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La Maison des 3 espaces, histoire d’une école où tout s’invente (4)

La Maison des 3 Espaces, la M3E, pourrait continuer longtemps ainsi, à nous délivrer des histoires au travers des témoignages de ceux qui l’ont animée, s’y sont arrêtés, y ont planté des graines de pédagogie, des graines d’idées et ont amené ailleurs les fruits, les fleurs des projets éclos. Trouver dans un lieu unique ce qui nourrit les débats, les évolutions de l’éducation depuis plus de vingt ans nous offre un microscope et un macroscope tout à la fois, une occasion hors pair de nous interroger sur les conditions, les ingrédients, l’organisation, d’une école de la réussite pour tous.

«La M3E c’est encore aujourd’hui une école vivante qui bourdonne de projets, certes ils ont évolué mais la demande institutionnelle n’est plus celle d’il y a 25 ans. Bien des actions ont perduré, comme le coté festif avec les élèves (qui rend l’apprentissage moins rébarbatif), les finalisations des projets artistiques aussi (chorales de cycle, finalisation musique, arts plastiques).» explique Françoise Souvignhec, désormais retraitée mais toujours aux côtés de l’équipe.

Et de cette continuité, de ces essais transformés ou demeurés uniques, qu’ont fait les acteurs de l’institution, les chercheurs, les formateurs d’enseignants ? Ont-ils été ingérés, digérés ou soulignés, repérés puis oubliés ? Aucune certitude, ni jugement de valeur dans ces questions, juste l’expression d’une interrogation : passés les années d’effervescence des débuts, la visite de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation, l’ouvrage collectif racontant la Maison, quelles traces, quelles empreintes subsistent dans la mémoire éducative et quelles reproductions? Les portraits nous ont distillé une réponse essentielle : nombre d’enseignants de l’école du quartier des Clochettes ont poursuivi leur chemin ailleurs, et pour certains d’entre eux vers d’autres fonctions empruntes d’institutionnel : conseillers pédagogiques, inspecteurs, directeurs d’école…

La rue centrale de la M3E

La rue centrale de la M3E

«Je suis à présent directrice d’école. J’ai travaillé en Côte d’Ivoire, en Équateur et au Brésil, et je suis actuellement rentrée en région lyonnaise. J’ai dirigé de grosses écoles à l’étranger (35 classes primaire à Quito !) et je pense que tout ce que j’ai développé dans les écoles que j’ai dirigées, est né de ce terreau de la M3E. J’ai puisé dans ce réservoir d’idées, de concepts, de méthodologies, j’ai appris qu’il faut être en projet et fédérer… et puis avancer dans la vie professionnelle avec le sourire, en empathie, et en donnant de soi. Et puis, je sais surtout que l’on apprend par d’autres voies que la voie consciente, que les connaissances ne passent pas toutes par l’intellect. Ce qui est ressenti le reste pour la vie ! C’est du vécu !» confie Conchita Gizon.

Ce sont les acteurs de ce terrain-là qui essaiment cette belle dynamique sur leur route, leur chemin. Et c’est à la fois formidable de voir cette créativité, ces réflexions traduites en faits se propager ailleurs et dommage aussi que l’institution n’en soit qu’un faible relais.

Les temps ont certes changé mais dans les fondations de la Maison des 3 espaces subsistent des intemporels de la réussite scolaire: la solidité d’un partenariat collectivité territoriale/école et dans ce dénominateur «école», l’association de tous les acteurs (enseignants et tous les autres personnels, enfants, parents), la prise en compte dans le projet du contexte socio-économique, la culture comme fil d’Ariane des apprentissages et des partages, la maîtrise de la langue comme fondamental du socle, la cohérence et la cohésion de l’équipe, le décloisonnement pour une réelle continuité et puis le plaisir d’apprendre et d’enseigner.

«Si je devais dire ce que j’ai retenu de toutes ces années c’est que le plus important c’est l’équipe. Elle m’a soutenue, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel avec les rigolades, les fous rires pour tenir le coup. Cette équipe a évolué avec les changements d’instits mais l’éthique est restée la même. J’ai gardé de toutes ces années que le plus important c’est de travailler en prenant plaisir.» explique Françoise Souvignhec.

Conchita Gizon raconte, comme en écho: «L’équipe de la M3E c’était une alchimie de fortes personnalités, de grandes « gueules », de discrets efficaces, de grands professionnels, de timides qui se révélaient, de pénibles, de « psychologisants », de radicaux et d’ « anti-système », de syndicalistes, de fondamentalement gentils, avec toujours en point de mire : faire réussir nos élèves… et par dessus tout : l’humour ! Les fous rire, le plaisir que nous avions à nous retrouver et à travailler ensemble sans ménager notre temps et notre énergie. Les fêtes d’école, les chorales, les projets nous fédéraient… Humour, respect pour les convictions des uns et des autres, partage, résolution des conflits sans perdants et un énorme travail de concertation, de réunions, les semaines de prérentrée, les stages d’école, « la différenciation pédagogique », « la PNL », la méthode La Garanderie, l’écriture de notre livre Apprendre ensemble, Apprendre en cycles pour continuer à innover et à apprendre justement !»

