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L’impact des loisirs des adolescents sur les performances scolaires

L’enquête sur les loisirs des élèves de 3e

Cette enquête en 2008 chez des enfants de 11 ans, ne révélaient pas d’impact des loisirs, mêmes fréquents sur les performances scolaires et cognitives. Mais depuis les technologies du numérique ont explosé et envahi notre quotidien. C’est pourquoi la DEPP avait prévu une nouvelle enquête trois ans plus tard (en 2011) sur un large échantillon représentatif de 27 000 adolescents français (14 ans et demi) en classe de 3e de collège.
Cette enquête est l’objet de cet article. Dans cette étude, le questionnaire a été conçu pour détailler les thèmes ou les genres des loisirs, par exemple, si les jeux vidéo sont des jeux d’action/combat/plateforme ou des jeux de stratégie, ou de sports. Pour le questionnaire sur les loisirs (48 items), les élèves devaient cocher une case d’une échelle de Lickert en 5 échelons selon la fréquence estimée de leur activité (tab.1).

Tableau 1 : Exemples de questions concernant les activités extrascolaires
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De nombreux tests ont été utilisés : deux tests de lecture/compréhension, douze tests de maths répartis en trois catégories (arithmétique, algèbre, géométrie), un test de mémoire, etc. Les analyses montrent qu’il n’y a pas de différences statistiquement significatives entre les résultats des garçons et ceux des filles, qui peuvent donc être considérés comme équivalents.

Le Top 10 des loisirs des ados

Voici le Top 10 des loisirs préférés des ados, c’est à dire le classement des loisirs les plus fréquentes (en %), c’est à dire correspondant à la réponse « 1- tous les jours ou presque » (fig. 1). Les deux activités les plus fréquemment pratiqués par les adolescents de 14 ans (et demi) sont l’écoute des musiques actuelles, rock, hip-hop, etc. (79 %) et de téléphoner ou d’envoyer des SMS (78 %). Vient ensuite la communication par internet avec ses ami (e) s (73 %), par exemple avec Facebook. La quatrième activité au dessus de 50 % est la navigation sur internet (61 %). Les autres loisirs concernent la téléréalité (42 %), la recherche d’infos people sur internet, les chansons et les films d’action/policier/fantastiques.

Fig. 1 : Classement des loisirs préférés des élèves de 3e (27 000 élèves) pratiqués « tous les jours ou presque »
(Cliquez pour agrandir le document)
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La totalité des activités de ce Top 10 sont des loisirs « numériques » et utilisent le téléphone, l’ordinateur, la télévision (qui désormais est numérique) ou des appareils musicaux… Le premier loisir d’une activité réelle et non virtuelle, les activités physiques ou sportives n’apparaissent qu’à une fréquence de 26 % (non représenté sur la figure).

Les Loisirs préférés dans la semaine

Quatre activités dominent aux environs de 90 %, l’écoute des musiques actuelles, le téléphone et SMS, Internet pour la communication et la navigation sur Internet. Viennent ensuite aux environs de 75 % les activités physiques et sportives, les émissions de téléréalité et les films d’action. Parmi ces huit activités au-dessus de 75 %, sept sont des loisirs numériques, musique, téléphone, internet et télévision.

Fig. 2 : Classement des loisirs préférés des élèves de 3e (27 000 élèves) « tous les jours ou presque » + «1 à 2 fois par semaine »
(Cliquez pour agrandir le document)
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Enfin, par ordre décroissant (figure 2), voici quelques exemples d’activités des adolescents, voir des copains et copines (68 %), écouter des chansons ou variétés françaises (58 %), regarder des films ou séries comiques (56 %), dessins animés (53 %), des sports (à la télévision, 47 %), jouer aux jeux vidéo d’action (44 %). La lecture n’apparaît pas comme une activité préférée, et c’est le journal ou magazine d’actualités qui sont préférés (34 %) ; viennent ensuite les bandes dessinées (et/ou mangas, comics, 31 %) qui sont lus plus fréquemment que les revues sur l’histoire ou les sciences (22 %) ou les œuvres littéraires de grands auteurs français ou étrangers (16 %). Enfin d’autres activités sont très rares comme de participer à des associations de jeunes ou aller au théâtre (2 %).

