Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

L’enseignement de la communication en STG

La filière technologique tertiaire, appelée filière STT (Sciences et technologies tertiaires), a fait l’objet d’une réforme qui a été mise en œuvre dans les classes de première à la rentrée scolaire 2005 et dans les classes de terminale en septembre 2006. La réforme de la filière technologique tertiaire s’inscrit dans une démarche de changement en termes de dénomination, d’objectifs de formation, de contenus de programmes et de pratiques pédagogiques. L’objet de l’article est d’étudier plus précisément le changement en tant que processus, mais de manière contextualisée (une réforme dans le milieu éducatif), c’est-à-dire le passage d’une situation A à une situation B.
Dans le large processus de recomposition induit par la réforme en cours, l’enseignement de la communication dans les lycées est au centre de notre réflexion. En effet, si l’enseignement de la communication et de l’information est aujourd’hui largement dispensé dans les universités, il occupe en revanche, dans les établissements du second degré, une place mineure et n’apporte pas les bases nécessaires à une poursuite d’études dans le supérieur. En d’autres termes, l’enseignement de la communication dans les lycées a toujours été abordé en tant que pratique professionnelle fondé sur l’utilisation efficace d’outils de gestion. On retrouve ici la critique fondamentale de Gilbert (1998) sur les sciences de gestion trop souvent ramenées à une vision purement instrumentale, la manipulation de l’outil se substituant à sa mise en perspective sociale.

Cet article comporte deux parties. La première partie a pour objet de présenter le changement des contenus et des pratiques de l’enseignement de la communication et l’accompagnement au changement. La deuxième partie présente la démarche de recherche pour tenter de confronter, dans une logique inductive, le changement à la théorie du changement de Watzlawick et al. (1975).

PREMIÈRE PARTIE
L’enseignement de la communication :
une volonté de changement des contenus et des pratiques

Le programme de la matière « Information et communication » de la filière STG remplace le référentiel de la matière « Communication et organisation » de la filière STT. Il en ressort un certain nombre d’éléments sur le plan des orientations pédagogiques des instigateurs de la réforme ; il apparaît clairement, par-delà le changement de nom du contenu de l’enseignement (programme, plutôt que référentiel) et de son appellation, des objectifs d’enseignements nouveaux.

