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La mémoire : une galaxie à explorer

Le cerveau : un univers dans l’Univers… L’infiniment petit et l’infiniment grand, cent milliards de neurones pour l’un et quinze milliards d’années pour l’autre, se jouent de nos capacités de représentation et nous font hésiter, pour toucher leur mystère, entre les sciences et la poésie.
Et c’est bien le même vertige qui nous saisit devant la rouge nébuleuse d’Orion, gaz et poussière sans début ni fin ; comme devant l’illumination lorsque soudain on comprend. Ou encore devant une étoile depuis longtemps disparue alors qu’elle brille devant nos yeux, diamant d’un soir d’été ; comme devant l’intensité et la précision du souvenir d’une odeur de pomme verte ou d’un visage disparu.
Si l’on est aussi loin de pouvoir tracer les limites de l’univers que de provoquer les cheminements neuronaux qui amèneraient invariablement à la compréhension et à la mémorisation, il n’en demeure pas moins que l’on commence aujourd’hui à entrevoir quelques chemins d’accès…
Quand on pense à « mémoire », qu’est-ce qui vient à l’esprit ?
– L’élève qui déclare qu’il n’arrive pas à retenir et décrète qu’il n’a « pas de mémoire », et celui qui croit savoir parce qu’il a « récité à sa mère » la veille, juste après avoir appris sa leçon ;
– celui qui sait parce qu’il a écouté, ou parce que « bien lire deux fois lui suffit », et celui qui se balance en s’imprégnant des mots, des chiffres (« deux fois deux quatre ») ;
– l’enseignant conquis par l’idée d’auditifs et visuels et qui, après un test, pense pouvoir déterminer le profil de ses élèves, et celui qui rejette « ces idées fumeuses » ;
– celui qui regrette « le temps où l’on apprenait par cœur », pense que les maux de l’école viennent en grande partie de cet « abandon » et celui qui « ne veut pas que ses élèves apprennent bêtement » et ne croit guère à cet « apprentissage primaire » fait sans vraiment comprendre ;
– le chercheur qui remet en cause les idées reçues tout en avançant avec prudence des hypothèses et l’auteur d’un livre à succès intitulé « les cent méthodes pour retenir » ;
– les romans fameux où la mémoire joue le rôle central, où l’on recherche le temps perdu dans un souvenir gustatif ou visuel, et les articles de magazines de vulgarisation scientifique où l’on découvre les cas fabuleux de mémoires exceptionnelles, où l’on essaie d’imaginer ce que peut être le fonctionnement de certains cerveaux après des lésions graves ;
– les périodes historiques où le papier n’existait pas, où le barde grec connaissait par cœur six mille vers et où l’on s’inventait des méthodes ingénieuses pour retenir tant de choses et la nôtre, avec ses ordinateurs qui ont une mémoire de plus en plus puissante ;
– ces fascinants musiciens qui jouent sans partition, ces acteurs au texte abondant et continu, ces danseurs qui ont intégré tant de gestes réglés avec précision et donnent pourtant l’impression d’improviser et ceux qui ont, subitement, un « trou », le « souffleur » qui supplée à ces trous ;
– et… les rédacteurs des Cahiers pédagogiques débattant pour construire ce numéro : est-ce que mémoriser et comprendre c’est pareil ? Est-ce qu’il faut automatiser certains apprentissages, donc recourir au par cœur ?
C’est avec ces ingrédients finalement que nous avons élaboré ce dossier, le premier des Cahiers entièrement consacré à ce thème. Il était temps de montrer que, depuis longtemps, les pédagogues ne se contentent pas de grandes déclarations sur l’importance de mémoriser, mais qu’ils proposent des pistes nombreuses : depuis les « trucs qui marchent » jusqu’aux analyses plus approfondies, appuyées sur les résultats de recherches encore trop mal connues d’enseignants enclins à confondre « mémoriser » et « photographier » ou « enregistrer passivement ». Les recherches récentes révèlent des mécanismes et des principes qui sortent pour partie les processus de mémorisation des ténèbres. Ainsi, certaines réponses apportées par les neurosciences au sens le plus large permettraient, à condition de bousculer des représentations et des habitudes, de mieux accompagner les élèves.