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Le plaisir au rendez-vous ?

Lorsqu’on évoque l’enseignement de la musique à l’école, quelques images viennent encore spontanément à l’esprit, qui méritent d’être sérieusement dépoussiérées : professeur isolé, impuissant à transmettre une culture savante éloignée des préoccupations des élèves. Les pages qui suivent permettront, nous l’espérons, de montrer une autre réalité : beaucoup d’enthousiasme, beaucoup d’imagination, beaucoup de réussites exemplaires, sinon quotidiennes, beaucoup de questions aussi qui en sont le moteur.

De fait, l’enseignant des disciplines artistiques est à la fois artiste et enseignant ; il doit toujours prouver quelque chose pour avoir la reconnaissance de la société et se faire une place dans un établissement d’éducation, particulièrement en musique, et pas seulement dans l’Éducation nationale

Au collège, le professeur d’éducation musicale est normalement paré de tous les attributs qui font de lui un professeur à part entière. Il doit donc se comporter comme un professeur ordinaire, enseignant une discipline extraordinaire, qui reste dans bien des cas secondaire, puisque son horaire est réduit à la portion congrue de l’heure hebdomadaire et que sa reconnaissance institutionnelle est la note du contrôle continu du brevet.

Enseigner la musique « obligatoire » n’est pas facile, mais en réfléchissant bien, les difficultés ne sont pas forcément là où on les attend. Les programmes sont-ils désuets ? Le fossé culturel entre les générations et les milieux sociaux est-il infranchissable ? Le décalage entre la formation d’origine du professeur et la réalité est-il plus grand que dans d’autres disciplines ? Les articles de ce numéro tendent tous à prouver le contraire.

Les programmes ont beaucoup évolué, laissant une large marge d’initiative aux enseignants, qui leur permet de s’adapter autant qu’il le faut à la culture musicale des élèves d’aujourd’hui. Si l’objectif reste de les faire accéder aux chefs-d’œuvre du patrimoine, tous les chemins sont possibles : reste bien sûr à savoir s’emparer de cette autonomie, ce qui ne s’improvise pas.

Le fossé culturel devrait donc pouvoir se réduire. Quelques expériences relatées dans ce numéro ont ouvert la voie. Pourtant il ne suffit pas de la liberté pédagogique et de la bonne volonté pour y parvenir. Enseigner les musiques actuelles, c’est-à-dire enseigner aux « jeunes » leur propre musique, se révèle à l’usage un enjeu éducatif plein de contradictions.

L’isolement du professeur d’éducation musicale ? Bien sûr il est souvent seul de son espèce dans son établissement – dans le meilleur des cas, il a une fraction de collègue qui, lui, est « à cheval » sur deux établissements. Mais toutes les collaborations, tous les partenariats lui tendent les bras : transversalité, interdisciplinarité, contrats locaux d’éducation artistique, ateliers de pratique artistique, classes à projet, classes à horaires aménagés, regroupements départementaux. Autant de possibilités, venues du terrain ou impulsées par les deux ministères – de l’Éducation et de la Culture – qui lui permettent de travailler « en équipe », au prix certes de beaucoup d’énergie.

Le décalage entre la formation et la réalité de la classe ? Les études qui mènent à l’enseignement scolaire, au sein de l’université et des IUFM, sont tout à fait comparables aux autres disciplines, et les sciences de l’éducation n’y sont pas absentes. Des progrès restent sans doute à faire, que les enseignants réclament et dont se préoccupe le ministère, mais les questions sont en majeure partie communes à tous les enseignants.

Pourtant le malaise existe et il faudrait en trouver les racines.

Une réflexion est ouverte dans ces pages sur la pertinence de l’âge auquel s’adresse l’enseignement « de masse » de la musique, c’est-à-dire le collège. L’adolescence n’est, tout simplement, peut-être pas le bon moment pour que les élèves accèdent à une pratique et à une culture musicales nouvelles pour eux.

Faut-il dès lors, faire porter l’espoir vers l’école élémentaire ? Les ministres de l’Éducation et de la Culture viennent d’annoncer un plan ambitieux pour le développement des arts et de la culture à l’école, qui prend largement en compte ce questionnement. Commencer plus tôt, travailler davantage en partenariat avec les musiciens professionnels et les institutions culturelles, améliorer la formation initiale et continue des enseignants, voici trois pistes qui semblent fécondes.

Il n’en reste pas moins, à l’analyse, que la musique n’est pas une discipline tout à fait comme les autres, car elle ne peut pas être enseignée si le plaisir n’est pas au rendez-vous. Enseigner la joie à l’école, comme nous y invite le premier article de ce dossier, tel est bien le défi à relever et pour lequel les artistes-enseignants méritent une plus ample reconnaissance.

Michèle Villatte, directrice du centre musical d’Etouvie à Amiens.
Noëlle Villatte, principale de collège à Gennevilliers.
Remerciements à Martine Vidal, professeur d’éducation musicale à Narbonne, pour sa contribution et ses conseils.