1. Contenu de formation

Un enseignement de communication a été introduit dans les formations technologiques tertiaires en 1992, au moment de la création de la filière STT. En classe de première STT, un enseignement de « Communication et organisation » est alors dispensé, décliné dans les deux spécialités (« Actions administrative et commerciale » et « Comptabilité et gestion »). Essentiellement méthodologique, il prend appui sur des mises en situation et se fonde sur « l’acquisition de savoirs en termes de démarches ou de méthodologie, d’utilisation d’outils bureautiques. L’approche de l’organisation se fait sous un angle opérationnel » (Rapport du Groupe Économie et Gestion, octobre 2000). Cet enseignement intègre l’apprentissage de techniques et le recours aux outils dans une perspective évolutive qui développe chez l’élève des facultés d’adaptation. Il s’agit donc d’une formation à visée professionnelle.
Pour permettre aux élèves l’accès à l’enseignement supérieur court ou long, une prise de conscience des plus hautes instances du Ministère de l’Éducation Nationale conduit à repenser l’intégralité du dispositif. Comme le précise Saraf (2003, p. 6), « la formation en communication doit être plus solide. Il faut donc se référer aux travaux de recherche dans le champ des SIC afin de faire acquérir les bases scientifiques qui pourraient être réinvesties dans les études ». Bernard (2003, p. 13) insiste sur le fait que « la formation à la communication doit se baser sur les divers travaux de recherche en SIC » et précise que « l’ambition d’un projet de formation dans l’enseignement du second degré pourrait être de former à certaines techniques tout en incitant les élèves à une posture analytique fondée sur la fréquentation des théories ».
Le nouveau programme qui émerge d’un long travail de maturation, intitulé « Information et communication », tout comme une formation universitaire, doit permettre de passer d’un enseignement à caractère méthodologique à un enseignement fondé sur l’acquisition de notions. L’élève est placé en situation d’acquérir les notions fondamentales des sciences de l’information et de la communication et de la gestion, qu’il devra mobiliser dans le contexte des organisations. Mais l’objet d’étude de la filière technologique tertiaire reste l’organisation ; il faudra donc se référer au champ de la communication des organisations. Nous pouvons remarquer que le programme d’Information et communication traduit une approche rénovée et enrichie caractérisée par :
– Une introduction à la psychologie sociale des organisations dont le point d’entrée est le comportement des individus ;
– Un approfondissement conceptuel dans l’étude de la communication et de l’information ;
– Le développement d’une culture technologique ;
– Une approche méthodologique de l’organisation des activités individuelles.
Livian (2003, p. 8) précise que « l’enracinement de ces nouveaux programmes doit se voir aussi dans une actualisation des connaissances ». En effet, l’enseignement de la communication dans le référentiel « Communication et organisation » a pour modèle de référence celui de Shannon[[C. Shannon a proposé un modèle linéaire de communication qui repose sur une chaîne d’éléments : la source de l’information, l’émetteur qui transforme le signal en code, le canal de transmission, le récepteur qui décode les signaux et le destinataire du message.]], point de départ à la compréhension de toute situation de communication. C’est à partir des termes « émetteur », « récepteur », « canal » que les professeurs et les élèves analysaient les situations de communication. Ce modèle a été largement critiqué. En effet, il se limite à ce que l’émetteur s’assure que le transfert d’information a bien eu lieu, c’est-à-dire que le récepteur a bien reçu le message. Selon les chercheurs de l’école de Palo Alto, le récepteur n’est jamais passif. Son comportement, ses réactions agissent sur la situation de communication.
Le nouveau programme « Information et communication » prend en compte les apports de la recherche dans les domaines des SIC, de la psychologie sociale, etc. Les enseignants devront apprendre les bases théoriques. Cependant, Doriath (2003, p. 7) précise que :
– « Les développements théoriques, le travail, la réflexion des universitaires ne concernent pas directement les élèves »,
– « Les projets de programmes se réfèrent à des théories mais, dans nos enseignements, nous ne les énonçons pas. En revanche nous posons des concepts, des notions […]. Les élèves devront acquérir, mobiliser, les premières notions qui posent les fondements de la communication. Nous ferons toujours référence aux organisations »
Nous pouvons constater des changements importants en termes de contenu. L’enseignement d’« Information et communication » doit permettre l’acquisition des notions fondamentales des sciences de la communication, de l’information et de l’organisation, et leur mobilisation dans le contexte des organisations. Le programme « Information et communication » fait référence aux SHS. Il est décliné dans les deux spécialités en classe de première. Nous pouvons remarquer que les intitulés des spécialités et de la discipline prennent en compte ces évolutions scientifiques. Comme le note Livian (2003, p. 125), « l’apport des SIC est décisif pour la refondation des enseignements de communication » dans le second degré ; il existe « des liens directs entre les contenus d’enseignement et la recherche universitaire » et cela fait émerger « une nouvelle identité professionnelle des enseignants de communication ».
Le contenu de l’enseignement de communication a évolué de façon significative. Les enseignants doivent se préparer à adapter ou à renouveler leurs méthodes pédagogiques. Il s’agit d’une remise en cause des compétences acquises et des savoirs qui peut constituer un changement déstabilisant. Ainsi, l’évolution du contenu de l’enseignement de communication s’accompagne de consignes bien précises en termes de méthodes, par-delà le changement de contenu.

