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Le collège unique, pour quoi faire ? – Les élèves en difficulté au cœur de la question

Puiser dans trente années de textes règlementaires, de circulaires de rentrée et de rapports officiels sur le collège et la prise en charge des élèves en difficulté
pour faire un état des lieux à la fois sans concessions et porteur de perspectives, voilà une singulière gageure que Jean- Paul Delahaye relève avec brio.
Le livre rappelle d’abord, de façon synthétique et claire, l’évolution des structures du système scolaire depuis les promesses du plan Langevin Wallon jusqu’à la réforme Haby de 1975, pour mettre en valeur cette novation essentielle : tous les élèves d’une génération mélangés dans les classes de 6e à la rentrée 1977. En contrepoint, les trente années suivantes semblent marquées par l’immobilisme : les textes officiels mentionnent « l’échec scolaire » pour la première fois en 1982, insistent sur la nécessaire évolution du service des enseignants en 1984, qualifient le collège de « maillon sensible » du système éducatif dès 1985. Les rapports se succèdent à un rythme soutenu, pointant peu ou prou les mêmes difficultés : l’insuffisante définition des apprentissages attendus, la trop grande attente vis-à-vis des dispositifs d’aides périphériques, la nécessité de faire évoluer les pratiques pédagogiques dans les classes, l’inquiétude face à des tentatives de contournement de l’hétérogénéité, la nécessité d’améliorer la transition CM2/6e, etc.
Pour l’auteur, le collège unique a tout de même « globalement rempli sa mission
pour un nombre croissant d’élèves », en permettant d’élever largement le niveau d’instruction pour le plus grand nombre. Mais force est de constater également qu’il n’a jamais fait de place pour une proportion importante d’élèves, largement issus de milieux populaires : ceux qui n’y rentrent pas (les élèves scolarisés en SES, puis Segpa), ceux qui en sortent en cours de route, ou encore en fin de parcours mais sans que les alternatives proposées (redoublements, 4e AS, 3e I, ateliers relais, etc.) n’aient produit autre chose que l’épuisement de tous. Le diagnostic n’est pas nouveau : le système éducatif n’est jamais vraiment revenu sur le choix de 1975 d’aligner le fonctionnement du collège sur l’ancienne « filière 1 », c’est-à-dire l’enseignement secondaire des élites, que ce soit en termes de modalités de fonctionnement (le découpage en heures de cours, en classe d’âge), de découpages disciplinaires (plus ou moins les mêmes de la 6e au baccalauréat), de compétences des enseignants (encore aujourd’hui bien davantage formés à enseigner en terminale qu’à prendre en charge des élèves de 6e en difficulté, ce que montre bien les
évolutions de carrière). Le collège unique a été pensé comme un « petit lycée » et une véritable « école moyenne » reste à construire.
Malgré tout, ce livre a le mérite d’être optimiste et tourné vers l’avenir. Optimiste, car malgré les difficultés rencontrées, malgré les pressions réactionnaires, encore fortes aujourd’hui, aucun gouvernement n’a remis en cause le choix fondamental d’un même collège pour tous. Optimiste également, car il relève dans les textes officiels bien des idées qui peu à peu se concrétisent (l’indispensable socle commun) ou restent à explorer : d’autres modalités de regroupements que la classe ; des équipes éducatives restreintes,
grâce à la constitution de familles de disciplines (rapport Legrand, 1983) ; des
« minicollèges », « favorisant la concertation des équipes éducatives », permettant « un suivi plus individualisé des élèves » (circulaire de rentrée de 2001).

Patrice Bride