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L’orientation à la rescousse d’un système déboussolé ?

La profession de conseiller d’orientation psychologue est l’une des plus mal aimées dans le système scolaire français. « Ce sont un peu les messagers du malheur, ceux qu’on va voir quand tout va mal » constate Bernard Desclaux dont la majeure partie de la trajectoire professionnelle s’est déroulée dans le secteur de l’orientation.
En 1978, après neuf ans de pionnicat, il intègre la profession de conseiller d’orientation lors d’une vague de recrutement sans précédent. L’ouverture de la profession va aussi dans le sens d’une rupture avec les pratiques du testing jusque-là dominantes. Le conseil, l’entretien sont prisés dans un métier où le P de psychologue s’affiche désormais. Pour la moitié du temps au sein des établissements et l’autre dans un CIO, l’ouverture des pratiques se mesure à la diversité des publics accueillis, accompagnés, des parents aux élèves en passant par des adultes en quête de nouveaux horizons professionnels.

Bernard Desclaux débute à Aubervilliers puis Nanterre et la cellule universitaire de Paris X Nanterre. Il expérimente la formule du DEUG multi-disciplinaire sciences humaines et communication mis en place par Alain Savary au milieu des années 80. Avant de choisir une spécialisation en licence, les étudiants bénéficiaient de cours et d’un accompagnement pour travailler leur orientation. L’expérience se heurte aux positions disciplinaires qui voient d’un œil courroucé une éducation qui échappe pour quelques heures aux fourches caudines de l’évaluation. Elle s’appauvrit peu à peu en entrant dans le carcan du système des unités de valeurs. « L’idée était généreuse, dans le courant de l’orientation éducative. Elle a été reprise par les IUT et se développe à nouveau dans les universités. »
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Pour lui, éducation et orientation ne sont pas deux fonctions distinctes où la seconde s’inscrirait ponctuellement comme un supplétif ou un temps obligatoire soustrait aux heures d’apprentissage. Se placer dans une perspective d’éducation tout au long de la vie, penser l’avenir en construction comme une trajectoire qui se dessine, implique de laisser les disciplines se décloisonner et révéler leurs applications hors les murs de l’école. Il cite l’exemple du projet en chimie de Freddy Minc dont le portrait a été publié sur le site des Cahiers pédagogiques : « Son projet éveille un écho chez les élèves en démontrant l’utilité des apprentissages. A quoi ça sert la chimie, qu’est ce qu’on en fait ? Il intéresse pas seulement à la formule mais aussi à son utilité » dit-il.
Devenu formateur d’enseignants et de personnels de direction après avoir contribué à la création de la PAIO de Nanterre, il partageait alors l’importance du lien nécessaire entre les connaissances diffusées dans l’enceinte scolaire et les univers professionnels qu’elles irriguent. L’objectif de la formation était de comprendre le rôle de l’orientation dans le système scolaire où les enseignants sont devenus les principaux acteurs de la décision d’orientation. « L’orientation scolaire a vécu trois grandes étapes » raconte t’-il. La première a été le passage du testing à la relation de conseil dans les années 80. La deuxième période a été pleine du débat entre approche individuelle et collective. « Je préfère le travail avec l’établissement, au sein des classes mais ce n’est pas cette approche qui est devenue la norme professionnelle. La troisième évolution a marqué le passage de l’aide à l’orientation aux enseignants. Elle a supposé de se déplacer dans sa posture professionnelle en passant du conseil à l’élève au conseil à l’enseignant ».

Cette évolution semble inéluctable sur un plan quantitatif : 3500 conseillers d’orientation psychologue c’est fort peu au regard du nombre d’élèves concernés par des choix à effectuer. Elle l’est aussi pour réconcilier l’école avec la société, lui redonner le rôle central qu’elle perd progressivement dans l’esprit des élèves et de leurs parents. « L’orientation éducative permet de sortir d’une certaine prédétermination. Si on ferme le champ des possibles, elle ne peut être mise en œuvre » explique le jeune retraité qui prône un système ouvert où le désir d’apprendre serait suscité par les apprentissages et l’expérience. « Cela suppose que l’offre de formation soit plus souple, modulaire, que l’on mette les élèves en situation pour qu’ils éprouvent des choses, construisent des envies ».
Il imagine alors un système où le parcours scolaire ne serait pas linéaire et permettrait des passerelles entre les sections, construit à partir d’une combinaison de modules issus de tous les types d’enseignements, généraux et professionnels. Il s’interroge même sur la possibilité à terme d’un lycée unique. Il observe les effets du numérique sur le système et les risques d’implosion induits s’ils ne sont pas pris en compte. « Le numérique déclenche des pratiques en interne sur la démocratisation de la production de contenus. On le voit avec le développement des classes inversées. Wikipédia en est aussi un exemple, constitué d’une somme de savoirs construite sur la base d’une démocratisation non institutionnelle ».
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Bernard Desclaux le souligne « la forme scolaire n’est pas une forme éternelle ». Le risque est celui d’un éclatement, d’une absence d’unité dans les objectifs de formation, d’une hétérogénéité dans la qualité des contenus. Alors il regarde avec intérêt la mise en place de la direction du numérique au Ministère de l’Education Nationale en s’interrogeant sur la marge réelle de manœuvre pour faire bouger un système marqué par le cloisonnement et un certain immobilisme.

« Quelle conception avons-nous de l’homme. Est-il unitaire, permanent, homogène. Ou au contraire, le voyons-nous comme doté d’une personnalité multiple à facettes, avec une multiplicité de possibles en soi ? ». Pour Bernard Desclaux, la question est d’importance puisqu’elle détermine la conception éducative du parcours scolaire et professionnel. Alors pour détecter des éléments qui montrent où penche et penchera la balance, il veille et veille encore avec le grand bout de la lorgnette et partage avec nous une vision éclairée de l’Education.

Monique Royer

Illustrations : peintures de Bernard Desclaux