2. Pratique pédagogique

En classe de première STT, la méthode inductive pratiquée lors des cours de « Communication et organisation » se limitait à l’observation et à l’analyse de situations de communication. L’enseignant en était réduit à préciser ce qu’il faut faire ou ne pas faire dans telle situation de communication. La dernière étape de la méthode qui consiste à dégager des notions n’était pas développée car il s’agissait simplement de faire acquérir des savoir faire et des savoir être.
En classe de première STG, l’enseignement de l’« Information et communication » doit être pratiqué selon une méthode inductive plus complète. En effet, dans les programmes, il est fortement conseillé d’adopter une démarche de type : observation, analyse, conceptualisation. Il faut donc se recentrer sur l’acquisition de savoirs et non plus sur l’acquisition de savoir être et de savoir-faire. Ce recentrage sur l’acquisition de savoirs se justifie par le contenu du programme qui connaît un enrichissement important. Il prend en compte les travaux de recherche dans les champs des SIC et de la psychologie sociale, et se fonde par conséquent beaucoup plus sur la connaissance dans des champs constitués, que sur une approche professionnelle de la communication.
Cependant, il est précisé dans le programme que « d’autres approches plus déductive ou expositive peuvent être envisagées ponctuellement lorsque le thème étudié s’y prête ». (BOEN du 12 février 2004). Nous pouvons alors nous poser la question suivante : la liberté laissée à l’enseignant de choisir sa pratique pédagogique en fonction du thème abordé prend-elle en compte le débat qui oppose les défenseurs de la méthode inductive et ceux de la méthode déductive en sciences de l’éducation ?
Dans la réalité des faits, le changement semble de type « linéaire », avec une seule boucle de rétroaction, sous la forme d’une consultation des enseignants de base. En effet, les programmes de la classe de première sont mis en ligne sur Eduscol en avril 2003. Les enseignants donnent leur avis sur le programme et les indications complémentaires qui accompagnent le programme. La première version des programmes est remaniée en juillet 2003 en fonction des commentaires exprimés lors des différentes consultations. L’organisation et les horaires des enseignements des classes de première sont publiés au BOEN du 12 février 2004 ce qui officialise les programmes et la nouvelle dénomination de la série STG.

3. La double facette de l’accompagnement au changement

Il s’agit incontestablement d’une conception centralisée du changement, sur un modèle « top-down ». Le contenu est défini par les décideurs du Ministère de l’Éducation Nationale et par les membres du GEPS. Il sera accompagné selon une logique descendante par des actions de communication et de formation. La réforme engagée n’échappe pas à ce modèle récurrent et trouve une application particulière au cas des disciplines de la communication des organisations.

3.1. Accompagnement au changement : la communication

Les enseignants ont été informés d’un projet de réforme au moment où l’IGC (Informatique de gestion et de communication) a remplacé l’option STT en tant qu’enseignement de détermination en classe de seconde. Ils ont été ensuite régulièrement informés par les IPR, les chefs de travaux ou les coordonnateurs de discipline, les représentants des associations des professeurs (Association des professeurs d’économie gestion et Association des professeurs de communication), les représentants syndicaux. Internet a aussi été largement utilisé par le Ministère de l’Éducation Nationale (Eduscol, Educnet) et les instances académiques (Ecogesam, site de l’Académie d’Aix-Marseille) comme moyen de communication et de diffusion de l’information.
La communication joue ici un rôle important dans le sens où elle permet de prendre connaissance du changement tout en participant aux débats sous forme de discussion. Cette communication peut être directe, indirecte, synchrone ou asynchrone, verbale ou non verbale. Ce type de communication repose sur le principe selon lequel « on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non » (Watzlawick et al., 1972, p. 46). Si cette confrontation fait prendre conscience d’une interprétation différente, alors les décisions et les comportements ne seront pas les mêmes que si le débat communicationnel va dans le sens d’un consensus.

