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Le conseil de la vie lycéenne, vecteur de changement

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Le lycée Jacques-Feyder a la particularité d’être souvent touché par des blocus. Sur les dix dernières années, six ont été marquées par des évènements de ce type, accompagnés de violences. Cette réalité locale interroge, notamment car ils sont le fait de quelques éléments agissant sous le regard d’une majorité d’élèves. En novembre 2013, j’ai vécu le premier blocus de ma carrière. Un vendredi, à 7h30, je perçois des odeurs d’essence dans l’air. Ce qui me frappe, c’est que, alors que la grille est ouverte, l’accès à l’établissement possible, sans danger, les élèves, pour une majorité, refusent d’entrer et patientent sur le trottoir, observant la poignée d’agités. Et tandis que les choses dégénèrent, qu’on entend, pendant cinq secondes maximum, scandé le nom de Léonarda, cause alléguée de ce débordement, l’ensemble des élèves reste passif, ne se dit pas que c’est à son établissement que l’on porte atteinte, celui qu’ils ont choisi de rejoindre. Lorsque j’ai, quelques temps après, interrogé les élèves sur leur positionnement lors de cet événement, la plupart d’entre eux m’ont indiqué ne pas être entrés car ils se sentaient « plus en sécurité (sic) à l’extérieur que dans le lycée ».

Au sein de l’établissement, les pouvoirs sont répartis de telle manière que les élèves s’en retrouvent trop souvent exclus. La relation dominante est verticale. La non reconnaissance de l’établissement comme bien commun par les élèves est, à mon sens, un élément à travailler, constitutif de ce climat scolaire. Si ce genre d’actes ne peut être anticipé et dépend souvent de facteurs extérieurs, nationaux la plupart du temps, au gré des réformes (CPE en 2007, retraites en 2010) ou des faits d’actualité (Léonarda en 2013 ; Rémi Fraisse en 2014), la violence qui se déchaîne alors pourrait être diminuée par la prise en compte du bien commun. L’intérêt de faire émerger une vie lycéenne est là : redistribuer les cartes des relations de pouvoir pour permettre un autre mode d’expression.

Impulsions nationales, réalités locales

La construction de la vie lycéenne est liée à des crises. Celle de 1991 a conduit à l’extension des droits et obligations du citoyen aux lycéens. Au fur et à mesure des manifestations, les textes officiels se sont enrichis et la volonté de donner un rôle aux lycéens dans la vie de leur établissement s’est progressivement affirmée. Toutefois, si les instances de représentation permettent un accès à la scène publique, force est de constater que le contexte local influe grandement sur cet accès.

En effet, le lycée Feyder s’inscrit dans un contexte local préoccupant concernant la démocratie. La participation aux grandes élections depuis 2000 demeure toujours en-deçà de la moyenne nationale. La vie démocratique locale est très peu investie et on peut raisonnablement penser que l’environnement agit sur le lycée en retour. Plus qu’ailleurs, les élèves sont dans un contexte où l’expression et l’appropriation démocratiques ne vont pas de soi (élèves nouvellement arrivés en France ; parents n’ayant pas le droit de vote en France ; parents qui ne votent pas). Le lycée, micro- société, répétition générale de la vie, rencontre des difficultés à assumer ce rôle.

Une nouvelle place pour l’élève

Quelle place donner dans l’organisation scolaire à la communauté des lycéens ? Comment lier cette communauté aux autres parties prenantes de l’établissement (professeurs, vie scolaire, agents, direction) pour agir sur le climat ?

Le changement consiste à mettre en place un cadre qui permet de favoriser l’émergence d’une vie lycéenne en formant un groupe d’élèves acteurs épaulé par des adultes volontaires afin de mettre sur pied des actions dans le domaine de la solidarité, de la culture, de la découverte. Un groupe d’élèves élus au Conseil de la Vie Lycéenne  propose et met sur pied des actions, conseillés par des adultes de l’établissement (direction, professeurs, assistants d’éducation, conseillers principaux d’éducation, agents…).

Le pouvoir ainsi redistribué donne une importance plus grande aux élèves. Les relations entre les protagonistes laissent apparaître des jeux d’alliance et de négociation. Petit à petit, les interactions agissent et des  relations stratégiques s’installent. L’action sur les cultures professionnelles est à l’œuvre.

Changer les équilibres posés ?

Le dispositif mis en place au fur et à mesure ne connaît pas que des succès. Il est toujours difficile d’engager, de mobiliser les élèves, en dehors du groupe de « fidèles ». Je pense qu’au cœur de cette résistance, qu’au refus de l’engagement, un refus qui, d’ailleurs, ne s’exprime pas, on soulève la question du sentiment d’appartenance. Dit autrement, si les élèves ne s’impliquent pas, c’est parce qu’ils n’adhèrent pas à une situation à laquelle rien ne les oblige à participer, contrairement au contenu didactique où ils acceptent d’être, sans forcément y adhérer ! Ainsi cette pratique de la résistance s’unit à une critique véritable de l’objet « vie lycéenne ».

