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Le français aujourd’hui. Lecture de récits en maternelle

La lecture de récits aux élèves de maternelle est aussi vieille que la maternelle elle-même, ce sont les objectifs qui ont changé : liée d’abord à l’éducation morale (secondairement à l’accroissement du vocabulaire) dans les IO de juillet 1882, passant par diverses étapes que rappelle M.F. Bishop dans un article sur l’histoire de ce genre professionnel, elle doit désormais construire une première culture littéraire. Les élèves doivent apprendre à comprendre les textes et intégrer dans stratégies pour ce faire. Le but est de les préparer à comprendre plus tard les textes qu’ils liront seuls : c’est un enjeu de justice sociale — plusieurs auteurs insistent sur l’idée que la maternelle doit donner à tous les élèves ce que certains trouvent dans leur famille, tendre à réduire les écarts liés aux milieux sociaux, ou au moins ne pas les aggraver. Ces nouveaux objectifs ont entraîné, depuis une quinzaine d’années, une explosion des recherches et ce numéro rend compte des principaux acquis.

Il est consacré à la didactique et s’appuie sur des travaux en psychologie : plusieurs auteurs situent explicitement leur réflexion par rapport à ces travaux. C’est le cas de E/ Canut et M. Vertalier, qui se demandent « ce que les élèves comprennent de ce qu’on leur lit » : on sait maintenant que même un texte simple, qui paraît « transparent » à l’adulte, l’est rarement pour les élèves, que l’illustration n’est pas perçue par les jeunes enfants comme par des élèves plus âgés — sans même parler des albums contemporains qui jouent souvent sur le décalage ou la complémentarité entre texte et image, évitant la redondance, posant des problèmes supplémentaires d’interprétation. Cela pose donc le problème du choix des livres en fonction des objectifs et conduit à s’interroger sur les médiations à proposer par le maître.

Pour Mireille Brigaudiot, il est nécessaire d’abandonner les questions fermées visant à évaluer la compréhension, pratique trop souvent confondue avec une aide à la compréhension, car elle ne favorise que les élèves qui ont acquis en famille des habitudes langagières scolaires et des connaissances du monde. Plusieurs articles font des propositions : Véronique Bourhis étudie dans une TPS le rôle du paraverbal, de la « mise en scène affective » visant à orienter la compréhension, surtout en aidant l’élève dans l’attribution d’états mentaux aux personnages, Véronique Boiron s’intéresse au type d’échanges langagiers utiles aux plus jeunes élèves. Elle s’appuie sur une recherche-action collaborative qui a conduit des maîtresses à modifier leurs pratiques (on ne peut que regretter que l’article soit très silencieux sur les nouvelles pratiques mises en œuvre, son propos étant de montrer comment les enfants comprennent un texte et ce qui peut les gêner).

Outre ces échanges suivant chaque lecture de texte, un entraînement plus systématique peut être mis en place : S. Terwagne propose un dispositif utilisant la médiation de marionnettes pour apprendre aux élèves à poser et se poser eux-mêmes des questions sur les textes (motivations des personnages, analogies avec le vécu et avec d’autres livres, réactions personnelles). R. Goigoux et S. Cèbe présentent un outil en cours d’élaboration avec des enseignants : cet outil, Capisco, vise à exerces les diverses compétences et stratégies nécessaires pour comprendre un texte. Mireille Brigaudiot ajoute quelques suggestions dans son article de relecture critique du dossier.

Les auteurs ont en commun la référence à Vygotsky ; tous aussi accordent une grande importance à la « théorie de l’esprit » chez l’élève (un apport récent de la recherche : pour comprendre un récit, il faut pouvoir se mettre à la place d’autrui) et bien sûr, tous pensent que comprendre un texte, loin d’être une activité immédiate, s’apprend et s’enseigne. Ils divergent quant à l’intérêt de mettre en place cet enseignement avec ou sans activités métacognitives formelles (Terwagne, Goigoux, Cèbe vs les autres contributions), peut-être parce que les uns s’intéressent plutôt aux MS/GS et les autres aux TPS/PS, du moins dans le cadre de cette livraison du Français Aujourd’hui et ils divergent aussi quant au format à privilégier : atelier ou groupe-classe. Tous se rejoignent sur la nécessité d’une formation des maîtres à ces questions, compte tenu des avancées des connaissances sur le développement cognitif du jeune enfant et de celles de la didactique en matière de compréhension des textes. Comme le dit E. Collin, « comment penser l’évolution des pratiques sans un appui fort sur la formation continue ? »

Élisabeth Bussienne