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Le bienêtre des élèves décroit avec l’âge

UNICEF France a publié en novembre 2018 un rapport de statistiques concernant l’avis des enfants français sur leur vie quotidienne, à la maison, à l’école et dans leurs activités[[Serge Paugam, Édith Maruejouls, Catherine Dolto, Lisa Mandel, Quel genre de vie ? Filles et garçons : inégalités, harcèlement, relations. Consultation nationale 2018 des 6/18 ans, Unicef France, 2018. https://www.unicef.fr/article/consultation-nationale-des-6-18-ans-2018-ecoutons-ce-que-les-enfants-ont-nous-dire]] . Ces consultations se font dans le cadre de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, demandant à ce que chaque enfant puisse être écouté.

Les enfants et adolescents consultés ont été sollicités dans 132 communes françaises (y compris en Guyane), au sein d’établissements scolaires, de centres sociaux, de conseils de jeunes et de centres de loisirs. Au total, 26458 jeunes de 6 à 18 ans ont pu donner leur avis via un questionnaire comportant 169 questions, individuellement ou par l’intermédiaire de débats d’opinion. 10,3% de ces jeunes sont issus de quartiers prioritaires – une proportion assez proche de la moyenne nationale.

De manière générale, les enfants français sont en grande majorité satisfaits de leurs conditions de vie. 95 % ont au moins deux paires de chaussures qui leur vont, 93,2 % estiment qu’il y a à la maison assez de place pour leur famille, 90,4 % affirment qu’il fait assez chaud chez eux en hiver ou encore 89,3 % déclarent avoir chez eux des livres pour le plaisir de lire ou pour apprendre. 94,3 % disent avoir du temps pour jouer, se reposer et s’amuser avec leurs amis, 89,1 % peuvent organiser une fête pour leur anniversaire et 85,8 % inviter des amis chez eux pour jouer ou pour manger.

La séparation des sexes

45 % des filles considèrent avoir moins de droits que les garçons alors que ces derniers pensent à 30,7 % avoir moins de droits que les filles. Ces proportions sont surtout renforcées avec l’âge des jeunes. « L’adolescence est donc l’âge où les garçons se rendent compte qu’ils occupent dans leur espace social une position supérieure à celles des filles, notamment en termes de droits. » (p. 46)

Les filles des quartiers populaires ont 1,79 plus de risques d’être privées d’accès aux savoirs par rapport aux filles vivant en centre-ville. Elles y ont moins de choix d’activités en club que les garçons. Pour certaines familles modestes, le choix est fait de soutenir l’activité du ou des garçons au dépend de l’activité de la ou des filles. Dans les cours de récréation, les garçons occupent de manière prépondérante l’espace central, sur le terrain de foot, les filles investissant plutôt les côtés et les toilettes. « Elles disent : “On n’a pas le droit de jouer au football”, “les garçons nous disent non », etc. On peut faire l’hypothèse que les filles à l’adolescence ont intégré une forme de relégation et consentent en grande majorité à la non-mixité au collège. » (p. 48)

Les relations entre garçons et filles sont surtout jugées problématiques en école élémentaire. Avouer avoir une copine peut être considéré par des garçons comme un signe de faiblesse. Quant aux adolescents, ils pensent plus que les enfants que l’amitié entre filles et garçons est impossible (1,64 fois plus de risques). Les auteurs du rapport aboutissent à un constat sociologique de la séparation des sexes plus marquée dans les milieux économiquement plus défavorisés. Dans les quartiers prioritaires, les garçons pensent encore plus que ceux du centre-ville qu’ils ne peuvent pas participer aux mêmes jeux que les filles s’ils le souhaitent (1,63 fois plus de risques). Il s’agit de ne pas permettre le doute sur son hétérosexualité afin de ne pas fragiliser sa place dans son groupe de copains. Habiter dans un quartier populaire ou avoir un ou deux parents au chômage, pour une fille, serait donc globalement plus déterminant en termes de privations que pour les garçons dans la même situation.

Un manque d’écoute

88,7 % des enfants considèrent que leurs droits sont respectés. Mais des problèmes majeurs apparaissent. Par exemple, pour s’alimenter : il n’y a que 80,7 % des enfants interrogés qui mangent trois repas par jour et seulement 62 % qui consomment quotidiennement des fruits et des légumes frais.

Concernant le sentiment de sécurité, près d’un tiers des répondants (32,3 %) témoignent d’attaques et de moqueries blessantes subies régulièrement. Ces attaques et moqueries à l’école sont particulièrement fortes dès l’entrée en CP : elles concernent 47,1 % des enfants de 6 ans. Un enfant sur deux est touché par ce problème à l’âge de 7 ou 8 ans, principalement des garçons.

14 % des enfants ou adolescents témoignent de discriminations vestimentaires. Ce sont les filles les plus concernées par ce problème. C’est « une sorte de charge mentale du quotidien » (p. 32). Ce phénomène augmente avec l’âge : les 12/14 ans ont près de deux fois plus de risque de faire cette expérience que les 6/11 ans. Ce risque est près de trois fois plus élevé pour les 15/18 ans. Les filles ont 2,5 fois plus de risques de subir le harcèlement de rue que les garçons.

Au sujet de l’écoute dont ils bénéficient, seulement 57,1 % des jeunes disent qu’ils peuvent donner leur avis sur les décisions prises pour le fonctionnement de leur école et 55,1 % sur celui de leur centre de loisirs ou accueil jeunesse.

