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La culture à l’école et les présidentielles

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Le Forum permanent pour l’éducation artistique a posé huit questions aux principaux candidats à l’élection présidentielle sur leurs intentions en matière de formation artistique et culturelle des jeunes.

Le 15 mars, les représentants des candidats PS, UMP, UDF et PCF à l’élection présidentielle, et Dominique Voynet, candidate des verts, étaient présents à la rencontre public, organisée, le au Théâtre national de la Colline par le FPEA. Ils sont venus présenter et défendre leurs réponses, lors d’un échange public avec les acteurs de terrain et des personnalités du monde de l’éducation, des arts et de la culture. Les réponses sont téléchargeables sur le site de la Ligue de l’Enseignement (choisir la rubrique « La Ligue prend position », puis « Culture »).

Le Café pédagogique publie dans son Expresso du 5 avril : Formation culturelle pour tous ? Cet article de Jean-Michel Zakhartchouk (rédacteur aux Cahiers) analyse les propositions des candidats.

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Pour aller plus loin dans la réflexion, nous invitons nos lecteurs à télécharger notre hors série « la culture à l’école »

Extraits significatifs des réponses des trois candidats ayant des chances d’être élu
(c’est nous qui soulignons les points qui nous paraissent les plus importants)

1. Ségolène Royal

(réponse de cinq pages)

Je souhaite que soit créée, dans les deux programmes du ministère de l’Education nationale « enseignement scolaire » du premier et du second degré, une action « éducation et enseignement artistique et culturel » dans laquelle seront regroupées toutes les actions qui concourent à cet objectif. Cela permettra d’assurer une meilleure transversalité et une plus grande visibilité.
J’insiste sur « éducation et enseignement ». Je veux procéder à la réconciliation effective, pleine et entière des tenants de l’éducation artistique en partenariat et des enseignements artistiques de spécialité. Cela ne peut pas être les uns contre les autres. Cela doit être les uns avec les autres. Je demanderai au ministre chargé de l’Education nationale de prendre les mesures d’organisation qui s’imposent pour procéder tant au niveau central qu’au niveau académique à cette unité de pilotage.

Si l’Ecole n’assure pas cette mission républicaine et laisse aux inégalités sociales et aux modes le soin de transmettre la culture, de conformer et d’uniformiser les goûts, elle n’est pas vraiment l’école de la République parce qu’elle délaisse sa mission d’égalité et aussi de liberté, cette liberté essentielle qui est la liberté de choisir vraiment.
Plus on centrera les activités de la classe ou de l’accompagnement scolaire sur des fondamentaux instrumentaux, plus on laissera les élèves qui n’ont que l’école pour s’acculturer, perdre pied ; et seuls pourront enrichir leurs connaissances ceux qui, grâce à leur milieu familial ou leur lieu d’habitat, fréquentent les musées et les salles.

On ne renforcera pas la place de l’éducation artistique et culturelle en surchargeant des emplois du temps déjà reconnus comme lourds. Je n’envisage pas ce temps contre le temps des enseignements disciplinaires, mais dans le cadre du temps de présence des élèves dans les bâtiments scolaires, par un aménagement de cours, lors de la pause méridienne, parfois à la place des études dirigées, du soutien ou de l’aide aux devoirs… Cela dépend de l’organisation des horaires et des contraintes du ramassage scolaire propres à chaque école et à chaque établissement public local d’enseignement (EPLE).
Ces temps devront prendre en compte les trois piliers de l’enseignement et de l’éducation artistique : le temps de l’acquisition de connaissances, notamment en matière d’histoire des arts et des techniques, le temps des pratiques, découvertes personnelles et collectives d’un art et le temps de la fréquentation accompagnée des œuvres, découverte personnelle et collective de la diversité de l’expression culturelle, patrimoniale et contemporaine dans les lieux de production et de diffusion, musées, centres d’art, bibliothèques, théâtres, salles de cinéma…Les « travaux croisés » dans les collèges et les « travaux personnalisés […] Les travaux croisés (collèges) et encadrés (TPE) » dans les lycées seront relancés.
L’éducation artistique et culturelle s’inscrira dans le cadre de projets culturels d’établissement bien construits, qui feront ainsi des établissements scolaires des foyers de vie culturelle rayonnant sur leur environnement comme savent si bien le faire les établissements agricoles.
Les BCD et les CDI seront incités et aidés à s’ouvrir hors du temps scolaire et à accueillir la population voisine et d’abord les parents, frères et sœurs des élèves. Ce seront de véritables espaces de lecture publique. Les permanences pourraient être assurées par des animateurs formés par les bibliothécaires de lecture publique ou les professeurs documentalistes. Ils pourraient y accueillir pour leurs activités les bénévoles d’associations pour le développement de la lecture (« lire et faire lire », « Accès » et d’autres). Je proposerai aussi aux enseignants-documentalistes ou CPE volontaires de devenir des correspondants culturels dans tous les établissements, interlocuteurs privilégiés des responsables des services éducatifs et culturels des institutions culturelles.

