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La mondialisation économique enseignée au lycée

En histoire-géographie, les lycéens des filières générales rencontrent les enjeux de la mondialisation à travers des notions comme les « espaces productifs » et les « mobilités », qui sont traitées via des exemples comme les technopôles, dont on loue les capacités d’innovation, ou les ports de conteneurs, symboles du transport international des marchandises.

Pour développer une vision globale de la manière dont fonctionnent les échanges mondiaux, je propose à mes élèves de mettre en relation cette vision focalisée sur la logistique et le développement des technologies, avec un questionnement sur l’utilisation des ressources terrestres, ainsi que sur une géographie humaine faisant apparaitre les acteurs des filières économiques mondialisées.

Effondrement

En ce qui concerne l’utilisation des ressources, j’ai proposé cette année, en classe de 1re ES, un cours sur le rôle du pétrole dans notre économie. Nous consommons 100 millions de barils par jour, et les élèves prennent rapidement conscience que cette matière première est présente partout (transports, matières plastiques, vêtements synthétiques, chauffage, engrais chimiques, etc.). L’extrême richesse que nous offre cette ressource est totalement inédite dans l’histoire de l’humanité. On estime qu’à l’heure actuelle, un Français possède l’équivalent de 400 esclaves énergétiques.

Pour illustrer le risque que représente notre dépendance actuelle au pétrole, il est intéressant de développer, via des articles et des extraits de reportages, l’exemple du Venezuela. Ce pays était le plus riche d’Amérique latine jusqu’en 2014 et tirait 96 % de ses revenus de la rente pétrolière. L’effondrement des cours du pétrole brut, et surtout le choix de la monoproduction qui a rendu l’économie et la société totalement dépendantes du pétrole, des difficultés croissantes de production et une corruption massive ont provoqué une crise économique sans précédent, suivie d’hyperinflation, d’une émigration massive et de nombreuses pénuries à l’intérieur du pays (alimentation, électricité, matériel médical, etc.). Cet exemple assez dramatique permet aux élèves de comprendre les conséquences en chaine qui ont suivi l’effondrement de la production de pétrole (ralentissement brutal de l’économie, incapacité à importer les denrées de base, crise alimentaire et sanitaire, manifestations et crise politique, dévaluation, dégradation rapide de toutes les infrastructures dont la production d’électricité, etc.). Les élèves sont assez choqués par la situation des Vénézuéliens, qui doivent sillonner Caracas plusieurs jours d’affilée et se ruiner pour acheter une simple boite d’antibiotiques au marché noir, ou qui sont difficilement reconnaissables sur des photos vieilles de quatre ans tant ils ont maigri (au cours de la seule année 2017, les Vénézuéliens ont perdu en moyenne onze kilos).

Cet exemple peut faire office de signal d’alarme, car les experts annoncent le pic pétrolier en 2025, et jusqu’à présent, la consommation quotidienne de pétrole ne cesse de croitre sans que les alternatives se développent suffisamment, ce qui ne peut que nous interroger sur la sécurité énergétique mondiale dans les décennies à venir.

Coton, pesticides, esclavage

Donner à voir les réalités quotidiennes des individus pris dans des situations économiques ou géopolitiques particulières est l’une de mes priorités dans ma façon d’aborder les notions géographiques. Étant donné que la plupart de mes élèves sont très influencés par la mode et friands de shopping, je leur ai proposé quelques séances sur l’industrie textile. La production du coton OGM, notamment en Inde, permet d’évoquer la question des semences génétiquement modifiées et du modèle agricole qu’elles entretiennent. Cela renvoie également à la question des pesticides, de leurs conséquences graves sur la santé humaine et sur la biodiversité, car un quart des pesticides épandus dans le monde concerne la culture du coton. La question de la confection textile nous emmène de l’autre côté de la frontière, au Bangladesh, où de plus en plus de reportages traitent des conditions exécrables dans lesquelles est produit l’essentiel des vêtements vendus par les grandes marques de prêt-à-porter. En images, la gravité de cette situation interpelle grandement les élèves, qui se demandent souvent si les dirigeants des entreprises occidentales en cause sont réellement au courant du non-respect des droits des travailleurs dans les ateliers de sous-traitants en Asie. Ils se demandent aussi très souvent pourquoi l’ONU n’interdit pas ces pratiques, et réalisent brutalement la complexité et l’ampleur des réformes à entreprendre au sein d’un système dont le succès est basé principalement sur cette main-d’œuvre si bon marché (environ deux euros par jour au Bangladesh). Pour terminer, à travers des documents présentant des statistiques parlantes sur l’évolution de la vente de vêtements (qui aurait doublé en France au cours des quinze dernières années), les élèves sont invités à réfléchir sur l’intérêt de la fast fashion, de la publicité omniprésente, des évènements commerciaux comme le Black Friday, etc. Ils arrivent assez vite à des conclusions lucides sur leur responsabilité en tant que consommateurs dans le système économique mondialisé. « D’un côté, on est victimes parce qu’on n’a pas décidé, mais en même temps on est responsables parce qu’on achète. »

L’apprentissage d’une sobriété heureuse

Introduire ce genre de sujets en cours donne inévitablement lieu à l’expression de diverses émotions. De l’indignation apparait par rapport aux situations qu’ils découvrent, mais aussi quand on évoque l’idée d’accepter de modérer leurs achats ou leur manière de consommer. S’ils sont pleinement conscients que le fait d’acheter un produit encourage l’entreprise qui le commercialise à continuer ses pratiques, ils sont très frustrés à l’idée de devoir s’en priver, et une phrase revient très régulièrement : « Il faut se faire plaisir quand même. » J’ai tellement entendu cette expression dans la bouche des élèves que j’en suis venue à une conclusion assez triste : nous sommes tellement formatés par la société de consommation que nous avons du mal à imaginer le plaisir autrement que dans le fait de s’acheter quelque chose. Pour imaginer quels chemins pourrait prendre une transition vers une société plus sobre et plus éthique, j’ai mis en place dans mon lycée un atelier « permaculture », qui consiste à faire des potagers en bacs, dans la cour. L’idée est, pour commencer, d’enseigner aux élèves les gestes de base pour faire pousser diverses variétés de légumes, mais aussi de créer un lieu agréable et participatif dans leur espace quotidien, dont ils prennent soin, et où ils aiment passer du temps ensemble pour planter, semer, arroser, etc. Cela participe d’un début de réenchantement de leur espace de vie, qui les reconnecte avec le vivant, les fleurs, la météo (s’il a plu la veille, pas besoin d’arroser). Cette activité suscite beaucoup d’enthousiasme auprès des élèves, qui sont ravis de travailler un peu dehors et de voir pousser les légumes et les fleurs semaine après semaine.

Lila Hébert
Professeure d’histoire-géographie à Cannes