Pour la plupart des activités, les filles et les garçons ont des choix équivalents, comme de naviguer sur internet, regarder des dessins animés ou lire des journaux. Mais certaines activités sont nettement différentes. Chez les garçons prédomine le besoin d’action, comme pour les jeux vidéo d’action, ou de sport, où les différences avec les filles sont considérables, (75 % contre 14 %), les films d’action et de combats (guerre, arts martiaux, 49 % contre 13 %), etc. Ainsi quand les garçons préfèrent les bandes dessinées (37 % contre 25 %), on peut penser que ce sont plutôt le genre « action » qu’ils viennent chercher (mangas, comics…). Les filles, quant à elles, téléphonent un peu plus que les garçons mais pas autant que le stéréotype le laisserait penser (93 % contre 84 %). En revanche, elles regardent plus des émissions de téléréalité (83 % contre 65 %). La différence la plus importante est dans le choix des films et séries romantiques (55 % contre 20 %), ce qui fait un net contraste avec le choix des garçons pour les films d’action. Sur le plan culturel, elles lisent plus de grands auteurs français ou étrangers, romans, poèmes, et plus encore de romans policiers et probablement fantastiques (Twilight, Harry Potter). En résumé, les garçons sont nettement plus tournés vers l’action alors que la sphère de loisirs des filles est plus intimiste et sentimentale.

Quel est l’impact des loisirs numériques sur les performances scolaires et cognitives ?

Les résultats montrent clairement les loisirs positifs ou négatifs pour les performances cognitives scolaires. La lecture est la plus bénéfique, puisque les changements liés à une pratique fréquente sont favorables à tous les tests, notamment à la compréhension (+10%) et surtout à l’acquisition de connaissances (+20%). Les jeux vidéo n’ont pas d’influence, et notamment, on remarque qu’il n’y a aucune amélioration pour le raisonnement, ce qui infirme l’hypothèse de transfert de la pratique des jeux vidéo sur l’intelligence fluide, comme l’ont supposés certains chercheurs. A l’inverse, jouer aux jeux vidéo (action, combat, plateforme) n’a pas non plus d’incidence négative. Téléphoner très souvent a une incidence mais faible, sauf pour l’acquisition des connaissances de ceux qui téléphonent (ou envoient des SMS) (-10 %). Mais c’est le visionnage très fréquent des programmes de téléréalité (et également les séries romantiques) qui a l’impact le plus négatif sur les performances cognitives et scolaires, de -11 % pour les maths à -16 % pour les connaissances.

Quand on contraste la pratique fréquente de certains loisirs, on s’aperçoit que leur influence n’est pas négligeable. Ainsi, si l’on compare le visionnage de programme de téléréalité à la lecture de romans (policiers ou de littérature), la différence est de 35 % pour les connaissances scolaires (mémoire encyclopédique) ce qui correspond à plus d’un tiers de la note. Traduit en note scolaire traditionnelle, un élève moyen qui lit beaucoup aurait une note de 14 sur 20 (+20%) comparée à une note de 8,5/20 (-alors qu’un élève qui est « accro » à la téléréalité aurait 8,4 sur 20 (-16 %).

Dans l’ensemble, la majorité des loisirs, comme les jeux vidéo, n’a pas ou peu d’influences sur les performances scolaires et cognitives, ce sont des loisirs qui permettent la détente, ou l’expression des dimensions affectives et sociales des élèves (téléphone, sms). Mais la pratique trop fréquente de la télé (ou vidéo sur ordinateur) est associée à de moindres performances. A l’inverse, la lecture est bénéfique. Pourquoi ? La raison principale en est la richesse de vocabulaire. Hayes and Ahrens (1988 ; Cunningham & Stanovich, 1998) ont montré un nombre de 1 000 mots différents en moyenne dans des livres mais jusqu’à 4 000 mots différents dans des magazines scientifique. Même le vocabulaire de bandes dessinées (867) est plus riche que celui d’émissions populaires en prime time pour les adultes (598 mots). Ces chiffres sont mêmes faibles par rapport aux manuels scolaires qui comptent jusqu’à 6 000 mots en plus du vocabulaire courant en 6e et jusqu’à 24 000 en 3e, niveau scolaire des élèves de notre étude (Lieury, 2012). En conclusion, oui aux loisirs numériques à dose raisonnable, mais l’école reste la vraie source de stimulation du cerveau.

Alain Lieury
Laboratoire de psychologie expérimentale, (CRP2C, EA 1 285), université Européenne de Bretagne (Rennes2)

Sonia Lorant
Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication (LISEC, EA 2310), Université de Strasbourg, (IUFM d’Alsace)