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La note de vie scolaire : une fausse bonne idée

Une des propositions de la loi Fillon était d’instaurer une « note de vie scolaire » comptant pour le brevet, coefficient 2. Le ministère proposait les critères suivants : assiduité, respect du règlement intérieur et engagement dans la vie de l’établissement. D’après ses dernières déclarations, le ministre Gilles de Robien[[Le Monde du 13 janvier 2006.]] propose aujourd’hui d’étendre cette disposition à l’ensemble des classes de collège.
Le ministre fait de ce projet une solution pour obtenir un peu de paix dans certains établissements. Nous pensons pour notre part qu’il s’agit plutôt d’une fausse bonne idée…
Claude Thélot dans une interview parue dans le n° 439 de notre revue consacrée au socle commun rappelle qu’il est constitué de cinq compétences et règles de comportement, dont le fait de vivre ensemble (à travers de multiples disciplines, dont l’histoire, l’EPS…). Il rajoute à ce propos : « À cet égard, je ne suis pas contre l’idée d’une note de vie scolaire au brevet, si elle traduit l’évaluation de comportements concernant le vivre ensemble (être tolérant, s’engager, respecter des règles). On peut le faire à titre expérimental et l’abandonner s’il y a dévoiement. Je suis plutôt pour la notation ; si on ne note pas, on dévalorise. Il faut aider les professeurs à le faire, sans refus a priori. »
Quand le « père » du socle commun évoque lui-même cette modalité, cela mérite au moins de reprendre précisément les arguments en faveur de la note de vie scolaire pour développer ce qui motive notre opposition.
C’est d’abord la mise en œuvre d’une note qui pose problème. La « note de vie scolaire » a les défauts et les biais de toutes les autres. On sait bien qu’elles peuvent varier fortement d’un individu à l’autre, qu’elles n’offrent donc aucune garantie d’objectivité. Cela devient encore plus problématique lorsqu’on évalue des personnes plus que des résultats.
Il faut aussi bien déterminer ce qui est évalué. C’est ce que disait dès janvier 2005, une note de l’inspection générale qui émettait de fortes réserves sur ce projet : « Il faudra correctement identifier le périmètre concerné par la note sous deux aspects essentiels : il ne peut s’agir de l’activité en classe qui est déjà évaluée par l’enseignant, il ne peut s’agir de sanctionner une deuxième fois un comportement par ailleurs sanctionné ou puni dans le cadre du règlement intérieur. »
En dehors de la note elle-même se pose aussi la question de celui qui évalue. Dans le projet ministériel, les choses ne semblent pas encore établies. Qui notera ? Le professeur principal ? Le CPE ? L’équipe d’enseignants ? Le principal ? Selon la réponse, les résultats peuvent être très différents, mais cela renvoie surtout à la difficulté d’évaluer un comportement dans sa globalité alors que chacun n’aura qu’une vision partielle de l’élève. On peut s’interroger sérieusement sur la légitimité et la transparence d’une telle évaluation chiffrée.
Se pose alors surtout la question de l’usage de la note. Que veut-on au juste ? Orienter les comportements ? Sanctionner (par la note) les actes déviants ? Dans tous les cas, la note de vie scolaire n’est pas la bonne réponse et constitue une régression des pratiques pédagogiques. C’est confondre sanction et éducation, respect des règles et engagement citoyen.
Quelle valeur peut avoir un comportement, une action positive si elle est faite uniquement parce que « ça rapporte des points » ? Cela peut engendrer des stratégies bien hypocrites de la part de certains élèves pour une citoyenneté « de surface ».
À l’inverse, peut-on penser raisonnablement qu’une note négative s’adressant à des élèves déjà en difficulté puisse les dissuader d’agir et constituer une « menace » efficace ? On ne respecte pas la loi parce qu’on la craint mais parce qu’on a intégré, intériorisé les normes et qu’on en comprend donc l’utilité pour permettre le « vivre ensemble ».
La note de vie scolaire, telle qu’elle nous est présentée, néglige toute cette dimension éducative pourtant essentielle.
Au-delà, c’est toute une conception de l’évaluation qui est en jeu : on est bien éloigné d’une évaluation formative permettant les apprentissages. Il paraît injuste et contre-productif de comptabiliser dans la note finale les difficultés que l’élève a rencontrées pour obtenir un résultat. Lors de l’examen final, seul devrait compter ce qui a été produit ce jour-là en dehors de toute autre considération. Y ajouter des points prenant en compte le « mérite » semble relever de la discrimination positive mais pénalise ceux qui ont rencontré des difficultés pour arriver à un résultat comparable. Si, en plus d’un résultat décevant, on enlève des points à ceux dont les difficultés se sont traduites par un comportement gênant, on pratique la double peine.
Enfin, si l’on veut évaluer les comportements citoyens et l’engagement des élèves encore faut-il que ceux-ci puissent se développer dans les établissements. À quoi cela sert-il d’évaluer la citoyenneté si les collèges ne sont pas eux-mêmes des lieux de vie citoyens et d’apprentissage de la démocratie ?
Faut-il pour autant refuser toute idée d’évaluation du comportement des élèves et de la vie scolaire ? Évaluer le « vivre ensemble », comme le rappelle Claude Thélot, est aussi le moyen de donner une reconnaissance officielle et de mettre en valeur certains aspects de la vie scolaire jusque-là négligés.
Peut-être qu’une des solutions serait de valoriser (sous forme d’une bonification) l’implication de l’élève en s’accordant sur quelques critères portant sur les capacités mises en œuvre dans cet engagement (prise de parole, écoute, réalisation de projets, prise d’initiatives, capacité à entraîner une équipe, etc.). Ces critères gagneraient à être élaborés avec les élèves.
Une autre piste peut être trouvée dans le principe (nullement aisé à mettre en place) du permis à points. On commence l’année avec un capital initial puis chaque manquement au contrat scolaire et social coûte des points, inversement il est possible de corriger ses erreurs et de rétablir ses points.
Dans tous les cas, cela suppose un réel engagement éducatif de l’ensemble de la communauté scolaire et un projet global de l’établissement.
L’époque est à la répression et à la sanction. La « note de vie scolaire » dans un tel contexte risque de n’être qu’un élément de plus dans un arsenal répressif déjà bien lourd. On est bien loin de l’acte éducatif pourtant au cœur de notre mission.

Philippe Watrelot


La note de vie scolaire

Vous pouvez télécharger ce diaporama au format .pps (PowerPoint). On peut le lire avec la visionneuse gratuite (à télécharger ici) ou avec la suite gratuite OpenOffice.

diapo2_nvs_watrelot.pps.zip


Vous pouvez poursuivre la réflexion sur la note de vie scolaire avec un autre article qui réunit les réflexions d’un groupe de travail durant les rencontres du CRAP 2006.

Consultez également le N° 438, L’évaluation des élèves de décembre 2005.

Lire le dossier réalisé par Pierre Madiot, rédacteur aux Cahiers, pour l’espace éducatif de France 5.