Fou rire

Fou rire

Encore et toujours, le collectif vient avant tout, comme un soutien, une force, une contrainte parfois et surtout un élan réconfortant. Monique Ducroux a souligné dans la liste de ses beaux souvenirs «Le fait de ne jamais se sentir seul dans son métier.» Puis «les réunions d’équipe (bien menées même si parfois orageuses), la force de travail de tous, la joie de vivre transmise aux enfants, les mises en scène et les chansons, les parents qui « trainaient » dans la rue centrale, les formations partagées avec tout le personnel, les événements fédérateurs (marché, histoires inventées et jouées aux enfants, déguisements, poissons d’avril), les ateliers d’écriture, les groupes Balint qui apprenaient à dire les choses plutôt que de les couver.»

Pourtant, cette notion d’équipe est translucide dans les orientations, les directives institutionnelles. Le choix par exemple de ceux avec qui l’on travaille est une question qui effraie par son risque d’écorner les principes de nomination, de rompre l’équité affichée par le traditionnel mouvement. Qu’en est-il également des techniques et méthodes d’animation d’équipe qui laissent éclore la créativité et ne jettent pas un voile pudique sur les tensions? Travailler ensemble, vraiment ensemble, ne se décrète pas, se construit. Ce collectif se nourrissait d’un contexte particulier empreint d’une marge de liberté.

Une équipe, des déguisements

Une équipe, des déguisements

Conchita Gizon le résume ainsi : «La M3E c’était l’école de tous les possibles. On était loin des contraintes des autres écoles et l’on se permettait des organisations, des modèles de fonctionnement adaptés à nos projets, et aux réalités de notre quartier. L’école avait été pensée, sur le plan architectural, en fonction d’options pédagogiques et se voulait ouverte sur le quartier, traversée par la « rue Centrale », transparente comme l’est sa bibliothèque au cœur de l’école.» Cette particularité ne devrait pas contraindre l’expérience à devenir un cas unique, non reproductible. Elle interroge sur l’autonomie de l’établissement, sur la nécessité d’un projet éducatif élargi, partagé au sein et avec les partenaires de l’école, dont les parents d’élèves, même et surtout lorsqu’ils ne sont pas familiers de l’école, lorsqu’ils ne possèdent pas les clés, les codes pour s’y sentir d’emblée considérés comme des interlocuteurs à part entière.

La Maison des 3 Espaces a ceci de précieux. Elle raconte les possibles et les voies, les cadres, les fondements pour les faire émerger, prospérer. Dans les échanges, le terme « valeurs » a été maintes fois prononcé. A quoi sert l’école, quel est son rôle au-delà de l’instruction, quelle est sa place dans la société, dans le quartier, quelle pédagogie, quel mode de fonctionnement sont les plus à même de transformer un contexte a priori pénalisant en territoire d’apprentissages ? Ces questions se les pose-t-on au sein des équipes pédagogiques à l’heure d’élaborer les projets éducatifs ? L’environnement institutionnel incite-t-il à ces interrogations ?

Jacques Suzat, aujourd’hui retraité, garde encore intactes ces convictions : «Dans un milieu « pas toujours facile socialement », il est possible d’avoir une certaine réussite scolaire, une réduction de la violence, avec : une collaboration entre l’École (incluant les enseignants, les parents, le personnel), la municipalité, les structures ressources locales et l’Éducation nationale ; un travail en équipe efficace ; une pratique de la pédagogie coopérative ;des activités artistiques et sportives à privilégier». Il ajoute : «la mutualisation des talents, des compétences et des savoir-faire, le partage des savoirs (on n’a pas le droit de garder pour soi ce que l’on sait, on le doit aux autres !), l’attention et l’écoute de l’autre, ouvrent des portes d’humanité insoupçonnées…».

Début juillet, les acteurs de l’histoire de la Maison des 3 Espaces se sont donné rendez-vous pour des retrouvailles. Tous n’ont pas pu venir. Lionel Daneyrolle, le directeur actuel, qui a repris le flambeau à la suite de Monique Desgouttes-Rouby, était là. Car l’histoire est loin d’être terminée. Il était une fois dans le quartier des Clochettes de Saint-Fons, tout près de Lyon, une école pas comme les autres qui avait fait le pari de la réussite scolaire, avec en guise de baguette magique et d’onguents, la force créatrice du collectif, la coopération et l’ouverture. Que pourrions nous rêver en guise de fin de l’histoire si ce n’est : «elle eut de nombreux enfants avec au dessus de son berceau de bonnes étoiles institutionnelles»? Alors oui, à l’heure du farniente, encore loin de la rentrée, rêvons un peu.

Monique Royer

La série de la Maison des 3 Espaces
Épisode 1. La bâtisseuse : Monique Desgouttes-Rouby
Épisode 2. Le voyageur : Jacques Suzat
Épisode 3. L’apprenante : Sonia Viel