3.2. L’accompagnement au changement : la formation

Les auteurs du rapport d’octobre 2000 précisent qu’il faut « accompagner la dynamique d’évolution des enseignements d’Économie et gestion ». Ils insistent sur « la nécessité d’un accompagnement national fort pour assurer l’appropriation des contenus, la réalisation et la diffusion de supports de formation spécifiques ». En effet, écrivent-ils, « l’intervention du niveau national s’impose pour conserver l’unité de formation, accompagner les évolutions de contenus et de méthodes, impulser et propager les changements de pratiques pédagogiques. L’expérience acquise à travers la rénovation de 1992, les rénovations des BTS ou plus récemment de l’IGC en seconde, démontre la nécessité d’un accompagnement national fort pour assurer l’appropriation des contenus, la réalisation et la diffusion de supports de formation spécifiques ».
A. Burlaud et J. Saraf, dans le document de présentation des travaux du GEPS Économie et gestion, précisent que le projet de rénovation doit être accompagné d’« un effort de formation des enseignants ». Le dispositif de formation déployé a pour objectif de conserver l’unité de formation et il s’appuie sur l’expérience passée qui s’est révélée positive. Le dispositif de formation peut être défini comme étant l’ensemble de démarches et de moyens mis en œuvre et organisés de manière à réaliser un plan de formation. Le dispositif de formation mis en place se décline à deux niveaux, national d’une part, académique d’autre part.

A) Le dispositif national de formation

Le dispositif national de formation consiste en la mise en place d’information sur les sites de centres de ressources par les formateurs nationaux et la mise en place de formation. Son principe est la démultiplication des savoirs par l’intermédiaire des formateurs nationaux. Le réseau national est un dispositif pédagogique mis en place par la DESCO (Direction de l’enseignement secondaire). Sa mission est d’assurer un soutien pédagogique auprès des professeurs dans son domaine de compétences. La formation au niveau national peut être qualifiée de formation par e-learning qui permet aux enseignants d’accéder à des contenus de formation. La formation par e-learning permet en outre de programmer sa formation.
Ce dispositif national de formation a fonctionné à partir du premier trimestre 2004. Il s’est matérialisé par la création d’un réseau national de ressources en communication et management des organisations, le CRCOM, qui est un site hébergé par l’Académie de Versailles. Il a pour mission d’assurer un soutien pédagogique auprès des professeurs des disciplines Information et communication et Management des organisations de la nouvelle série STG. Ce centre de ressources met à la disposition des enseignants des documents de formation : fiche de lecture, séquence de cours, fiche notionnelle, etc.

B) Le dispositif de formation académique : le cas de l’Académie d’Aix-Marseille

La formation a débuté en janvier 2005 et s’est poursuivie jusqu’en avril 2005 pour les enseignants désignés par le corps d’Inspection. L’objectif du plan de formation dans l’Académie d’Aix-Marseille était de se préparer à la prise en charge des classes et de poursuivre la réflexion à partir de la rentrée 2005. Sept formateurs académiques ont eu pour mission de former les enseignants de la discipline « Information et communication ». La formation a été dispensée pendant 4 jours : 2 jours consécutifs sur le site de Sainte-Tulle et 2 jours non consécutifs dans un établissement scolaire. La dernière journée de formation a été consacrée à l’étude du réseau, nouvelle partie à développer dans le cadre de la formation informatique. Les trois autres journées ont été consacrées à l’explication de la réforme, à l’étude du programme puis à la réalisation de séquences pédagogiques. Il s’agit d’une formation présentielle.
La formation touche à des représentations, des motivations, des actes de métier, des rapports aux savoirs qui sont ancrés dans la personnalité de l’enseignant. Pour qu’un enseignant adopte un nouveau comportement, une nouvelle manière de penser il faut qu’il renonce à ceux qu’il avait auparavant c’est-à-dire qu’il décide de se remettre en cause. À ce titre, les activités de formation correspondent à des opportunités de réaliser le changement dans le sens où elles cherchent à convaincre de la nécessité de changer et de s’engager dans le processus de changement, et de construire une vision partagée de la réforme.

DEUXIÈME PARTIE
Quelle appropriation du changement par les acteurs ?
Une investigation de terrain

Nous avons présenté un dispositif de changement t imposé et décidé par le Ministère de l’Éducation Nationale. Ce changement imposé concerne en tout premier lieu les professeurs d’économie gestion. Nous allons maintenant observer et analyser comment ces professeurs appréhendent le changement en question.

