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La loi Debré. Paradoxes de l’État éducateur

Un livre important, issu du colloque d’Amiens, marque le quarantenaire de La loi Debré. Paradoxes de l’État éducateur ? Le projet était de passer des contrats avec les établissements privés volontaires et non de reconnaître une structure nationale de l’enseignement catholique – « une loi laïque », dit Claude Lelièvre. Mais il a dévié, le pays s’est déchiré, chacun des deux camps aussi, chacun croyant que l’autre est monolithique ; puis avec la loi Guermeur « les extrémistes de deux camps se sont retrouvés pour casser l’économie de la loi Debré, qui était de constituer un même corps enseignant, formé de la même manière, ayant les mêmes intérêts pédagogiques, et une même solidarité professionnelle », dit Edmond Vandermeersch, qui fut secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique. Vingt ans après, Alain Savary reprendra la question dans le cadre du pluralisme : « L’unité du service public n’est pas synonyme d’uniformité ; chaque établissement – public ou privé – concourant au service public devait disposer d’une marge de responsabilité exprimée par son projet. C’est le projet d’établissement qui déterminait en particulier l’identité de l’établissement, qu’elle fut spirituelle, pédagogique, culturelle » ; il se heurtera aux mêmes difficultés.

Comme la loi de 1905, la loi Debré est une construction juridique originale : elle ne connaît que des établissements privés, au pluriel, même si c’est bien « l’enseignement privé », au singulier, qu’elle amène à s’organiser. Révisons nos catégories : l’éducation nouvelle demande une pensée libre sur l’éducation. « La pédagogie se sécularise au sein des établissements eux-mêmes […] et ne se réfère plus à une identité commune de l’enseignement privé ou public » dit Jean Houssaye. Dire, comme les évêques, que « l’apport original de l’enseignement catholique est de lier, dans le même temps et le même acte, l’acquisition du savoir, la formation de la liberté, l’éducation de la foi », est, pour E. Vandermeersch, une « hérésie ».

Le problème n‘est plus un « caractère propre » paradoxal puisque les établissements privés doivent à la fois accueillir tous les enfants et respecter leur liberté de conscience ; mais Bernard Toulemonde avertit, à partir des affaires de foulard qui étendaient abusivement aux élèves l’exigence de neutralité exigée à bon droit des personnels : « Si l’enseignement public adopte à l’avenir des positions trop raides, les musulmans auraient le droit de demander l’ouverture d’écoles sous contrat ». « Les subventions de l’enseignement privé sont aujourd’hui très majoritairement acceptées, y compris dans l’électorat de gauche, le choix de l’établissement scolaire, mais aussi du secteur, est très fortement revendiqué », montre Gabriel Langouët. Pour Bruno Poucet, cette loi « ambiguë […], conçue par son promoteur pour rapprocher les deux enseignements, n’a peut-être pas encore épuisé en ce sens toutes ses vertus : il ne resterait alors qu’une seule école, pluraliste, où la place des familles spirituelles, politiques, etc. serait reconnue : triomphe posthume d’Alain Savary ou d’une solution voisine ? »

Cela étonnera. Mais « les protagonistes les plus actifs du moment sont bien plus fins et nuancés que leurs troupes », dit Jacky Beillerot. Relisons nos Cahiers : en 1959, F. Goblot écrivait (n° 14) : « nous n’en voulons à personne. Nous condamnons seulement un principe, celui d’un enseignement qui serait à la fois public – payé par l’État – et confessionnel ».

Mais Pierre-Henri Simon (n° 12) avait demandé : « Faut-il souhaiter la mise en place d’un monopole scolaire de l’enseignement public ? Théoriquement oui, mais à condition que celui-ci soit consenti d‘un commun accord », tout en précisant : « un principe de concurrence, de liberté, de pluralisme, est nécessaire à l’ordre d’une cité récusant toute tentation totalitaire ». En 1973 (n° 114), J. Delannoy avançait : « un enseignement peut être à la fois dispensé par l’État et pluraliste […] ; si l’école confessionnelle accepte des non-croyants – et les accepte comme élèves à part entière et non par l’effet d’une généreuse tolérance – on ne voit plus en quoi se justifie son existence spécifique ». En 1983, le n° 212-213, sur le projet Savary, rappelle « les occasions perdues », et trop oubliées, de règlement du conflit. Sous un titre significatif, « Pluraliste ? privé ? décentralisé ? », il insiste sur la décentralisation, et sur la nécessité de faire place, dans l’enseignement public lui-même, au patrimoine culturel que constituent les religions (voir le n° 323), et conclut : « c’est l’enseignement public qui doit être libre, libre des pesanteurs, des conformismes, des autoritarismes ». L’affirmation vaut encore.

Mais tous les laïques, y compris le CRAP, se dresseront en 1993 contre la tentative de Bayrou de modifier la vieille loi Falloux ; protestation paradoxale si l’on se souvient de l’esprit qui était celui de la loi Falloux !

On retrouvera ces thèmes dans d’autres livres.

Jacques George