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Le diagnostic, outil d’analyse et de pilotage

I- Le diagnostic, procédure d’analyse d’un ensemble complexe d’interactions

Rasmussen (1986) replace le diagnostic en tant que concept, dans la lignée de la médecine et de la technique. Si la psychologie cognitive, et notamment l’ergonomie, utilise le terme, c’est pour décrire une activité de compréhension, inscrite dans deux temps différents : recensement d’indices révélateurs d’un état, sélection et construction puis organisation des indicateurs pertinents orientant l’auteur du diagnostic vers une action.
Procédure d’analyse, le diagnostic organise un ensemble d’éléments disjoints et le transforme en une structure significative. Pour cela, il ne suffit pas simplement de discerner et de mettre en évidence des indices, il faut les relier entre eux selon deux principes majeurs :
a) cohérence des indices repérés … pour construire des  » données  » signifiantes et significatives (qui ont du sens pour autrui, échappent à la seule interprétation subjective, pour accéder à un sens partageable, voire même mesurable),
b) pertinence de la sélection opérée, non seulement dans une logique intrinsèque, interne, mais aussi en fonction d’une action à venir. Les indices évoluent ainsi vers un statut d’indicateurs (de la trace au poteau indicateur… tout est utile pour marquer un cheminement ou un chemin).

Dans cette première partie, j’aborderai essentiellement ce qui donne cohérence à l’analyse, à la lecture de situations et de pratiques.
Je partirai de deux des grands domaines d’activité qui sont ceux des personnels de direction, et plus largement de tous les personnels d’encadrement :
A) définir la politique éducative d’un l’EPLE en y associant l’ensemble des membres de la communauté (pour assurer cohérence et cohésion des actions à mener)
Ce premier axe d’observation et d’interrogation interfère avec les modalités de la communication au sein d’une micro-société scolaire.
Quels indices peuvent ainsi être relevés ?
Existence d’un classeur en salles de profs rassemblant les textes officiels parus au fur et à mesure de leur publication, compte-rendus écrits des différents travaux préparatoires au CA, diffusion du Règlement intérieur, ordres du jour et relevés de conclusions des réunions de l’équipe de direction, existence d’un journal de l’EPLE…
À travers ces différents indices, comment construire une série d’indicateurs ?
– Le journal de l’EPLE existe… mais il est porté à bout de bras par un prof qui s’essouffle, ou par le seul adjoint qui a bientôt l’intention de muter (quelle fréquence de parution, quelles contributions, combien, de la part de qui ? ?)
– Les réunions de l’équipe de direction sont informelles et le nouveau CPE a tendance à ne jamais être disponible au moment où elle se sont programmées (quel taux d’absentéisme des élèves, quelle participation des parents aux journées portes ouvertes, combien d’élèves délégués , quelle rotation entre élèves pour devenir délégué de classe, quelle valorisation de l’engagement ?)
– Le règlement intérieur a été remanié en 2000 par une minorité d’acteurs mais le gestionnaire, les Attoss, sont encore mal informés des procédures de punition, ou de leur rôle éducatif (combien d’Attoss , combien de profs siègent au CESC, quels crédits, pour quelles actions ?)
En revanche, le tout récent Conseil Pédagogique, la Commission permanente et le classeur d’informations administratives jouent très bien leur rôle de diffusion d’orientations et de préparation de décisions ( nombre de décisions prises à l’unanimité en CA, de coordonnateurs de niveaux, de PP volontaires chaque année…)

B- Le deuxième axe de la réflexion sur les pratiques professionnelles de pilotage des cadres vise à définir une politique pédagogique au service de la réussite de tous les élèves (continuité et différenciation dans le cadre d’un travail concerté entre enseignants)

C’est un domaine fondamental de pilotage, en pleine évolution institutionnelle où l’action d’un chef d’établissement doit être reconnue, soutenue, évaluée donc lisible. Où l’action complémentaire de tous les personnels (inspecteurs, direction, enseignants) doit porter sur la qualité exigeante et ouverte des enseignements dûs à tous les élèves.

