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L’intime en lumière

Avant de présenter les lettres rédigées par vos élèves, avez-vous quelques précisions à rajouter à la présentation de ce projet ?

Oui, avec plaisir. Tout d’abord je vous remercie de vous intéresser à nos élèves et au lycée professionnel ; ce n’est pas fréquent… Concernant le projet « théâtre », je veux préciser que je ne suis pas seule à le porter. Mohamed Guennif, enseignant en lettres-histoire géographie, et Pascale Lavaur, enseignante documentaliste, travaillent avec moi. Nous sommes aussi aidés par une comédienne, Karin Martin Prevel. Cela fait dix ans maintenant ! Avec Mohamed, nous animons des ateliers théâtre le mercredi matin. Tous les élèves de CAP de l’établissement, 1re et 2e année, bénéficient de deux heures d’ateliers, tous les quinze jours. Ces heures font partie intégrante de leur emploi du temps.

Pascale Lavaur est la référente culture de notre établissement. Grâce à elle, tous les élèves bénéficient, chaque année, de sorties pour le cinéma, le théâtre, un musée, etc. Elle accompagne les enseignants dans l’élaboration des dossiers de projets déposés à la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

Et le thème des projets menés est différent chaque année ?

Exactement. Cette année le projet s’intitule « L’intime en lumière ». Et les productions des élèves nous ont, tous les quatre, bouleversés. Que de souffrances, de non-dits transparaissent chez nos élèves ! En une vie, nous ne vivrons jamais ce qu’ils ont eu à subir en seulement quelques années. Ils ont eu le courage, d’écrire, de dire et d’accepter de mettre en scène cette intimité. Quelle maturité pour des élèves si jeunes.

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Comment fonctionnez-vous ?

Les heures de théâtre du mercredi ont changé de statut depuis deux ans. Auparavant, elles étaient attribuées en dehors de toute dotation disciplinaire. Ce qui les rendait accessibles à tous les enseignants. Depuis 2016, elles font partie de la dotation horaire en lettres-histoire géographie, uniquement. Ce qui fragilise leur existence. Cet horaire est tributaire de la dotation du rectorat et lié à la politique de l’établissement. Il nous faudrait proposer la mise en place d’une option théâtre dans les établissements professionnels pour les sauvegarder et les dissocier de toute discipline.

Pourquoi êtes-vous aussi attachée à cette pratique pour vos élèves ?

Nos élèves souffrent d’être scolarisés en lycée professionnel. Ils ont l’impression que c’est une punition, un lieu où ne vont que les ratés, les exclus de la scolarité soi-disant normale… Malheureusement pour eux, ils découvrent très vite que l’institution a déformé la réalité. L’enseignement en lycée professionnel n’est pas plus accessible. Il est complètement différent, nouveau. Des élèves ayant des difficultés de rigueur et de communication se retrouvent face à un milieu professionnel qui exige ces compétences. Les périodes de stages sont des claques pour des élèves de 15 ans.

Et cette activité change un peu la donne ?

J’ai eu le bonheur d’accompagner la transformation de nombreux élèves apeurés, sans confiance en eux, détruits par une institution et une société qui les méprisent… Ils sont devenus des professionnels accomplis, fiers d’eux, de leurs compétences et rassurés en faisant le constat qu’ils obtiennent un emploi à l’issue du CAP, du bac professionnelle ou du BTS.

Propos recueillis par Dominique Sénore

 

 

Chère Ana
Ce matin, en me réveillant, j’ai vu mes bras (regarde les bras) puis mes mains (regarde les mains). J’y croyais plus. Je me suis levée.
J’ai regardé mon image dans le miroir.
Je ressemblais à moi.
J’ai eu la subite envie de t’écrire (s’asseoir sur une chaise, devant une table).
Tu es une amie de longue date.
Nous faisions tout ensemble, trois hôpitaux en 1 mois (indique les nombres 3 puis 1 sur les mains) ; une opération et la perte de nombreux kilos.
Beaucoup de mauvaises personnes ont essayé de briser notre lien très fort ; Moi, je refusais.
Je ne pouvais pas te laisser tomber.
Trop attachée à toi depuis si longtemps ! (Regard lointain).
Je ne pouvais pas te retirer de moi, de mon esprit. Comme une sangsue tu me collais à la peau. (Se lever)
Notre amitié a failli me tuer.
Tu avais trop d’influence sur moi.
Je n’avais plus le contrôle de rien.
Tu avais les ficelles en mains (serrer les poings face au public.)
Quand je me suis rendue compte que notre amitié était mauvaise pour moi, il était trop tard.
J’avais conscience que tu me dévorais lentement.
Je n’arrivais pas à t’abandonner.
Pourquoi j’ai eu envie d’arrêter de te côtoyer ? Je n’en sais absolument rien. (Relâcher les bras sur ses jambes)
Je me suis battue contre toi, ma meilleure amie (se montrer du doigt.) Au final, j’ai gagné cette bataille.
Je suis libérée.
J’ai réussi à parler de toi, de moi, et de nous.
Adieu mon Amie, adieu Anorexie.
(Partir de la scène).

 

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