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L’orthographe, une montagne ?

A : Comment redonner l’envie d’essayer ?

M : Pour qu’ortho cesse de rimer avec zéro, on met en place un système d’apprentissage et d’évaluation très progressif : je précise que les dictées, sur 10, sont systématiquement accompagnées de questionnaires, sur 10, dont le but est de les amener à se relire et à corriger leurs fautes (ex : une phrase issue d‘une dictée « C’est pour toi seule que je reviens ma chère Marie » ; on pose la question suivante : qui désigne l’adjectif (seul/seule/seuls/seules/) dans l’avant-dernière phrase ? Qu’en concluez-vous sur l’orthographe de ce mot ? Corrigez votre dictée si besoin est.). On peut aussi poser des questions de cours sur les points d’orthographe à apprendre. Les élèves n’ont donc jamais zéro en orthographe. Lors de la première dictée, on ne compte que les fautes d’accord pour tous les niveaux.

A : Ce n’est pas un peu trop facile…
M : Non et puis il faut en passer par là pour réconcilier les élèves avec l’envie d’essayer. Vous verrez d’ailleurs que c’est loin d’être gagné pour tous. Le fait de n’avoir pas zéro est généralement motivant. Avec ceux qui ne reviennent pas encore de loin, il faut encore adapter et rassurer beaucoup ; il faut adapter les objectifs : faire diminuer son nombre de fautes ; à nous de valoriser tout progrès. Les élèves ont tendance à s’accrocher à la note : là aussi, désacralisons, et remettons les choses à leur place : le plus important est le progrès et non la note. On peut même s’arranger des notes en n’en comptant qu’une sur deux ou trois.

A : C’est vraiment très gentil…
M : Le but est de les faire progresser ? « Qui veut la fin veut les moyens ! » La correction de la première dictée sert de préparation à la deuxième ; on rajoute très peu de notions d’orthographe à chaque fois ; il est judicieux, par exemple, dans la première correction de tenter de régler son compte à la confusion imparfait, infinitif et participe passé. Faire deux ou trois petites phrases de dictée d’exercice quotidienne fonctionne assez bien.

A : Ça prend un temps fou !
M : Certes, c’est « chronophage », mais efficace et cela permet de convaincre les enfants que l’orthographe vaut vraiment la peine qu’on s’y attèle ; cela permet de redonner, l’air de rien, sa place à l’importance du code. C’est ludique et sans enjeu. Et puis quand les problèmes d’accord et la fameuse confusion sont réglés, cela divise le nombre de fautes par deux et généralement par bien plus. Les enfants voient leurs progrès et ont donc envie de continuer leurs efforts. Ce système s’appuie énormément sur le fait de les convaincre que c’est important, ce qui permet de déclencher l’envie de réussir. Et puis, bien sûr, évaluer de manière progressive permet d’éviter la surcharge cognitive. Les élèves doivent se concentrer sur un seul point, puis deux, etc.

A : Et ce système miraculeux règle la question comme ça, en deux coups de cuillère à pot ?
M : Non, bien sûr. Il arrive parfois de devoir évaluer les mêmes compétences sans en ajouter d’autres pendant quelques dictées.

A : Quels points d’orthographe ajouter ensuite ?
Il n’y a pas de règle ; pour fonctionner, ce système doit rester très souple et s’adapter aux textes donnés, aux difficultés majeures des élèves, aux points qui, une fois réglés, diminueront sensiblement le nombre de fautes.

A : C’est un peu « vendeur »…

M : C’est vrai, mais je pense qu’il faut en passer par là pour réussir. Passer de 28 fautes à 12 c’est quelque chose… L’élève a toujours zéro à la dictée (mais pas à l’ensemble grâce au questionnaire) et il admet facilement être content de son progrès… On aborde assez tôt les homophones, pas nécessairement tous en même temps, quoiqu’aborder « on » et « ont » avec « a » et « à » et « et » et « est » permet de leur faire comprendre l’importance de la catégorie grammaticale, donc cela donne du sens et montre l’intérêt du test de remplacement. Parallèlement, on fait un tableau des mots invariables rencontrés dictée après dictée ; ces mots sont classés selon leur classe grammaticale.

A : Et les élèves qui ont peu de difficulté pendant ce temps-là ?
M : En le leur expliquant, on compte plus de fautes que les autres ; normalement, si on arrive à leur faire entendre la nécessité de progresser et la relativité de la note, ils comprennent très bien et se sentent finalement assez valorisés par cette différence de traitement.

A : Et les élèves qui ont vraiment beaucoup de difficultés ?
M : Il vaut mieux commencer par des dictées à choix multiples, telles que celles qu’on fabrique à l’intention des élèves reconnus comme handicapés. Il faut aussi les valoriser et les rassurer tous en leur démontrant la « facilité » de certains points d’orthographe en leur faisant prendre conscience qu’ils savent. Par exemple, si on rencontre le verbe « serpentait » dans la dictée, on leur demande quel mot de la même famille ils connaissent et on les incite à en tenir compte. Cela passe par beaucoup de dialogue : dire aux spécialistes de l’ortho-déco d’utiliser systématiquement l’orthographe la plus simple, ce qui ne va pas sans des textes adaptés à ce type de consignes « écrire comme ça se prononce ». De plus, pour donner des moyens d’intégrer et d’automatiser le questionnement tout en rassurant les élèves, on pratique la dictée dialoguée : les élèves ont le droit de poser des questions, à condition qu’elles soient posées sous forme grammaticale : on refusera : « Y a-t-il un s ? » ou même « Est-ce au pluriel ? », mais on acceptera « Le mot s’accorde-t-il avec tel autre ? » ; on ne répond que par oui ou par non.

A : Quels élèves sont capables de cela ?
M : C’est vrai, bien peu au début. Les élèves n’étant pas familiers de ce type de travail, on les aide à formuler les questions. L’intérêt de ce type de dictée est multiple, car il permet aux élèves d’intégrer les catégories grammaticales, d’affiner l’identification des temps, enfin, de savoir de quoi ils parlent et quelle langue ils utilisent. Cela contribue à redonner du sens et déclenche des automatismes. Il est toujours amusant de voir que plus les dictées passent et plus les enfants lèvent la tête pour réfléchir ; paradoxalement, plus l’année avance, plus je dicte lentement pour leur laisser ce précieux temps de réflexion. Quand on rend les copies, on leur demande de se corriger seuls et on les entend pester contre eux-mêmes ; généralement, la dictée suivante est mieux réussie. On « lâche » les troisièmes suffisamment tôt avant le brevet, mis à part quelques cas vraiment en difficulté. Il faut préciser pour finir que les bienfaits de ce système ne s’observent pas forcément pendant l’année scolaire, mais quand on retrouve les élèves l’année suivante ou qu’ils reviennent vous voir, vous voyez les progrès accomplis. Ce système contribue à avancer le « déclic » chez certains et à ne plus décourager les autres.

Anne Lariven, professeure de français et formatrice (Indre et Loire).