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La nuit, les chats sont-ils verts ?

Autant vous prévenir, les livres d’art des éditions Palette vous mettront les sens… dessus dessous et la culture dessous dessus. Ça commence parfois avant de les ouvrir, ces bouquins, lorsque des couvertures mousseuses et gonflées vous invitent à les glisser dans les mains des petits, pour qu’ils les triturent autant que vous en auriez envie. Vous, vous n’osez pas trop le faire, à votre âge, quand même…

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Parfois c’est le titre qui vous titille. La nuit tous les chats sont verts, de Vincent Péghaire. Ça ne vous fait pas dresser l’oreille ? Ce livre-là fascinera les plus jeunes, à n’en pas douter. Il les amènera le lundi chez madame Rubis ou le jeudi dans le jardin de Jade, voir des rhinocéros rouge brillant et des chevaux violet origami qui les lanceront sur leurs premières pistes de Francis Bacon ou Raoul Dufy.
Parfois encore, vous ouvrez et soudain ça se bouscule. Les 5 sens, d’Élisabeth de Lambilly. Toucher. Entendre. Sentir. Les mots-images flottent et vous enveloppent. Bruyant,retentissant, tonitruant. Ça sent le printemps. Froid, chaud, dur, mou. Trois fromages un peu trop vieux. Toute douce. Œuf étrange. Qui a déjà entendu le vol d’une plume ? Et qui a dit qu’il s’agit d’un livre pour les plus jeunes ? Goutez-le. Et vous verrez ce que vous entendrez.
Bien sûr bien sûr, il faut à un moment rejoindre les rives de la culture pour les grands. Celle des éditions Palette n’est pourtant pas ennuyeuse. Vous pouvez, pour la découvrir, garder votre sourire et vos mains d’enfant, à 15, 40 ou 70 ans.

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Ainsi, Paul Klee, l’explorateur de l’invisible, d’Éloi Rousseau. « La couleur a pris possession de moi. Je n’ai plus à la chercher, je sais qu’elle m’a pris pour toujours. Elle et moi sommes unis à jamais », écrivait le peintre. Et le livre aussi est tout couleurs. Et paysages. Et commentaires informés aussi. Mais jamais de ces informations qui vous dessèchent l’art des œuvres. Non, celles-là le laissent intact. Un peu plus onctueux même.
Enfin, un livre qui ira droit sous les yeux de nos grands ados de 3e pendant qu’ils se pencheront sur la préparation de l’épreuve redoutée d’histoire des arts ! Un livre qui devrait leur faire saisir en quels points l’art n’est pas redoutable. Qu’il est même, grands dieux, désirable… L’art en mouvements et autres courants du XXe siècle de Christian Demilly. En levant les yeux au ciel de ce livre, nos élèves, ou leurs parents, découvriront les constellations du fauvisme, du surréalisme, du pop art, en images, en explications et en citations. Celle-ci, d’André Breton, peut-être conclura le mieux mon propos : « Le merveilleux est toujours beau, n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau. »

Christine Vallin


Questions à Didier Baraud

Didier Baraud a créé en 2003 les éditions Palette. Il en est aujourd’hui encore le directeur. Diplômé de l’École des beaux-arts de Paris, il nous parle de ses éditions, à mi-chemin entre raison professionnelle et passion personnelle.

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Comment les ouvrages de Palette sont-ils nés ? À quels besoins répondent-ils ?

En me rendant souvent dans les musées et les expositions, récemment, j’ai pu constater une nette augmentation de leur fréquentation par les enfants, même les plus petits, entre autres grâce à des efforts des musées pour restaurer les salles, améliorer l’accueil, les accrochages, mettre en place des ateliers. La nouvelle génération de parents semblait soucieuse de transmettre le gout de l’art à leurs enfants. On commençait alors à parler de démocratisation de l’art.

Il fallait trouver une nouvelle voie, un nouveau discours bien documenté, sérieux mais agréable à lire, pour sensibiliser les enfants (et surtout décomplexer les parents !) à une initiation à l’art. Cependant, il ne s’agit pas de faire du documentaire aride, mais plutôt de parler d’art différemment et avec une grande sensibilité (j’insiste !) et un grand soin apporté à la qualité de l’ouvrage ; proposer de beaux livres jeunesse comme les beaux livres pour le public adulte. Et bien sûr, donner beaucoup de plaisir aux lecteurs.

Souvent, le propos se situe un cran au-dessus de la tranche d’âge à laquelle on s’adresse, pour sensibiliser les adultes – ce sont eux les acheteurs, bien entendu – qui désirent dispenser un savoir sur l’art à leurs enfants. Je crois que les textes ne sont pas simplificateurs ni lénifiants, mais sérieux et cohérents, tout en restant simples et intelligents afin de toucher le jeune public.

Quelles sont pour vous les qualités d’un livre d’art réussi ?

Nos auteurs ont généralement une formation d’historiens d’art. Avant de leur confier un texte, le maitre mot que nous leur donnons est de se défaire de leur statut, de leur formation, de se défaire de leurs aprioris, de leurs présupposés. Et bien de renaitre, de revenir à l’état de spectateur vierge, de tout réapprendre pour mieux offrir aux jeunes lecteurs des textes sensibles, mais jamais simplistes. Car à mon sens, l’art ne s’enseigne pas, on ne peut pas apprendre l’art comme l’anglais ou les mathématiques. Avant d’être décrits ou écrits, une sculpture, un tableau n’existent que par une rencontre, un regard, un choc visuel, une émotion, de l’indifférence, du dégout parfois (quand les enfants ont la chance de pouvoir rencontrer des œuvres in situ). C’est une alchimie qui n’opère pas toujours, mais qu’il faut toujours tenter. Le livre est fait pour aider cette démarche.

Qu’est-ce qui, dans votre relation à l’art, se retrouve dans vos choix éditoriaux ?

C’est une relation quotidienne. Par des lectures, l’écoute de nos auteurs, des visites fréquentes des galeries, des musées ou des grandes expositions. Il faut être curieux de toutes formes d’expression, même si elles ne sont pas les plus proches de vous à un moment donné. Ça empêche de tourner en rond, c’est souverain…

Et… la question posée à nos auteurs : « Quelle a été votre première ou votre plus grande émotion artistique ? »

Disons, la plus grande rencontre artistique ? Ce serait la création du Centre Beaubourg. J’étais jeune étudiant aux Beaux-Arts qui étaient une institution maussade, grise, endormie (comme de nombreux professeurs de l’époque). Je m’y ennuyais beaucoup. Et le Centre Pompidou a ouvert en 1977 ! C’était une vraie révolution muséale qui nous changeait des salles bien poussiéreuses du Louvre. La foule qui s’y pressait, de la musique, des projections, une énorme bibliothèque et un centre de documentation, un musée qui donne de l’espace et de la lumière aux collections permanentes, des expositions d’art contemporain, etc. Tout cela dans un même lieu, en un joyeux maelström de création.

À cet instant, sincèrement, j’ai repris confiance en l’art.

Propos recueillis par Christine Vallin