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La gauche aime-t-elle encore l’école ?

Malgré les efforts du secrétariat national à l’éducation et du groupe des experts du PS, malgré la publication de deux bons dossiers, l’un sur le bilan de la droite (« La droite et l’éducation. Le livre noir de l’éducation » en avril 2007) et l’autre sur le projet socialiste pour l’école (« Priorité à l’avenir » en juin 2007) – dossiers passés inaperçus, que l’on peut néanmoins encore trouver sur le site éducation du PS -, le fait est que l’éducation n’est plus et depuis déjà longtemps la priorité du projet socialiste. L’affaiblissement des autres composantes de la gauche et le poids du conservatisme que l’on y trouve ne permettent pas de stimuler par le débat la pensée politique sur l’Ecole.

Emmanuel DAVIDENKOFF, ancien journaliste de Libération, avait parfaitement analysé la situation dans son livre publié en 2003 « Comment la gauche a perdu l’école » (Hachette) que les responsables des partis de gauche ont eu tort de ne pas lire et de ne pas mettre en débat. Au fil du temps, d’absence de courage politique de concessions électoralistes à court terme, de renoncements, de frilosités à de longs moments de tétanie (2002, 2007), le PS a éloigné l’école du cœur de son projet de société. La gauche en général n’a pas mieux fait.

Les faiblesses se sont accumulées au point d’être irréversibles laissant le champ libre à la droite qui n’en espérait pas tant:

– l’abandon corps, biens et âme de la loi d’orientation de 1989, loi fondatrice d’une nouvelle école pour le 21ème siècle qui n’avait pas eu le temps d’être correctement appliquée. Cet abandon était déjà inscrit dans le projet présidentiel de son auteur, Lionel Jospin lui-même, en 2002.
– la complaisance pour le grand débat sur l’école lancé par la droite après sa dramatique victoire en 2002
– le soutien plus ou moins ouvert apporté par des caciques, des élus et des responsables de gauche, aux mesures réactionnaires décidées par le ministre de Robien favorable au retour à l’école du 19ème siècle et à des méthodes qui avaient fait depuis des lustres la preuve de leur inefficacité. Combien de grands élus de gauche, mesurant mal leur dimension politique et succombant au piège de la nostalgie, n’ont-ils pas approuvé le ministre sur la lecture, la grammaire, les leçons de mots, etc. ? Ils sont, comme leurs collègues de droite, convaincus que ce qui « a marché » pour eux hier et surtout avant-hier doit « marcher » pour les autres aujourd’hui et demain ?
– le mépris affiché pour la pédagogie considérant que le modèle de la transmission est universel et éternel et donc incontestable. C’est ce modèle qui a fonctionné pour les décideurs…
– la frilosité des responsables sur des questions clés comme celles des programmes scolaires, des disciplines, de la place de l’élève – la volonté de mettre l’élève au centre du système semble curieusement faire l’unanimité contre elle -, des méthodes permettant l’apprentissage des valeurs, de la citoyenneté, de l’exercice de la responsabilité individuelle et collective, le développement prioritaire de la capacité de développer l’intelligence générale, la place des établissements dans la cité, les missions des enseignants….
– la puissance du « syndrome Allègre qui conduit les responsables du PS à ne pas prendre le moindre risque de déranger si peu que ce soit les professeurs, pariant avec une certaine légèreté sur la reconquête de leurs voix. Il est plus facile de charger Allègre de la responsabilité de la perte de leurs voix que de s’interroger sur la crédibilité et la force du projet éducatif
– l’absence de dialogue clair avec des gens comme J-P Chevènement et d’autres qui ont soutenu la candidature socialiste aux élections présidentielles et qui soutiennent ouvertement les nouveaux inquisiteurs de l’école d’aujourd’hui, SLECC, GRIP, et autres brighellistes (du nom de l’auteur du best seller « La fabrique du crétin »)

Fuyant les problèmes de fond, craignant la perte des voix des conservateurs avec une opinion publique mal informée et tentée par un retour à l’école de grand papa même quand elle en a été victime, oubliant les forces du progrès dont la déception par rapport à l’absence de courage politique de la gauche et du PS n’a cessé de croître, on s’est plongé avec soulagement et délectation dans la question des moyens. Que de voix perdues dans son propre camp, celui des mouvements pédagogiques, des grandes associations d’éducation populaire, des syndicats progressistes, pour essayer de grappiller celles des autres ! La question des moyens est évidemment considérable. Elle le serait bien davantage si elle ne permettait pas d’occulter les problèmes posés par les réformes nécessaires, si elle était traitée en termes de moyens pour réformer et non pour fossiliser.

