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La remise en cause de la carte scolaire : bis repetita ?

À la rentrée scolaire de 1984, le principe de la sectorisation est remis en question dans cinq zones géographiques de la France à titre expérimental. Une « expérience d’assouplissement de la carte scolaire » est effectuée dans les départements d’IIle-et-Vilaine, de Côte-d’Or, et dans les agglomérations de Dunkerque, Saint-Étienne et Limoges.
Les résultats de l’étude menée par deux sociologues (Irène Thery et Robert Ballion) sont rendus publics au printemps 1985. Il apparaît que les trois quarts des parents estiment qu’ils devraient pouvoir choisir librement le collège de leurs enfants. En fait, dans le cadre de l’expérimentation d’assouplissement, seulement 8 % à 20 % des parents (selon les endroits) ont demandé une inscription de leurs enfants ailleurs que dans leur secteur normal d’affectation. Les demandes effectives de changement sont surtout le fait des classes supérieures et moyennes, des enseignants ; rarement des ouvriers. Selon les auteurs de l’enquête, les familles des classes moyennes et supérieures se conduisent en consommatrices à la recherche d’un meilleur service pour elles.

Hypocrisie contre justice sociale

Lors de son colloque sur l’école des 8 et 9 juin 1985, le parti socialiste s’interroge donc sur l’opportunité d’assouplir la sectorisation. Certains participants proposent de mettre fin à « l’hypocrisie » d’un système contraignant, manifestement contourné par beaucoup. D’autres s’opposent avec détermination à sa suppression, au nom de l’égalité et de la justice sociale. Le Comité national d’action laïque intervient en ce sens auprès du Premier ministre Laurent Fabius, qui se range à son avis.
En 1986, les élections sont favorables à la droite. Le nouveau Premier ministre, Jacques Chirac, indique dans sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale du 8 avril 1986 que « les initiatives nécessaires seront prises pour garantir à chaque famille le libre choix de l’école de ses enfants, aussi bien entre secteur public et privé qu’au sein même du secteur public, grâce à la suppression progressive de la carte scolaire ». Et le 24 avril, Jacques Chirac précise au congrès de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) que « la liberté » sera assurée par des mesures prises « très vite » pour permettre « le choix de l’école au sein même du secteur public ».
Mais le ministre de l’Éducation nationale (un UDF…), René Monory, est un élu local très bon connaisseur des réalités urbaines et rurales. Il se méfie en l’occurrence des solutions de principe qui occultent parfois des difficultés réelles d’application. La circulaire du 30 juin 1987 précise qu’il s’agit d’« une généralisation de l’assouplissement de l’affectation, selon un rythme et des modalités qui pourront varier selon les lieux ». La mise en œuvre doit être dirigée localement : une concertation approfondie doit être menée avec les collectivités territoriales, les associations de parents d’élèves et les chefs d’établissements. Et une généralisation de « l’expérience » d’assouplissement de la carte scolaire à géométrie variable commence, dont on n’a jamais connu la fin…

Contextes et enjeux

On le voit, dans la distribution des rôles (et des affectations politiques) il y a des coïncidences troublantes à une vingtaine d’années d’intervalle…
Mais il faut aussi sans doute prendre garde que le contexte et les enjeux ne sont pas tout à fait les mêmes. Au Grand Jury RTL – Le Monde du 10 décembre 2000, Alain Madelin a certes rappelé qu’il « propose depuis longtemps la suppression de la carte scolaire : liberté aux chefs d’établissements et aux équipes enseignantes de faire une meilleure école ; et liberté pour les parents de choisir l’école de leurs enfants ». Mais le document du colloque organisé en septembre 1999 par le parti d’Alain Madelin, Démocratie libérale, a montré plus clairement encore quelle était l’ambition retenue : « donner davantage d’autonomie aux établissements, davantage de liberté et de responsabilité aux acteurs du système éducatif, rendre aux parents la liberté de choisir l’école de leurs enfants : on ne propose pas une énième réforme du système éducatif, comme ce fut la tentation au cours des dernières années, mais une méthode de changement pour une révolution tranquille ». Or Nicolas Sarkozy s’est inscrit ouvertement – plus ou moins mezzo voce – dans cette ligne, aussi bien au colloque sur l’école qu’il a organisé au printemps dernier que dans ses dernières déclarations sur l’urgence de supprimer la carte scolaire.
On pardonnera certainement à un ancien membre actif de la commission Thélot de souligner que la commission, dans son rapport final, s’est prononcée – elle – très clairement pour « une sectorisation des établissements maintenue, mais renforcée et justifiée par une politique de qualité contrôlée » (p. 87), notamment par « une différenciation des moyens beaucoup plus marquée qu’aujourd’hui » (variation de 0 % à 25 % des dotations aux établissements en fonction de leurs publics et de leurs projets, p. 88), des possibilités de « mesures dérogatoires » aussi bien quant au mode de nomination et à la définition du service des personnels qu’aux pratiques pédagogiques » (p. 89), et « l’expérimentation de mesures spécifiques dans les situations extrêmes », notamment la fermeture d’établissements très dégradés, et répartition des élèves dans des secteurs plus larges.
Alors, la « révolution tranquille » (libérale) ou la réforme vers une mixité sociale plus assurée ?

Claude Lelièvre, historien de l’éducation, auteur de Les politiques scolaires mises en examen, ESF éditeur ; voir le chapitre « sectorisation et désectorisation ».