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La pédagogie de groupe, outil du changement

En 1997, présentant le numéro des Cahiers pédagogiques que nous avions consacré au travail de groupe, nous écrivions :
« Le modèle transmissif, impositif et frontal, le cours magistral règne sur l’école, massivement. Dans la proportion, par rapport aux autres méthodes d’enseignement, de la masse du soleil dans le système solaire tout entier : à savoir 99,87 % ! Ceci afin de donner une idée métaphorique de cette proportion… »
Nous sommes en 2004. Sept ans plus tard donc. Et depuis, nous n’avons pas à cet égard constaté des évolutions très significatives dans le système éducatif. L’extraordinaire prégnance du modèle magistral perdure. On ne saurait même affirmer qu’il a été ébranlé par les réformes récentes intervenues au collège et au lycée et l’introduction de leurs divers dispositifs institutionnels. L’effet des TPE (travaux personnels encadrés), des PPCP (projet personnel à caractère professionnel), des IDD (itinéraires de découverte en collège), de l’aide individualisée, des débats de l’ECJS (éducation civique juridique et sociale), de l’heure de vie de classe, des classes à PAC (projet d’activité culturelle), etc., ne se fait pas encore sentir de façon évidente dans la pédagogie ordinaire des autres cours. Pour l’heure donc, le constat fait en 1984 par Philippe Meirieu reste toujours d’actualité :
« Pour l’instituteur ou le professeur qui veulent s’engager dans une entreprise de rénovation pédagogique, le premier objectif est de briser le fonctionnement impositif et abstrait du cours magistral, pour mettre leurs élèves en situation d’agir et d’opérer eux-mêmes leurs propres découvertes. » (Apprendre en groupe, tome I, Lyon, Chronique sociale, 1984.)
Nous allons, par le présent dossier, explorer à nouveau l’outil alternatif au cours magistral : la pédagogie de groupe.
L’expérience prouve que pour sortir du modèle transmissif standard, pour tenter de différencier la pédagogie et rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages, il faut maîtriser la problématique du travail de groupe. Il faut oser modifier l’ordonnancement même de la salle de classe et construire un espace à géométrie variable. Non pas pour passer du tout-cours magistral au tout-groupe. On ne différencie pas l’enseignement en passant d’un modèle unique à un autre modèle unique, d’un intégrisme méthodologique à un autre. Mais bien pour organiser sa classe sur des bases qui permettent de varier souplement les trois grands types de situations d’apprentissage possibles pour l’élève : le travail individuel ou autonome, le travail collectif en classe entière, le travail en binôme ou en groupe.
Et il y a longtemps que les psychologues constructivistes avec Piaget et ses continuateurs, Freinet et ses disciples, les cognitivistes, les spécialistes de la dynamique des groupes ont montré que le travail interactif est un puissant moyen d’apprentissage ; que les « conflits sociocognitifs » dont il est le théâtre sont des moteurs efficaces pour apprendre vraiment. Et que ce mode d’activité, lorsqu’il est organisé à l’école, motive bien les élèves.
Nous avons voulu réexaminer sous un angle pratique quelques-unes des questions que doit se poser le maître qui veut, en classe, s’engager dans cette pédagogie. On ne trouvera donc ici que peu de considérations théoriques. Philippe Meirieu nous dira encore les raisons de l’attachement des enseignants au cours magistral. Sa thèse de 1985 (Apprendre en groupe, deux tomes) avait fait passer la problématique du groupe du côté de la praxis pédagogique alors qu’elle était jusqu’alors très orientée « psy ». Il apportait des réponses à la question centrale suivante que nous nous posons en continuité : Comment, concrètement, le groupe peut-il être, pour chaque élève, le lieu et l’outil d’apprentissages individuels ?
Nous avons pour cela sollicité encore des praticiens de la pédagogie de groupe. Odile Métayer et Pascale Boulais répondent de nouveau aux objections qui ne manquent pas d’être faites à cette méthode au moment de sa mise en œuvre. Elles tentent d’apaiser quelque peu les inquiétudes et les résistances des professeurs. Jacqueline Castany dira comment s’y prendre la première fois. Didier Onfray montre que cette pédagogie est un outil efficace pour faire réussir les élèves aux contrôles.
Vous pourrez lire aussi dans ce dossier ce que disent de leur pratique du travail de groupe des professeurs de disciplines variées et de niveaux d’enseignement divers. Comme Françoise Colsaët et Claude Lavallée en mathématiques, Jean-Marie Boilevin en sciences physiques, Jacqueline Castany en lettres, Maria-Alice Médioni en langues vivantes. Alain Jaillet nous montre comment une université virtuelle et une plateforme informatique interactive – ACOLAD (apprentissages collaboratifs à distance) – introduisent une forme originale de travail de groupe dans le supérieur. Dans le temple même du cours magistral…
Mais nous n’avons pas exigé que toutes les disciplines scolaires soient ici interrogées à tour de rôle. Si vous ne trouvez pas votre matière scolaire préférée, ce n’est pas un oubli : le travail de groupe peut s’organiser et se mettre en place pour toutes disciplines, de la maternelle à l’université, en passant par la formation des adultes et des maîtres. Et ce qui vaut pour une matière et un niveau d’enseignement donnés peut être, à moindre frais, adapté pour d’autres disciplines et ailleurs.
C’est donc réellement un outil pédagogique transversal dont nous vous proposons, en fin de dossier, un « guide » pratique qui donne d’utiles indications pour programmer ces activités, constituer les équipes, évaluer leur travail. Ce guide fait la synthèse de ce qui ne peut être ignoré pour mettre en œuvre la pédagogie de groupe.

Raoul Pantanella, professeur honoraire de lettres.