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SOS Éducation est une association « apolitique », mais ses chevaux de bataille sont très politiques ; à droite comme à gauche, on trouve d’étranges convergences sur les thèmes qu’elle ressasse ad nauseam, rétablissement de la méthode syllabique et de l’examen d’entrée en 6e, notamment. Elle a lancé au mois de janvier une nième pétition. Rien de nouveau, sauf le titre : « le plaisir d’enseigner ». Un prof d’histoire-géo en collège demande des classes homogènes, et qu’on le débarrasse des élèves « qui ne veulent pas être là, qui nous méprisent, et dont les parents n’assurent pas le strict minimum indispensable de l’éducation à la maison » afin de retrouver le bonheur dans l’exercice de son métier. Cette revendication interroge tous les pédagogues, qui, à l’exception de Bernard Defrance, parlent bien peu du plaisir qu’ils éprouvent, ou pas, lorsqu’ils sont en classe.
Le plaisir est essentiel. Ce n’est pas l’affirmation d’un libertin égaré. Tout autre professionnel qu’un enseignant dispose, pour réguler son action, d’indicateurs : il a produit tant, ses services sont payés à tel prix… Ses collègues lui permettent de relativiser ses succès, qui sont le fait d’une équipe, et ses échecs, puisque tout le monde se trompe et que l’erreur est normale. L’enseignant est seul, et quoi qu’il fasse, il fait mal. Il peut faire le cours le plus pertinent du monde, il y aura toujours une « tête blonde » pour regarder par la fenêtre, il a la meilleure pédagogie imaginable, il devra toujours constater qu’il n’a pas fait passer telle donnée scientifique… Et personne pour lui dire que l’échec est la norme. Tous les lecteurs des Cahiers sont des enseignants consciencieux, ils ont mis en courbes les évolutions et les profils sociocognitifs de chacun de leurs élèves, et ils peuvent relativiser leurs résultats en renseignant leurs bases de données, mais ça ne se fait pas à chaud !
En classe, le seul principe régulateur de l’enseignant est son plaisir. Ou son déplaisir. Vingt-cinq ans après avoir quitté le métier, je me souviens encore des très rares fois où ma classe unanime s’est exclamée « déjà ! » à la fin d’un cours de grammaire. J’ai oublié toutes les heures où « ça » ne passait pas. Je ne parle pas des classes « de transition », où il est arrivé que tout aille bien, mais où je suis entré plus souvent « à reculons » qu’avec un franc enthousiasme. Je pense à de très gentils élèves de 4e, qui me faisaient comprendre en douceur que les tourments du Cid n’étaient pas le premier de leurs soucis. Sentir que « ça marche » provoque un bonheur difficilement compréhensible à qui n’a jamais enseigné. À l’inverse, l’échec, qui se lit immédiatement dans les regards et les attitudes, provoque une terrible souffrance, puisque c’est l’estime de soi qui est mise à mal.
Le plaisir est essentiel, mais les syndicats n’osent pas le revendiquer. Comment dire à son ministre, ou à l’opinion publique qu’on enseigne pour son plaisir personnel ? Et pourtant, il ne peut pas en être autrement, puisque lui seul signifie la réussite professionnelle. Les pédagogues ont mis « l’élève au centre », pas leur plaisir. Les « sciences de l’éducation » ont choisi d’insister sur leur caractère scientifique, objectivant, et ont semblé oublier que l’enseignement était d’abord une affaire de subjectivités, au pluriel, celle de l’enseignant et celles des apprenants, qui se répondent et forment un réseau de non-dits et d’impensés inextricable et nécessaire. SOS Éducation a le mérite de mettre le doigt où ça fait du bien.