle y échange beaucoup avec près de 7000 autres enseignants EPS pour donner et trouver des idées y compris dans d’autres pays, d’autres contextes d’enseignement. « Il faut être créatif en ce moment. J’ai toujours aimé créer, expérimenter, innover, et je tiens à partir de la culture sportive pour l’élargir afin qu’un maximum d’élèves y aient accès. » Elle forme des enseignants de primaire en danse, course d’orientation ou en escalade, travaille aussi avec eux pour développer des activités interdisciplinaires et parfois en inter-degrés autour de la création d’un film commun.

Elle perçoit son métier comme présentant une diversité appréciable et des contacts privilégiés avec les élèves, dans le cadre de ses projets et dans des moments informels comme lors des trajets pour aller dans les infrastructures sportives. Tisser des relations de confiance lui semble essentiel pour aider les collégiens à se construire en tant que citoyens. « J’ai eu la chance d’être confrontée tôt dans ma formation à des publics différents, lors de ma licence STAPS dans une école primaire, puis dans le secondaire. Cela permet de voir des réalités différentes, d’élargir les solutions ». En période de confinement, ou par temps ordinaire, elle glisse la clé du sport dans la main de jeunes en devenir pour ouvrir des fenêtres insoupçonnées sur l’avenir.

Monique Royer

La page Facebook des reporters sportifs du collège Robert Doisneau-Sport-TV-la-chaine-des-reporters-de-lAs-Robert-Doisneau

La chaîne Youtube Doisneau Sport TV


Photographies : Brenda Di Crescenzo