La question de la formation des enseignants est décisive. Il leur sera proposé au cours de leur temps de formation initiale de faire un stage d’immersion dans une équipe culturelle, ou dans une association oeuvrant dans le secteur culturel (lutte contre l’illettrisme, amis de musées, associations de culture scientifique ou technique…). Mais surtout, l’histoire des arts, des sciences et des techniques sera inscrite dans tous les cursus conduisant à la formation des enseignants du premier et du second degré et évaluée aux concours et aux examens professionnels.
Le rôle de la formation continue pour les enseignants volontaires est essentiel. Les budgets ont tellement diminué ces dernières années qu’il n’existe pratiquement plus de stages pratiques dans les Plans académiques de formation ouvrant droit à l’obtention de certifications complémentaires. Ces stages doivent être remis en place et plus largement ouverts aux chefs d’établissement et aux personnels d’inspection. Un rapprochement avec les animateurs de l’éducation populaire devra être étudié.

2. François Bayrou

(réponse de cinq pages)

Personnellement, je suis convaincu que c’est le devoir de l’école de donner les éléments d’une première éducation artistique et cette initiation doit concerner tous les élèves. Je me réjouis, malgré les réticences et les résistances très fortes, que l’éducation artistique et culturelle fasse partie du socle des connaissances et compétences indispensables que chaque élève devra maîtriser. Car l’éducation artistique et culturelle n’est pas accessoire par rapport aux apprentissages fondamentaux : les arts sont primordiaux pour accéder aux apprentissages fondamentaux car ils leur donnent du sens. Elle est un droit au même titre que l’éducation tout court : aux inégalités sociales de fait devant l’accès aux œuvres s’ajoutent des inégalités par rapport à l’accès à l’éducation artistique et culturelle. Selon moi, un des impératifs des politiques culturelles est de transmettre la culture pour en faire ce que j’appelle une « culture de peuple ».

Il faut mobiliser la communauté éducative, former les artistes et les enseignants au montage de projets, convaincre aussi les parents d’élèves. Il faut commencer par rendre effectif les textes qui existent déjà : ainsi la loi du 06 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques doit être appliquée omplètement et une loi programme est indispensable pour réaffirmer la nécessité d’une initiation artistique dans le primaire et d’enseignements obligatoires (en plus des cours de musique et d’arts plastiques) dans tous les établissements secondaires. C’est pourquoi, il faut rendre obligatoire l’inscription par toutes les écoles et tous les établissements (collèges et lycées) d’une dimension artistique et culturelle dans leur projet d’école ou d’établissement. Il faut aussi intégrer dans les programmes la dimension artistique aux matières dites « fondamentales », par exemple en abordant systématiquement l’histoire de l’art dans les cours d’histoire. Plus généralement, il faut former les enseignants à améliorer la transversalité et la complémentarité des enseignements.

Il semble nécessaire de prévoir un moment dans l’emploi du temps de l’élève consacré aux actions de sensibilisation et aux pratiques des arts et de la culture. Il faut réfléchir à cette évolution sur les rythmes scolaires de l’élève et réserver un temps pour ces actions. Au demeurant, je crois que, pour donner une réalité à l’éducation artistique et culturelle dans les programmes, il faut tout d’abord s’assurer que les trois heures hebdomadaires consacrées aux activités artistiques dans le primaire sont bien réalisées dans l’ensemble des classes et des écoles. […]. Il faut aussi rendre obligatoires les enseignements artistiques qui sont aujourd’hui facultatifs ou optionnels comme au lycée. Il faut enfin pour les enseignements artistiques obligatoires les rénover et réfléchir à l’allongement à deux heures le temps consacré à ces enseignements au collège : en une heure, il est impossible de développer une initiation à une pratique artistique. Ces enseignements devraient être réalisés en demi classes.
La question du partenariat est essentielle.

