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L’enseignement de l’escalade à l’école : des réalités encore méconnues

Nul actuellement ne remet en cause le formidable apport éducatif, du point de vue corporel et culturel, de l’escalade. Les préoccupations de sécurité ne priment plus sur l’intérêt d’éduquer nos élèves à une motricité singulière : des sensations de déplacements aériens, des équilibres et des touchers particuliers, des entraides fortes entre membres de cordée, des recherches de confort émotionnel dans des milieux au caractère vertigineux et impressionnant…

Des compétences construites par les enseignants

Reste que la nature de cet enseignement demeure bien obscure. Les enseignants d’EPS, non spécialistes de cette activité, sont dans l’ensemble bien handicapés par l’absence de contenus d’enseignement clairs aux contours bien définis. On voit ici ou là des explications invoquant des lignes de force, des processus cognitifs de prise d’information, des quantités de mouvements ou d’actions, elles mêmes très vaguement décrites en terme d’équilibre… Mais pour vaincre quelle difficulté, quels types de problèmes ? Peu d’éléments dans la littérature et dans les formations suggèrent la nature des prises, des inclinaisons, l’intensité du caractère impressionnant du milieu, la qualité des types d’adhérence, la complexité des appuis et systèmes de saisies, la singularité des passages… Nombreux mêmes sont les ouvrages et articles sur l’escalade (même récents) où, derrière les notions évoquées, ni le rocher ou support artificiel, ni les techniques gestuelles ne sont montrées ou définies ! Les programmes scolaires sur ce point sont des plus évasifs, et donc totalement inopérants pour servir d’aide pédagogique. On pourrait craindre donc que l’intervention courante des professeurs EPS dans cette discipline souffre de manque de compétence… La réalité montre pourtant d’une façon étonnante que les enseignants, face à ce vide théorique, ont réussi à construire des modes opératoires nourris de bon sens pratique et professionnel. Les enfants en escalade à l’école sont sans cesse renseignés sur la qualité de leurs déplacements, sur l’efficacité de leurs décisions ou de l’état de leur tonicité en action… Ainsi, jamais autant dans une discipline sportive scolaire, les contenus ne se sont vus aussi incarnés de façon tacite dans les comportements, les émotions, et les raisonnements d’adaptation des enseignants eux mêmes.
L’institution pourrait s’en satisfaire… Reste une frustration énorme pour les enseignants : une ignorance ressentie par beaucoup sur la portée réelle de cette action éducative, et, plus pratiquement, sur les possibilités de régulation des interventions pédagogiques. Que dire à l’élève trop crispé sur ses mains si on ne connaît pas la cause réelle de son problème : peur de la hauteur, absence de sensations d’appuis sur les pieds, hésitation de la prise à choisir ou du mouvement à engager… ?

Principes et propositions

Mon propos ici, pour tenter de dissiper cette gêne, est de rappeler quelques principes ordinaires, mais totalement oubliés, sur l’escalade et son enseignement, afin d’en dégager modestement des propositions simples mais nécessaires.

  • La motricité du grimpeur à décrire en termes d’adaptation au milieu (définition universelle à toutes les APPN[[Activités Physiques de pleine nature]]) pour une meilleure éducation motrice est indissociable des caractéristiques fines du milieu : on s’adapte toujours à quelque chose. Il s’agit là de permettre à l’élève de reconnaître, avant d’agir, des reliefs simples (dièdres, dévers, murs verticaux..) et à en déduire une adaptation de déplacement en rapport avec ses propres qualités physiques.
  • L’élève doit aussi maîtriser des techniques gestuelles définies, répertoriées et observables (Groupés/dégroupés, enroulement de bras, jetés…) comme pour toutes les autres activités sportives. Connaître ces formes de corps propres à l’escalade et en comprendre l’intérêt à l’adaptation au milieu, pourra permettre peut-être, de mieux les enseigner.
    En absence de données théoriques précises, deux éléments de solutions très classiques peuvent être utilement évoqués :

mutualisation les compétences avec des experts

Ceux-ci doivent arriver en renfort pour des interventions et conseils sur la disposition des prises sur les murs artificiels d’escalade. « L’ouverture des voies d’escalade » en effet, ne va pas de soi. La création des itinéraires dans un milieu vertical requiert une compétence particulière que tout enseignant d’EPS n’a pas nécessité de posséder. Il convient, en disposant les éléments du mur, de savoir quels types de comportement, dans une perspective éducative, on vise à induire chez l’élève. Ainsi, les collègues spécialistes escalade, les brevetés d’état, certains élèves compétents (qui pratiquent fréquemment en clubs) sont autant d’acteurs experts à mobiliser, pour façonner les espaces de grimpe scolaires, en accord avec les attentes pédagogiques des enseignants. Les contenus d’enseignement seront ainsi « déposés » comme autant de contraintes intelligentes dans les murs artificiels par un traçage pédagogique averti des voies d’escalade. Mais pour cela, il faut que s’établisse un dialogue expert/enseignant menant à des cahiers des charges précis, fidèles aux objectifs éducatifs visés.
Espérons que les enseignants experts sauront se dégager de leurs passions pour faire aboutir des publications tant attendues sur toutes ces questions .

formation initiale et continuée

Les STAPS et IUFM seraient bien inspirés de repenser la nature de certains enseignements. Il semblerait que jusqu’ici le recours systématique aux sciences d’appui généralistes et dé-contextualisées ait fait oublier l’essentiel. Pour chaque domaine, l’EPS n’y échappant pas, une forme de technocratisme infécond est absolument à fuir. Le toilettage de certains contenus de formation doit impérativement se faire à partir, non plus des grands champs scientifiques (qui de toute façon garderont leur utilité selon un autre usage), mais des réalités physiques des terrains de pratique, et de la connaissance experte des techniques corporelles et sportives. Cela permettrait d’améliorer la qualité de la formation dans le but de faire acquérir de réelles compétences, et de rendre plus fiables les évaluations concernant notamment la valeur de l’exécution motrice. Les outils d’évaluation à l’épreuve d’escalade du baccalauréat par exemple, peuvent être parfois cruellement décalés ! Les élèves sont souvent notés sur des structures artificielles différentes de celles où ils ont été enseignés. Le professeur est donc obligé d’apprécier le déplacement d’un élève à un passage dont il ne connaît pas la nature des contraintes (outre la cotation de difficulté)…Comment donc savoir si tel élève, qui n’a pas les bras tendus ou le placement de bassin attendu, n’est pas au contraire, en train de grimper d’une façon adéquate au problème posé par le support ? Que dire d’un enseignant de mathématiques qui apprécierait les résultats d’un problème sans en connaître l’énoncé ?
Les liens entre le gymnase et les UFR-IUFM sont à renouer. Les pistes de recherches-actions ne manquent pas autour de ces questions qui dépassent de loin le simple aménagement du milieu. Il s’agit plutôt de faire exploiter des éléments d’un contexte d’action qui pourront peut-être, loin de faire subir douloureusement le principe de pesanteur aux élèves, les inciter à produire des modes de déplacements originaux, ludiques, valorisants, et même à faire émerger de véritables créations.

Bertrand Donzé, UFR STAPS, Grenoble