1. Éléments sur la méthodologie

La méthode d’investigation retenue est de nature qualitative et se fonde sur des entretiens semi-directifs. Nous avons choisi d’interroger les membres du GEPS, et en particulier le Président du GEPS, A. Burlaud, et le Président du sous-groupe « Communication », Y.-F. Livian, deux formateurs de l’Académie d’Aix-Marseille, chargés de dispenser une formation en « Information et communication », et neuf professeurs d’économie gestion de l’académie d’Aix-Marseille susceptibles d’enseigner l’« Information et communication » à la rentrée scolaire 2005. Ces professeurs sont, nous semble-t-il, en fonction de leur spécialité, administrative ou commerciale, en mesure de produire des réponses aux questions que nous nous posons. Nous attendons des membres du GEPS essentiellement des données sur le processus d’élaboration de la réforme (interview à dominante référentielle). Des formateurs et des enseignants, nous souhaitons une réflexion (interview à dominante modale), puisque nous les interrogeons sur leurs représentations et leurs pratiques professionnelles.
Quatre guides d’entretien ont été élaborés, en fonction des catégories de personne interrogées. Pour les membres du GEPS, nous avons construit deux guides d’entretien car les informations recherchées étaient différentes. Puis nous avons préparé deux autres guides d’entretien, l’un à destination des formateurs, l’autre à destination des enseignants. Les entretiens ont été enregistrés sur bande magnétique afin de faciliter notre activité d’écoute, et réalisés par courrier électronique pour trois d’entre eux. L’ensemble des enregistrements, soit huit heures, ont été par la suite retranscrits de manière littérale. Nous sommes intervenus dans le déroulement de l’entretien dans le but de souligner, reformuler, demander une précision. Bien évidemment, cette interaction n’a pu être possible dans le cadre des échanges électroniques.
L’analyse du discours s’appuiera sur un corpus composé de l’ensemble « des discours produits par l’intervieweur et les interviewés retranscrits de manière littérale » (Blanchet et Gotman, 2001, p. 91). Nous avons pris connaissance de l’ensemble du corpus et nous l’avons découpé transversalement de manière à concevoir une grille d’analyse conçue en tant qu’outil d’exploration. Ont été retenus les thèmes suivant pour notre grille d’analyse :
– Le profil de l’enseignant ;
– La réforme et son suivi ;
– Le stage de formation ;
– Le contenu du programme « Information et communication » ;
– La pratique pédagogique ;
– Les difficultés et les craintes ressenties.