On ne parle donc plus à gauche que des suppressions de postes… et de rien d’autre. C’est quasiment une aubaine pour la gauche, qui lui permet de sortir de son silence. Il est vrai qu’en termes de moyens, elle a toujours fait mieux que la droite. La démocratisation qualitative a-t-elle progressé pour autant? Et pourquoi la gauche n’a-t-elle pas réussi ? Il est plus facile de protester que de proposer, mais cela n’améliore pas sa crédibilité. On engage donc le combat contre les 11 000 suppressions de postes annoncés sans jamais s’interroger sur le « pour faire quoi ». Serait-ce pour faire la même chose ou plus de la même chose? Alors l’unité sera facile à réaliser et la protestation sera vigoureuse. Mais si l’on s’engageait dans la proposition d’un projet de réforme justifiant le maintien et la création de postes, faute de débat suffisant et de travail en profondeur, l’unité volerait sans aucun doute en éclats.

Deux sujets ont quand même fait l’objet d’une forte médiatisation : la carte scolaire et le soutien. Pour ces deux sujets, les discours de la droite et de la gauche sont quasiment identiques, ce qui réjouit les conservateurs. Pour le premier, on oublie, c’est facile, que l’école ne peut résoudre ce problème si les politiques du logement, de l’aménagement du territoire, de l’apprentissage du vivre ensemble (comment ça s’apprend ça ? Par la transmission?) ne sont pas traitées sérieusement en amont et à long terme. Pour le second, on admet le soutien comme une nécessité inéluctable, une fatalité, une évidence qui n’interpelle personne nulle part. Or, parler du soutien sans aborder les questions qui fâchent, celles des raisons qui produisent les besoins de soutien, relève de la naïveté ou de la malhonnêteté intellectuelle. Imposer des heures supplémentaires, des exercices et des explications magistrales après l’école, à des enfants qui souvent ne comprennent pas le sens des activités scolaires, avec des personnels moins compétents que les enseignants, alors que l’école elle-même échoue, cela fait consensus et donne bonne conscience.

À droite, le champ laissé libre par la gauche est occupé avec une grande habileté, avec une vision politique décomplexée et une efficacité redoutable.

On peut lire dans la lettre de mission adressée par le président de la République le 5 juillet 2007 à son ministre de l’Education, des audaces de façade qui entretiennent la confusion et qui peuvent séduire.

Exemples : – « les conséquences de la bataille mondiale de l’intelligence sur le niveau de formation et les qualités intellectuelles qu’il convient de développer », « en ayant à cœur que l’école regarde vers l’avenir et non pas qu’elle cultive la nostalgie du passé », « les nobles objectifs du collège unique », « que l’école offre un visage nouveau en phase avec certaines aspirations modernes de la société »… On sait bien ce qu’il en sera réellement et on voit bien dores et déjà que ce discours présidentiel moderne permet au ministre de l’Education Nationale de faire discrètement le contraire. Xavier Darcos a récemment approuvé les mesures de son prédécesseur et conforté les positions les plus conservatrices, tout en tenant par ailleurs des discours plus ouverts à l’innovation. De toutes façons, l’impact de la communication présidentielle domine le paysage.

Ainsi, dans ce domaine comme dans d’autres, la droite tient un discours fort empruntant des bribes d’idéologie de gauche. Il n’est pas exclu que le Président fasse un jour référence au plan Langevin Wallon et à la loi de 1989, à Jean Zay et à Jack Lang ! La gauche, elle, pétrifiée, désemparée, évite au fond d’occuper ce terrain qu’elle ne comprend plus et fuit les problèmes de fond, comme celui de la place et du rôle de l’Ecole dans une société qui a considérablement évolué sans que l’on ait pu y jouer un rôle politique au sens le plus noble, se réfugiant dans une attitude protestataire et dans une recherche de consensus naturellement mous.

La gauche, et notamment le PS, aime-t-elle encore l’école ?

On peut en douter. Dans le programme de l’université d’été du PS à La Rochelle, sur une vingtaine d’ateliers, pas un seul n’est prévu pour parler de l’école et du triomphe du conservatisme. Pas un seul qui traite de l’école comme vecteur de la construction d’une nouvelle société, démocratique, humaine, généreuse. Pas un seul qui mette en relation l’école, le projet de société et la défaite électorale. La secrétaire nationale à l’éducation du PS se retrouve comme participante dans un atelier consacré aux « raisons de l’échec électoral du Front National ». Elle aurait pu, et sans doute préféré, animer un atelier sur « l’éducation parmi les raisons des échecs électoraux de 2002 et 2007″… ou sur « la construction d’une autre école… pour changer la vie ». Mais de tels sujets sont à l’évidence évités.

« Dans ce contexte incertain, il faut d’abord, comme le disait Lionel Jospin en 1993, des pensées libres ». La mobilisation des mouvements pédagogiques, des grandes associations d’éducation populaire, de ceux des citoyens qui ont compris que l’éducation n’est pas un problème technique mais un problème éminemment politique et que l’Ecole ne peut pas avancer en faisant une marche arrière de 30 ans, sera indispensable si l’on veut vraiment éviter la ruine du système éducatif, garantir une réelle démocratisation et oser enfin ouvertement agir pour développer la fonction émancipatrice de l’école, qui au-delà des résultats scolaires à court terme, des statistiques, des courbes et des camemberts, est le véritable levier pour construire une société plus humaine, plus juste, plus moderne, plus fraternelle…

Pierre Frackowiak, le 27/08/2007.