On n’arrivera à rien si on ne forme pas les enseignants et les artistes. Je suis convaincu que seule une sensibilisation approfondie des futurs enseignants aux arts et à la culture permettra la généralisation de l’éducation artistique et culturelle à l’école. C’est l’une des clés de la transmission d’une culture artistique et culturelle aux enfants et de l’éveil de leur sensibilité. Il ne s’agit pas seulement de formation initiale des enseignants qui est totalement défaillante dans les IUFM, mais aussi de la formation continue des enseignants, aujourd’hui quasi inexistante, pour les inciter à développer les projets artistiques et culturels. Il faut profiter du renouvellement sans précédent du personnel enseignant pour former les professeurs des écoles à l’histoire des arts et des cultures, pour les sensibiliser aux pratiques d’une activité artistique ou culturelle ainsi qu’à la pédagogie de celles-ci.
En ce qui concerne la formation continue, il faut multiplier au sein des IUFM les modules de formation aux arts, tous les arts et assurés par des artistes et de professionnels de la culture. Au-delà des enseignants, il faut aussi prévoir une sensibilisation artistique des cadres de l’éducation nationale et notamment des chefs d’établissements et de leurs adjoints. On pourrait imaginer de mettre en place une journée de formation ou de sensibilisation artistiques pour l’ensemble des responsables des établissements scolaires mais aussi des cadres de l’éducation nationale (personnels des rectorats et des inspections académiques).

3. Nicolas Sarkozy

(réponse de deux pages)

L’éducation culturelle et artistique n’est pas une mission annexe de l’Education nationale. Elle doit être, au contraire, au cœur des missions de l’école car la culture est un puissant instrument d’émancipation sociale. Pour cela, nous disposons déjà de moyens conséquents puisque le budget de l’enseignement scolaire qui est consacré à l’éducation culturelle et artistique représente chaque année 1,5 milliards d’euros : c’est l’équivalent de la moitié du budget du ministère de la Culture. Je veillerai cependant à ce que le rythme de créations de postes suive l’évolution des besoins et à ce que les établissements qui choisissent de consacrer leur projet à l’éducation culturelle et artistique reçoivent les moyens nécessaires.
Je veux que l’éducation artistique et culturelle fasse partie intégrante de l’organisation des enseignements, par la création d’un enseignement dédié à l’histoire de l’art. Par ailleurs, je souhaite que les familles puissent choisir d’inscrire leurs enfants dans un établissement scolaire proposant un mi-temps culturel, ce qui incitera ainsi un plus grand nombre d’établissements à inscrire une ambition culturelle et artistique au cœur de leur projet d’établissement.
Pensez-vous réellement que les artistes et enseignants soient mal formés actuellement ? Ce n’est pas mon avis. La formation initiale des artistes est assurée par de nombreuses et très prestigieuses écoles, qu’il s’agisse par exemple de l’Ecole de danse de l’opéra national de Paris, du CNSMD de Paris ou de Lyon, de l’ENSATT ou du Centre national des arts du cirque, pour ne citer qu’eux. Celle des enseignants de l’Education nationale est évaluée par des concours de recrutement très sélectifs. La formation des enseignants intervenants en milieu extra-scolaire est certifiée par l’obtention d’un diplôme d’Etat ou d’un certificat d’aptitude.
Ce qui importe, en revanche, c’est que la formation continue des enseignants et des intervenants soit particulièrement performante. Je suis prêt à l’améliorer en concertation avec les acteurs.


Quelques commentaires

On notera des intentions fortes des deux premiers candidats pour promouvoir une véritable éducation culturelle et artistique, avec des propositions d’organisation concrètes et un accent mis sur les obligations, les cahiers des charges. S. Royal comme F. Bayrou insistent sur le fait que la formation artistique et culturelle fait partie intégrante des « fondamentaux ». La formation des enseignants doit être améliorée nettement, disent-ils, et en particulier par la valorisation des pratiques culturelles (au passage, F. Bayrou ne peut s’empêcher, car c’est toujours facile, de taper sur les IUFM, comme si aucun effort n’était pas fait en la matière !).
On appréciera l’engagement de S. Royal (qu’on aimerait plus net cependant et plus concret) en faveur des travaux interdisciplinaires. F.Bayrou s’engage aussi nettement pour une éducation artistique pour tous au lycée, ce qui est assez révolutionnaire.
On ne peut que souhaiter qu’il ne s’agit pas là de promesses qui n’engagent que ceux qui les prennent au sérieux.
En revanche, la réponse, beaucoup plus courte et peu étayée, de Nicolas Sarkozy, montre bien que son souci n’est guère l’éducation artistique et culturelle pour tous. Certes, on peut offrir plus de culture aux familles et aux établissements qui s’engagent dans des projets, mais guère d’ « ardente obligation ». Et devinez quelles seront les familles qui feront les choix « culturels ». Tout est rapporté à l’individu et à sa « liberté ». Quant à la formation des enseignants, ce n’est pas un problème, car ils ont passé un concours sélectif. Celui-ci leur permet-il d’être pour autant des « passeurs culturels » ? Mais s’agit-il là d’une vraie préoccupation pour le candidat de l’UMP ? On ne voit guère en tout cas d’action vraiment neuve en faveur d’une éducation culturelle pour tous, même si on déclare, car c’est un passage obligé, que la culture est « un puissant moyen d’émancipation sociale ».

Le CRAP-Cahiers pédagogiques