2. Les principaux résultats de l’enquête de terrain

Nous avons interviewé 9 professeurs d’économie gestion : 6 de la spécialité administrative et 3 de la spécialité commerce. Il s’agit d’enseignants qui ont entre 10 et 30 d’ancienneté dans le métier. Ils ont tous au moins enseigné une fois la « Communication et organisation » en classe de première STT. Pour 7 d’entre eux, il s’agissait d’un choix personnel d’enseigner cette matière. Les deux autres n’ont pas eu le choix en raison de leur situation administrative, ils sont titulaires remplaçants. Il en ressort globalement un intérêt personnel pour l’enseignement de la « Communication et organisation » en classe de première STT. Par ailleurs, le programme proposé par la réforme STT de 1992 était perçu comme novateur et intéressant. En résumé les principaux résultats sont les suivants :
La réforme et son suivi. Par rapport au thème de la réforme et son suivi, nous pouvons dire que les interviewés ont compris les sens du changement en terme d’objectifs. Ils perçoivent le contenu des programmes comme innovant dans le sens où ils font beaucoup plus référence à une acquisition de savoirs et « collent » à la réalité des organisations. Les interviewés ont joué le jeu, pour la plupart d’entre eux, de s’informer de différentes manières. Ils ont eu le sentiment d’être impliqués, d’être écoutés lors de la consultation sur les programmes. Finalement, ils ont tenu un rôle important de relais de l’information en présentant la réforme et ses objectifs principalement aux élèves et aux enseignants.
Le stage de formation. Nous pouvons noter que le stage de formation a obtenu l’adhésion des stagiaires. Mais ils formulent en majorité un manque dans l’apport des connaissances théoriques. Ils sont cependant prêts à fournir ce travail pendant les vacances d’été, pour la plupart. Ce qui nous semble important de souligner, c’est qu’ils manifestent l’envie d’enseigner l’« Information et communication » à la rentrée prochaine.
Le contenu du programme « Information et communication ». Les nouvelles parties du programme ont bien été identifiées par les interviewés. Ils sont prêts à mettre en œuvre une démarche d’apprentissage de façon individuelle ou collective. Mais ils sont bien conscients qu’il leur faudra fournir un effort important de formation personnelle.
La pratique pédagogique. Qu’est-ce que conceptualiser pour les interviewés ? Il en ressort avant tout une extraordinaire polysémie : nous pouvons constater que chaque personne interviewée a sa propre définition du terme « conceptualisation ». Il devrait découler de cette vision kaléidoscopique des problèmes majeurs dans la mise en œuvre des pratiques pédagogiques, notamment la difficulté à faire émerger un « langage commun » propice à des expérimentations croisées dans une perspective de transversalité.
Reste à évoquer les difficultés et craintes vis-à-vis de la réforme. Les personnes interviewées mettent essentiellement l’accent sur l’orientation des élèves. Quelques personnes émettent le risque d’un échec de la réforme si tout le monde ne s’implique pas complètement. Cependant, nous pouvons relever qu’ils apprécient cette réforme et sont partants pour la mettre en œuvre. En effet, les professeurs d’économie gestion perçoivent bien le changement en œuvre ; c’est du moins ce qui ressort de nos entretiens semi-directifs. La réforme de la filière tertiaire était manifestement souhaitée par des enseignants conscients de l’inadéquation de leur enseignement avec les nouvelles réalités organisationnelles. Ils avaient d’ailleurs déjà procédé à certains ajustements au fil du temps, « chemin faisant ». Une certaine lassitude s’était néanmoins installée, voire un essoufflement, face à des situations de dissonance cognitive mal vécues entre savoir véhiculé et savoir attendu.
En bref, la réforme semble arriver au bon moment… Notre analyse de discours permet cependant d’affiner (et de relativiser) les positions globalement positives vis-à-vis de cette dernière. Il est en effet possible, selon nous, de dégager trois profils types parmi les personnes interviewées, dont les niveaux d’implication et d’engagement sont différenciés :
– Les opposants au projet, mais qui sont prêts à l’accepter à condition que des critères d’orientation soient définis en fonction des nouveaux objectifs de formation ;
Les agents passifs, qui attendent d’abord un résultat probant mais sont tout de même prêts à s’engager dans la réforme à terme ;
– Les favorables au changement, qui considèrent que la réforme est un catalyseur de nouvelles pratiques pédagogiques permettant de réduire la dissonance cognitive précitée.
Les enseignants ont compris le pourquoi du changement. Ils sont prêts à le mettre en œuvre, mais comment vont-ils procéder ? Cette question est également pertinente pour les autres acteurs impliqués dans le processus de réforme, c’est-à-dire les conseillers d’orientation psychologues, les chefs d’établissement, etc. A. Burlaud a énoncé lors de notre entretien un certain nombre de craintes qu’il a qualifié d’« inerties du système » liées aux résistances individuelles et organisationnelles des différents acteurs. Il est possible de les confronter à la théorie du changement de Watzlawick et al. (1975) pour en donner un cadre théorique explicatif.