En matière d’accès au bonheur, 46,9 % des enfants disent se sentir parfois seuls et 40 % estiment que les relations avec leurs parents peuvent être tendues. 73,8 % ont répondu qu’il leur arrive d’être tristes ou cafardeux, 48,2 % de n’avoir plus goût à rien et 61,4 % de perdre la confiance en eux-mêmes. 25,6 % des répondants reconnaissent qu’il leur est déjà arrivé de penser au suicide et 9,4 % qu’ils ont tenté de se suicider.

L’angoisse de ne pas réussir

Les élèves se sentent très souvent (87 %) en sécurité à l’école. Cela concerne plus les filles que les garçons, mais ce sentiment décroit fortement avec l’âge. 66,6 % avouent qu’il leur arrive quelquefois d’être angoissés de ne pas réussir assez bien à l’école et 64,5 % sont quelquefois angoissés de ne pas réussir dans la vie en général. Cette angoisse scolaire est déjà très forte à 6 ans puisque 56,1% des enfants disent la ressentir. Cela concerne 78 % des adolescents de 17/18 ans. Les filles sont nettement plus angoissées que les garçons de ne pas réussir assez bien à l’école (1,54 fois plus de risques).

Pour autant, 87,5 % indiquent qu’on peut les aider à l’école s’ils sont en difficulté pour comprendre ou faire leurs devoirs. Ce sentiment de pouvoir être aidé diminue avec l’âge, le soutien privé (payant) renforçant les inégalités entre les élèves.

Seulement 60,6 % jugent que les toilettes de leur école sont propres. 12 % des enfants et des préadolescents estiment que l’on ne respecte pas leur intimité aux toilettes. Ce sont près de 15 % des garçons et 9 % des filles.

La reproduction des inégalités

Les enfants et les adolescents vivant dans un quartier prioritaire semblent fortement pénalisés par rapport aux autres. Dans les quartiers prioritaires, aussi bien pour les garçons que pour les filles, le risque de privation d’activités est le plus élevé par rapport aux garçons et aux filles des centres-villes. Les enfants dont les deux parents sont au chômage ont 1,61 plus de risques de subir des attaques et des moqueries blessantes à l’école que ceux dont les deux parents ne sont pas au chômage. « On peut dire que l’école reproduit en son sein la rudesse des rapports sociaux qui caractérisent la vie en société. » (p. 29)

Innocenti 14 : enfants et développement durable

Un autre rapport, « Innocenti 14 »[[Bilan Innocenti 14. Construire l’avenir : Les enfants et les objectifs de développement durable dans les pays riches, Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, 2017. https://www.unicef.fr/article/rapport-innocenti-2017]], publié par l’UNICEF en 2017, s’intéressait à la réalisation, auprès des enfants du monde, des objectifs de développement durable, adoptés en 2015. Ceux-ci sont considérés comme un programme planétaire ambitieux pour un développement équitable et durable sur les plans social, économique et environnemental. Leur projet est de lutter contre la croissance des inégalités et les problèmes qu’elle induit en s’intéressant non seulement à la condition des plus pauvres, mais également aux conséquences de l’accumulation de richesses par les plus riches. Pour cela, une attention aux enfants est visée : « Le meilleur moyen d’atteindre des objectifs sociaux inclusifs, durables et pérennes est de veiller aux besoins des enfants. […] Des enfants instruits et en bonne santé sont en effet plus aptes à exploiter leur potentiel et à apporter leur contribution à la société. Inversement, les problèmes de développement de l’enfant se prolongent souvent à l’âge adulte et les coûts sociaux qui en résultent échoient également à la génération suivante. » (p. 4)

Ce rapport précise que la France est très bien classée (2e sur 41 pays) en ce qui concerne l’égalité d’accès à l’éducation préscolaire, mais l’écart se creuse par la suite : le système éducatif français chute à la 14e place sur 29 lorsque l’on s’intéresse à l’égalité des chances en CM1, et à la 35e place sur 38 chez les élèves de 15 ans. Notre école serait celle, parmi tous les pays ayant participé à cette étude, à voir la réussite scolaire des élèves (en lecture, mathématiques et sciences) la plus liée au statut économique, social et culturel des familles des élèves (p. 39). Or, en règle générale, les pays situés en tête du classement sur la réduction des inégalités obtiennent également de bons résultats en matière d’élimination de la pauvreté, de santé, d’éducation de qualité et d’économie inclusive (p. 50).

De plus, le pourcentage des femmes entre 18 et 29 ans ayant déclaré avoir été victimes de violences sexuelles avant 15 ans est parmi le plus élevé du monde : 12 %, pour une moyenne des pays en 2014 de 6,3 %. Les auteurs du rapport repèrent que l’égalité des sexes passe par l’élimination des violences à l’égard des filles (p. 29).

Des observations sur les inégalités qui se trouvent confirmées par le rapport d’Unicef France après la consultation nationale des 6/18 ans.

Vers plus de mixité ?

« Les enfants et adolescents susceptibles d’avoir des difficultés du fait du cumul d’inégalités dont ils font l’expérience dans la vie quotidienne ne trouvent donc pas, dans le cadre scolaire, un soutien plus important que les autres. » (p. 42). Les auteurs de cette consultation nationale concluent ce rapport par une série de recommandations pour faire de la place, dans l’accès aux loisirs, aux activités « filles », pour renforcer l’éducation à la santé et à la sexualité, accompagner l’enfance connectée et s’engager pour construire des espaces publics partagés : « La mixité est donc le premier élément d’un espace public à partager. » (p. 59)

L’école ne peut certes pas tout. En revanche, elle dispose d’un pouvoir d’éducation en mesure de préparer les générations à venir à mieux faire face à ces enjeux de développement communs.

Sylvain Connac
Chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul Valéry de Montpellier


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