Quels indices du pilotage pédagogique à assurer dans un établissement ?
1- Quelle articulation – autre que ponctuelle- entre la confection des emplois du temps et la politique pédagogique de l’EPLE ? Comment faciliter les temps de concertation, rendre effectives les heures de vie de classe, soutenir la diversification des pratiques pédagogiques au service des élèves : PPRE, et ATP au collège, aides individualisées ou TPE pour toutes les classes de lycée afin de permettre un véritable choix pour le Baccalauréat puis post-bac… demi-groupes pertinents, justifiés ?, tableau électronique,  » créneaux  » de salles informatiques vraiment répartis entre toutes les disciplines ? CDI, lieu fonctionnel, et ouvert, y compris en soirée pour les internes, documentaliste impliqué(e) dans les projets pédagogiques ?
Tous ces indices peuvent être quantifiés, mesurés, vérifiés.. la globalisation de la DGH autorise et implique des choix – y compris de prévoir un poste de plus de prof-doc certifié (et non d’un CES !) si la mise en place de l’ECJS, des PPCP ou des TPE le rendent nécessaire. L’ application des textes relatifs à la LOLF implique aussi une réflexion de fond sur les résultats pédagogiques, attendus puis obtenus, d’organisations et de choix où le budget tiendra une large place – sur fond d’indicateurs de résultats dûment présentés, débattus, analysés). La conception d’une évaluation critériée, à ne pas confondre avec notation et conytrôle s’impose donc à tous les acteurs du jeu pédagogique…
De ce fait, d’autres entrées s’ouvrent à l’effort d’évaluation que les chefs d’établissement ont à conduire au sein de l’EPLE pour étayer leur diagnostic :
2- Quelle gestion des conseils de classe ? (indices/indicateurs)
3-Quelle construction de parcours d’orientations tout au long de la scolarité ?
4-Quelle carte de formations ( à réfléchir en réseau au sein de du bassin, du secteur, du département, de la région) ?
5-Quelle place, quel recrutement, quels itinéraires pour les élèves de SEGPA ? quel devenir ?
Ce ne sont là que des exemples, parmi d’autres, d’entrées pour l’ analyse liée au diagnostic.

Cette analyse portera, de façon privilégiée sur le projet d’établissement, sur son rôle de mise en cohérence des actions et des décisions ; est-il réel ou fictif (de surface et d’apparence) ou au contraire, enraciné dans les pratiques de classe – le temps et l’espace, les relations au sein de l’EPLE en révèlent-ils l’impact réel ?
L’organisation pédagogique de l’établissement traduit-elle la contribution d’un service public à l’intérêt général, ou masque -t-elle (difficilement) des tensions ( ignorées, niées, entretenues) entre plusieurs sous-systèmes : élèves, ATOS, personnels de surveillance et d’éducation, personnels enseignants – (avec les cultures diverses dont ils sont porteurs), – personnels de direction, familles, collectivités locales ?

II- Le diagnostic, étape dans un processus de changement

Le deuxième partie de notre travail d’élaboration portera davantage sur la notion de pertinence des indices classés et hiérarchisés , au regard d’un projet de changement.
Trois ans sont fixés pour la validité d’une mise en œuvre des lettres de mission des personnels d’encadrement -inspecteurs et chefs d’établissement. C’est aussi l’empan de planification d’un projet d’établissement. C’est une durée brève dès lors qu’on tente de modifier en profondeur des pratiques professionnelles, des représentations, des relations. Il convient donc d’être à la fois modeste et ambitieux dans la définition des axes de progrès : ils doivent être possibles à atteindre, mais définir un réel horizon d’attentes, d’exigence, et contribuer à l’amélioration significative de la situation… vue de divers points ( jeunes, élèves, adultes, enseignants, encadrement, familles…).
La pertinence des outils et décisions permettra d’enclencher un réel processus de changement dans les domaines suivants :
a) efficacité des dispositifs d’éducation, d’enseignement et d’apprentissage (résultats, performances mesurables, approche différentielle dans le temps et l’espace), appréciable grâce aux données de l’intranet et aux feuilles de synthèse éditées par EPLE,
b) efficience des procédures de gestion du changement (rapport d’ajustement a vérifier entre moyens mis en œuvre et fiabilité des évolutions envisagées), grâce aux tableaux de bord, feuilles de suivi de cohortes, évaluations de masse ou ponctuelles…,
c) qualité des processus de modification de pratiques au sein de l’EPLE :observation et description outillée des indices liés à l’image de l’établissement (ce qu’on en dit, ce qu’on en vit du dedans comme du dehors), la communication interne et externe, le professionnalisme éducatif et pédagogique de tous les acteurs, la gestion des ressources humaines (évolution des relations systémiques, avec familles et élus, formations et carrières des enseignants, contributions des élèves dans les instances participatives) à définir en regards croisés et analyse différentielle avec les corps d’inspection, et les partenaires institués. Le recours à des moments d’audits, externes ou participatifs, a démontré l’action fédératrice de ces croisements de perspective.
Trois logiques au moins sont donc à compatibiliser dans le processus de changement :
– logique des personnes (motivation, itinéraires et expériences, rôles nouveaux à assumer dans le changement).. le concept d’intelligence collective mérite d’être attentivement réflechi en contexte,
– logique des fonctions (refus de l’instrumentation d’autrui, le changement comme démarche partagée et négociée plus que comme acte de pouvoir),
– logique de l’institution (dynamique « bottom/up » du changement, approche intégrative du local en référence au global).