3. Un éclairage des discours à partir de la théorie

Dans son ouvrage de référence consacré aux changements, Watzlawick et al. (1975) construit son argumentation en mobilisant le cadre théorique de l’analyse systémique de Wiener (1962). Se fondant sur cette approche systémique, Watzlawick et al. (1975) définissent le changement comme le résultat de la modification d’un système ou comme la modification des relations de ce système avec son environnement. Le modèle de base sur lequel repose l’analyse du changement de Watzlawick et al. (1975) est celui de la théorie des groupes et des types logiques. La théorie des groupes fournit un modèle pour penser le type de changement se produisant à l’intérieur d’un système qui, lui-même, reste invariant. La théorie des types logiques fournit un modèle pour examiner la relation entre un membre et sa classe, ainsi que la transformation particulière qui constitue le passage d’un niveau logique au niveau supérieur. Watzlawick et al. (1975) définissent deux niveaux de changement :
– Le changement de niveau 1 conserve la structure fondamentale du système. Il s’agit d’une amélioration. C’est alors la solution qui est le problème ! Il s’agit d’un changement à l’intérieur d’un système mais qui revient à ne rien changer. Les acteurs sont enfermés dans une alternative de « plus de » ou de « moins de » ;
– Le changement de niveau 2 correspond, quant à lui, à un changement radical, une rupture avec le passé. Les règles de fonctionnement du système sont bouleversées. Si l’on cesse de vouloir résoudre le problème, alors on peut résoudre le problème. Le changement 2 est donc un changement du système, de ses règles et non un changement dans le système. Le changement 2 est difficile à planifier.
Watzlawick et al. (1975) ont élaboré un modèle pour sortir des situations où le changement est impossible car on se trouve coincé dans une impasse, une situation totalement paradoxale (« plus je bouge pour m’échapper, plus je me trouve coincé ») ; ce modèle est pensé pour provoquer un changement de niveau 2. Un problème est maintenu par des solutions qui ne sont pas les bonnes et qui ne font qu’amplifier le problème. La personne insiste, croyant qu’il faut en faire plus pour dépasser le seuil nécessaire à l’obtention d’un résultat. Il faut tout faire pour permettre à cette personne de sortir de ces solutions inappropriées.
Au regard de cette théorie du changement, nous pouvons nous poser la question suivante concernant l’appropriation de la réforme de la filière technologique tertiaire : comment le dispositif de changement, décrété et institué, va-t-il être réalisé dans la durée ? Il peut trouver sa place dans le système de façon durable, comme peuvent le souligner les éléments suivants :
– On adopte un nouveau sigle STG pour désigner des réalités anciennes, ce qui a été le cas lors du passage du Bac G au Bac STT. « Le Bac STT, c’est l’ancien Bac G ». C’est une expression que nous avons souvent entendue dans nos pratiques professionnelles pour présenter le Bac STT. Nous pourrions dire aujourd’hui « Le Bac STG, c’est l’ancien Bac STT ». Si bien que « Plus ça change, plus c’est la même chose ».
– De nouveaux objectifs de formation sont fixés. De fait, les critères d’orientation des élèves en fin de classe de seconde vers une classe de première STG doivent être redéfinis. Aujourd’hui, l’orientation en classe de première STT se fait trop souvent par défaut. Si l’élève n’obtient pas les résultats souhaités pour passer en première S, ES ou L, alors il est orienté en première STT et les plus mauvais d’entre eux sont orientés en BEP, c’est-à-dire vers une formation professionnelle. Aujourd’hui, certains élèves dans la filière STT n’ont donc pas leur place. Si les critères d’orientation ne sont pas bien précisés et appropriés par les différents acteurs de l’orientation (Chefs d’établissement, Conseiller d’orientation et psychologues, enseignants des disciplines générales et technologiques, les parents d’élèves, etc.), alors « Plus ça change, plus c’est la même chose ».
– Les professeurs d’économie gestion vont recevoir de nouveaux manuels scolaires pour travailler avec les élèves. Si les auteurs de ces manuels ne tiennent pas entièrement compte des changements de programmes et de pratiques pédagogiques, nous nous retrouverons dans la même situation où « Plus ça change, plus c’est la même chose ».
– Les professeurs d’économie gestion et d’enseignement général vont devoir mettre en pratique les nouvelles orientations définies par la réforme. Ils vont devoir s’informer, se former, travailler ensemble. Faute d’une appropriation et d’une transversalité complètes, le risque majeur sera que « Plus ça change, plus c’est la même chose ».
Dans tous les cas de figure énoncés, nous assisterons à un changement de niveau 1 c’est-à-dire à un changement dans le système. En effet, le changement de niveau 1 peut prendre des formes multiples et on peut croire à un changement de niveau 2 alors que rien n’a fondamentalement changé. Le changement de niveau 1 est une modification d’un élément du système et non pas du système lui-même. Le changement de niveau 2 est une prise de risque. Sa réussite dépend autant de la volonté de prendre ce risque que de la manière de le prendre, que de la manière dont est initié le changement : nécessité de l’équilibre entre l’envie de faire et les capacités à le faire.

