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La classe BD
La publication d’une quinzaine de titres au sein des programmes de l’école primaire en 2002[[Documents d’accompagnements, littérature cycle 3, collection École Scérén-CNDP 2002-2004.]] marqua officiellement l’entrée de la BD à l’école avec une sélection aux styles narratifs et graphiques variés souvent novateurs. Des auteurs aussi différents que Fred (Philémon), Trondheim (Les trois chemins) y côtoyaient Franquin (Spirou) ou Philippe Coudray (l’ours Barnabé) illustration d’une certaine audace et d’une vraie reconnaissance institutionnelle. Plus souvent réduite au rôle de gadget au service d’une discipline (bien souvent le français !) qu’étudiée pour elle-même la BD allait-elle enfin bénéficier d’un statut spécifique ?
Que peut-on étudier dans une BD ?
Étudier la BD en classe revient à courir plusieurs lièvres à la fois : lecture d’images, de textes, prise en compte de la mise en page, de la couleur ou du format. Le texte vient parfois au secours de l’image pour la suppléer, en soutenir le message ou le contredire. Détruire le sens par un effet, un jeu de mot ou tout autre procédé narratif fait partie des nombreux outils utilisés par les auteurs. Une histoire « sans parole » s’avère souvent plus riche que certains paragraphes ou récitatifs bavards et redondants. À l’inverse du cinéma la BD ne possède pas de cadre normé, la taille de « l’écran » y varie sans cesse ; le traitement du son y est intimement lié au graphisme jouant sur la perception et la représentation du monde sonore par le lecteur. Son extraordinaire richesse dans les formes narratives et graphiques sollicite des intelligences et des compétences multiples et variées et impose des pratiques en rupture avec des méthodes traditionnelles.
Ainsi la lecture intégrale d’un album doit-elle se concevoir d’abord comme une aventure littéraire. La facilité avec laquelle ce support se lit et se relit favorise des stratégies de « va-et-vient », des démarches d’enquête, de recherches d’indices, des mises en réseaux. Une démarche ouverte et forcément transversale.
Une démarche transdisciplinaire
Connaître déjà Le lotus bleu de Tintin n’empêche pas d’en varier les approches interdisciplinaires. Rechercher par exemple un moyen de connaître la durée de l’histoire, se poser la question du « vrai ou du faux », de la vraisemblance (« Pourquoi Tintin est-il arrêté à Shanghai par des soldats anglais ? ») renvoie à des procédures documentaires, qui contribuent non seulement à une compréhension plus fine du contexte mais aussi à un apport culturel.
Les retours sur certaines cases mémorables ou emblématiques éclairent parfois le récit de manière inattendue et révèlent certains procédés pas immédiatement perçus par nos lecteurs zappeurs du cycle 3. Ainsi, lors d’un travail sur le premier tome de la série Angelot du Lac d’Yvan Pommaux, ils passent souvent à côté d’une série de vignettes figurant à la fin de l’histoire où l’auteur cherche à nous faire ressentir l’émotion du héros. Alors que l’histoire se termine sur un « Happy end » général… le jeune Angelot est pris de sanglots (information uniquement fournie pas l’image ou presque !). Ce travail de décodage minutieux autour des relations texte-image révèle à la fois un élément important du récit (les sentiments du garçon) et un procédé spécifique au médium. Cela revient à relire cette histoire à partir d’enjeux, non dissimulés à une première lecture soulignant la subtilité de l’album.
Les stratégies de lecture s’éloignent de démarches classiques pour s’inscrire dans un travail d’analyse fine. Le recours à la BD permet certes l’acquisition de compétences ou de connaissances, mais privilégie surtout l’éveil culturel des élèves en leur faisant découvrir des formes littéraires, historiques ou poétiques inédites.
Une parenthèse pédagogique
Le dispositif de la classe BD que je propose à mes élèves ne se réduit pas à un alignement de séances, il suggère une rupture tant sur le plan de la méthode que sur celui de l’organisation de la classe à l’image des classes lecture ou culturelles. L’objectif est de mobiliser les élèves sur un projet à dominante littéraire et culturelle, alternant des moments de lecture libre et des phases de production, comme la réduction d’un album en une planche. Banaliser une semaine avec quelques classes élémentaires revient donc à créer un événement, « partir en BD » comme on part en classe de neige !
L’espace classe est modifié avec la mise à disposition de tables de livres, d’expositions pédagogiques et l’affichage des traces collectives. La semaine se veut une « parenthèse » dans le déroulement habituel de la classe. Le fonctionnement s’inspire d’une classe lecture en offrant une ouverture avec la rencontre d’auteurs ou la visite de lieux emblématiques comme les salons de livres ou les festivals. L’acquisition des compétences exigées par les programmes se travaille à partir d‘entrées littéraires, de mises en réseaux ou par le recours à des thématiques précises abordées au travers d’un album référent (l’humour, les animaux… dans la BD). La phase finale s’articule autour de la rencontre des classes participantes avec présentation des travaux réalisés et échanges de pratiques entre élèves et entre enseignants.
l’exemple du roman-photo
La BD recycle avec une belle efficacité les nouvelles technologies. De la prise de vue en format numérique à l’appropriation de logiciel de retouche d’images, les productions sont réalisées et publiées plus rapidement, et sous d’autres formes comme un diaporama. Malgré son image plutôt négative, le roman-photo constitue un moyen simple, rapide et motivant pour aborder les techniques narratives de la bande dessinée, en palliant les difficultés de dessin formel de la BD. Il est alors possible de se concentrer sur la narration (montage, mise en page, relation texte image) ou le visuel (composition de l’image, cadrage). Pistes pédagogiques et savoir technique se retrouvent associés dans le cadre d’un projet littéraire et culturel.
Travailler avec un auteur
Avec Bulles en Herbe, j’ai proposé en tant que conseiller pédagogique un outil de formation pour les enseignants qui soit aussi une source d’inspiration pour les élèves, un projet sur l’année.
Issu d’un partenariat entre l’Éducation nationale et le Festival « A tours de bulles », Bulles en herbe n’est pas un concours scolaire. Impulsée à partir d’animations pédagogiques, cette opération propose un scénario rédigé par un professionnel qui sert de support de travail pour des classes volontaires. Suivant le thème retenu par l’équipe du festival, les élèves travaillent à partir d’un thème avec la complicité d’un auteur intervenant auprès des professeurs pour des apports techniques et auprès des élèves en accompagnement.
La difficulté et l’intérêt du dispositif résident dans la nécessité de faire accepter aux différents acteurs les contraintes de chacun : artiste intervenant, enseignant et… élèves. Concilier parcours pédagogiques, apports de connaissances et démarches créatrices. Au risque de perturber parfois certains auteurs dans leur propre représentation, les élèves restant en définitive « les seuls maîtres du jeu » !