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La classe !

Le principe est simple : des collégiens ont raconté à des étudiants ce qu’ils voulaient de leur vie, de leurs rêves. Portraits murmurés. Tamilla à Lorraine. Portraits écrits. Lucille par Benjamin. Tout en intimité retenue. Autant vous le dire tout de suite, je suis tombée dans le livre ! Vous savez, ça arrive lorsque toute interruption vous fait pester en dedans contre les empêcheurs de lire en rond et que vous n’avez plus qu’une hâte : replonger. Il faut dire que Marie Desplechin, dans sa préface, sait s’y prendre pour vous faire accrocher. Cette fille du Nord a une tchatche de Marseillaise, doublée d’une conviction propre à déplacer des terrils d’école.

Mais les terrils, on les déplace toujours mieux à plusieurs. Marie Desplechin, l’organisatrice du projet, nous apprend dans sa préface qu’ils s’y sont mis à 80 : Pierre Mathiot, le directeur de sciences-Po Lille et des étudiants, Cécile Trémolières, principale, et Marie-Juliette Robine et Laurence Dequidt, professeures de français au collège Verlaine de Lille. Et puis, donc, des étudiants de sciences-Po Lille et deux classes de 3e du collège.

On s’aperçoit vite que ces adultes-là se sont bien trouvés. Chacun à leur manière ils prennent, ils volent peut-être, le pouvoir de changer les choses. Pierre Mathiot, c’est le monsieur dont des filles de 3e disent dans le début du livre qu’il est « trop mignon » ! Il se souvient du bruit doux de l’après-midi passé à travailler, des chuchotis de la vie en train de se raconter. Il se souvient aussi du jeune gars en survêt Nikidas recevant maladroitement le cadeau, un livre, que lui offrait son étudiante.

Marie-Juliette Robine, une des enseignantes de français, est encore étonnée de la facilité avec laquelle les élèves et les étudiants sont entrés en contact. Au point de ne plus sembler avoir besoin des adultes. Duos paisibles, heures calmes. Ces ados-là, ils sont comme tout le monde, ils adorent parler d’eux. Ils adorent qu’on les écoute. Marie-Juliette a été surprise de découvrir la force qui ressort des portraits, une force tirée de la famille, des amis surtout. Ils ont des armes, et ça, c’est rassurant. Pourtant, Marie-Juliette met en garde : ces portraits sont des mythes, comme toutes les autobiographies, mais ceux-là sont même à deux miroirs déformants, avec ce que chaque face a bien voulu montrer, a bien voulu retenir.

Sociologie de l’intime ? Laurence Dequidt constate simplement qu’il y aurait de quoi se pencher par exemple sur la place des filles et petites-filles, sur les lignées féminines qui traversent les témoignages, sur la mère « qui travaille dur et qui n’arrête pas de sourire ». Elle a appris que les élèves-auteurs sont capables de raconter uniquement ce qu’ils veulent raconter, de s’exposer, ou de mentir. Et de jouer et rejouer l’image et avec l’image qu’ils se construisent d’eux-mêmes, jusqu’à la rendre acceptable, jusqu’à être accueillis.

Et les élèves, qu’en ont-ils pensé ? Ce qu’ils ont préféré, c’est à n’en pas douter la rencontre avec « ces grands », ne sachant pas trop à quoi ils pourraient s’attendre. « Au fond, ils ne sont pas très différents de nous. Ça rassure. » Ce ne serait pas un signe de bonne intégration, cela ? Si c’est le cas, alors oui, Fenty, ça rassure.

Christine Vallin