L’établissement court parfois le risque d’être comme une coquille vide de vie collective. Et il est pourtant le seul point de référence de l’ensemble des membres de la communauté scolaire.

Existe-t-il un sentiment d’appartenance susceptible d’influencer le climat de l’établissement ?  Comme proviseur adjoint, je définis le changement opéré comme un passage du « vers » au « avec ». L’impact demeure encore trop restreint en raison du petit nombre d’actions mises en place et d’une visibilité trop faible pour le moment. Néanmoins les choses évoluent, notamment par des rencontres entre les élus du CVL et la conférence des délégués. Les élèves ont présenté leurs projets et chaque délégué a fait un retour dans sa classe. Dès le lendemain, nous pouvions entendre des élèves et des enseignants discuter du futur tournoi de football, du bal ou encore de l’action sur les talents. Ces interventions permettent de créer une visibilité jusqu’alors inexistante et de susciter l’attente chez les autres élèves.

Le CVL a mis en place en début d’année une action visant à créer un logo pour l’établissement. Cinq projets ont été soumis et celui qui a été sélectionné exprime le regard d’un lycéen sur son établissement, regard qui, puisqu’il a été choisi, a été partagé par les élus :

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Les quatre verbes figurant sur ce logo symbolisent bien ce qui fait consensus. J’insisterai sur « se déployer » au cœur de nos missions de formation du futur adulte, du futur citoyen.

Le regard porté sur l’établissement dépend également de l’affichage qu’il a dans son environnement. L’action menée en mai dernier, le tournoi de football, a réuni jusqu’à cent participants. Les élèves ont monté ce projet, en prévoyant règles, charte, inscriptions, volontaires adultes, élèves utilisant leurs compétences acquises en formation « premier secours » ou « jeunes arbitres », informant les forces de l’ordre, préparant une remise des prix. Les objectifs de construction d’une vie lycéenne, d’une appropriation de ce que le lycée peut offrir en termes humains et en valeur semblaient atteints. Mais, c’était sans compter sur un contexte pesant d’affrontements entre quartiers qui a entaché la remise des prix. Un groupe d’individus, n’appartenant pas à l’établissement, scolarisés ou non, ciblant un élève du lycée venu en spectateur au tournoi, a semé la violence. Au-delà de l’émotion très présente durant les jours qui ont suivi ces actes, il a fallu se saisir de la dynamique créée par le tournoi, ne pas hésiter à rappeler que les objectifs avaient été atteints et soutenir personnels et élèves engagés. Remotiver les équipes après ces faits est complexe, comme tourner vers le CVL un projecteur positif car l’exemplarité de l’action est noyée dans l’image négative que laisse cette journée.

Un travail de responsabilisation

La question de la démocratie lycéenne s’articule enfin autour de l’idée de responsabilisation. Il est important de regarder dans quelle position se trouve l’établissement sur l’échelle de la responsabilisation. Avant le début du projet, les élèves acteurs de la vie lycéenne étaient des élèves intéressés et informés du fonctionnement de la vie lycéenne en général, mais ils étaient peu nombreux. Ils se sont régulièrement rencontrés dans le cadre officiel des attributions du CVL. La direction les sollicite pour se prononcer sur l’accompagnement personnalisé, sur les principes retenus quant aux dédoublements des heures de cours. Sur ces sujets plus techniques,  la consultation des élèves n’a pas été efficace car l’information ne leur a pas permis de se prononcer en connaissance de cause, personne ne les ayant accompagnés sur ce point particulièrement complexe de l’organisation de l’établissement. A présent, le dialogue avec les élus est instauré en amont, mené par la direction et les CPE. La présentation par les élèves de leurs actions, le partage avec les adultes du lycée sont préparés. Les élèves exposent en CA les projets menés par le CVL afin d’informer l’exécutif de l’établissement.

Petit à petit,  ce nouveau collectif a permis de timides changements. Sa création au sein de l’établissement a changé les équilibres posés pour agir sur les adultes, les élèves et l’établissement.

Vincent Bongrand
Proviseur adjoint du lycée Jacques-Feyder à Epinay-sur-Seine (93)


Bibliographie

Colette Crémieux, La Citoyenneté à l’école, Syros, 2010. 

Anne-Lise Dufour-Tonini, Pour un acte II de la vie lycéenne : vers la démocratie lycéenne, rapport remis à la ministre déléguée à la réussite éducative, 2013.