III- L’évaluation comme élément du pilotage

Il est utile enfin de re-situer cette opération d’évaluation des personnels d’encadrement (chefs d’établissement et inspecteurs) dans le contexte contemporain où le pilotage est devenu une nécessité institutionnelle, un savoir-faire professionnel à développer.
Une enquête de l’IGAEN évoque  » des services déconcentrés trop dirigés… et insuffisamment pilotés « …notant que la notion même de pilotage n’est pas encore vraiment passée dans les usages, et n’a pas irrigué encore, comme une culture partagée, tous les personnels qu’elle concerne.
Il semble utile de rappeler que le pilotage s’appuie sur une multitude de micro-décisions : le rôle d’un chef d’établissement est d’assumer la conduite de l’EPLE à la fois dans les dimensions les plus quotidiennes, et dans celles, plus stratégiques, d’anticipation sur les évolutions nécessaires, souhaitables à moyen terme. Ce rapport nouveau à un temps élargi est un des enjeux fondamentaux de l’évaluation des personnels de direction.
Je ne traiterai donc pas des opérations de gestion quotidiennes, et j’insisterai plutôt sur la part stratégique du travail d’un personnel de direction. Parmi d’autres, six écueils éviter :
– le messianisme, le diabolisme et le fatalisme sont les trois facettes d’une attitude de défiance vis à vis de l’à-venir qui n’a rien à voir avec les qualités professionnelles d’un pilote : S »en remettre au ciel, aux courants porteurs, à une divinité omnisciente, aux « décideurs » de métier, ministres, politiques et leaders locaux…relève de l’attitude magique archaïque qui préfère se penser comme soumis à un destin qui échappe aux choix humains . Se laisser aller au fil des heures dans le  » qui vivra verra « , ou dans une résignation aux fatalités psycho-socio-ethologiques…n’a jamais permis de trouver la meilleure voie de progrès pour un système scolaire).Le recours explicatif et justificatif aux CSP a ses limites, bonne conscience et inconscience confondues,
– le manichéisme, l’angélisme, le passéisme sont les trois facettes d’une inaptitude à gérer la complexité, préjudiciable au pilotage : la première ne pense la complexité qu’en oppositions binaires, la seconde qu’en vœux pieux, la troisième ne conduit qu’à l’aide d’un rétro-viseur, en référence nostalgique à l’histoire. Or les obstacles sont souvent devant nous, à identifier aussi en nous.
Les oppositions et les résistances étant inéluctables, il nous faudra pour piloter un optimisme solide, pour soutenir ce pari positif : chacun d’entre nous a la possibilité et la responsabilité d’influer durablement sur le devenir d’un EPLE.
Non pas seulement au nom de « l’effet chef d’établissement « conçu comme une sorte de boîte noire, entre techniques de management et charisme personnel, mais parce que ce processus d’inflexion et de changement s’apprend, s’ exerce, se perfectionne. c4est un sasvoir d’action auplein sens du terme.
Je me contenterai de citer pour terminer quelques unes des capacités professionnelles qui fondent le pilotage et qui pourront faire partie des éléments de pratique professionnelle à évaluer au terme de trois années :
– Planifier le temps de la réflexion et celui de l’action ; piloter, c’est prévoir et anticiper.
– Pratiquer la concertation et l’échange de points de vue : piloter, c’est négocier.
– Penser les interactions en termes d’effets/résultats et non simplement en termes de larges finalités ou d’objectifs opérationnels à court terme liés à des zones de pouvoir immédiat ; piloter, c’est définir stratégiquement des responsabilités partagées au sein de l’établissement, au service des élèves.

Anne-Marie Gioux, IA-IPR Etablissements et Vie Scolaire.