CONCLUSION

Les professeurs d’économie gestion sont prêts à prendre le risque du changement, comme l’indiquent les résultats de l’enquête de terrain. La réforme leur semble nécessaire et répondre à leurs attentes. Mais seront-ils capables de le faire compte tenu de la remise en cause de leurs connaissances et de leurs pratiques ? Tous les autres acteurs de ce changement sont-ils, eux aussi, prêts à prendre ce risque pour que cette réforme s’installe et se prolonge dans la durée ? Les enseignants, principaux acteurs de mise en œuvre de la réforme auprès des élèves, se sentent capables de la faire réussir. Ils seront peut-être finalement les moteurs d’un changement de niveau 2 souhaité par leur autorité de tutelle, prêts à relever le défi du « changement de système ». Sans doute parce que ces mêmes enseignants sont conscients des impasses auxquelles ont conduit les savoirs purement instrumentaux qu’ils étaient condamnés à transmettre à des élèves de lycée ayant soif de mieux comprendre la finalité des outils de gestion dans notre société actuelle, dominée par la « doxa managériale ».

Hélène Paché, professeur d’économie-gestion au lycée Jean Monnet à Vitrolles (13).


Références bibliographiques

Bernard, F. (2003), « La communication : enjeu de société, enjeu scientifique et enjeu de formation », Actes du Colloque Pour une refondation des enseignements de communication des organisations, Paris, août, pp. 10-28.

Blanchet, A., et Gotman, A. (2001), L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris, Nathan Université.
Commander cet ouvrage avec Alapage

Doriath, B. (2003), « Ouverture des travaux », Actes du Colloque Pour une refondation des enseignements de communication, Paris, août, p. 7.

Gilbert, P. (1998), L’instrumentation de gestion : la technologie de gestion, science humaine ?, Paris, Economica.
Commander cet ouvrage avec Alapage

Livian, Y.-F. (2003), « Conclusion des travaux », Actes du Colloque Pour une refondation des enseignements de communication, Paris, août, pp. 125-127

Watzlawick, P., Helmick Beavin, J., et Jackson, D. (1972), Une logique de la communication, Paris, Éditions du Seuil.
Commander cet ouvrage avec Alapage

Watzlawick, P., Weakland, J., et Fisch, R. (1975), Changements : paradoxes et psychotérapie, Paris, Éditions du Seuil.
Commander cet ouvrage avec Alapage

Wiener, N. (1962), Cybernétique et société, Paris, Plon.

Actes de colloques, rapports officiels et sites Internet

Burlaud, A., et Saraf, J. (2005), Le baccalauréat « Sciences et technologie de la gestion ». Les principes de la réforme, Présentation des travaux du GEPS Économie et Gestion, Paris.

Groupe Économie et Gestion de l’inspection générale de l’Éducation nationale (2000), La série sciences et technologies tertiaires. Pour une diversification des réussites au lycée, Paris.

Pour une refondation des enseignements de communication des organisations (2003), Actes du Colloque ENST, Paris.

Re vue électronique des professeurs d’économie et gestion de l’Académie d’Aix-Marseille , n° 1 (novembre 2002) à n° 5 (mai 2005).