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L’engagement n’attend pas le nombre des années

L’engagement aujourd’hui s’affranchit souvent de la politique pour embrasser des actions concrètes. Lorsque l’une vacille, les autres mobilisent au-delà des générations. Qu’est ce qui amène à s’engager ? Rencontre avec Adèle Diop, jeune étudiante à Poitiers, à l’origine d’une belle initiative d’aide aux exilés.

Elle date la naissance de son désir d’engagement à la lecture d’Indignez-vous, l’essai de Stéphane Hessel que sa mère lui avait offert. Elle s’interroge alors sur ses propres motifs d’indignation, les couche sur le papier pour en faire la liste. Elle se dit que la liste est vaine, un froid constat, si l’on ne se bat pas contre ce qui nous indigne. Son premier engagement est syndical, auprès de l’UNL (Union nationale des lycéens). Elle est à l’époque en première dans un lycée rochelais de centre ville. Elle constate, dans cet établissement sans histoire, l’indifférence des lycéens face à ce qui les entoure, une sorte de passivité qui est pour elle un sujet d’indignation. Elle s’implique, prend des responsabilités jusqu’à être nommée au bureau national, apprend beaucoup, milite et manifeste. Elle intègre le pôle Éducation et travaille sur la question du harcèlement scolaire.

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La même année, en terminale, elle répond à l’invitation de sa cousine pour aller passer ses vacances de Pâques à Calais, afin de prêter main forte à l’association l’Auberge des migrants. Elle participe à des distributions de nourriture, rencontre différentes communautés dans la Jungle. « C’était un véritable déclic, un changement dans mon engagement. Militer au syndicat était très intéressant mais je sentais qu’il y avait un fossé avec la réalité. » Elle a été face, là-bas, à une actualité qui prend corps, qui se concrétise dans des vies brisées, des quotidiens où l’injustice cueille des parcours périlleux menés par l’espoir.

Elle revient dans son lycée tranquille, dans un environnement qu’elle qualifie de privilégié, « où personne ne se rendait compte des conditions réelles de vie des migrants ». Elle reste encore une fois interdite face à la passivité, se dit que les combats seraient plus simple si l’indignation était plus largement partagée. Elle passe son bac avec succès, part à l’Université de Poitiers où elle suit une prépa « littérature et sciences politiques ». Elle s’engage auprès de l’UNEF (Union nationale des étudiants de France), milite contre la loi travail mais n’oublie pas les exilés, leur histoire douloureuse et singulière.

Aider les migrants

Sa formation implique un séjour prolongé à l’étranger en deuxième année. Elle part en Angleterre puis aux Pays-Bas où elle fait connaissance avec des étudiants qui, dans le cadre d’une association, donnent des cours aux demandeurs d’asile. Elle les rejoints, anime des cours d’anglais. C’était au moment du démantèlement de la jungle de Calais et à son retour, elle ne peut rester ni indifférente, ni passive. A Poitiers, 112 demandeurs d’asile sont hébergés dans un endroit isolé, loin du centre ville. « Avec des amis, on a décidé de créer une association pour leur donner des cours de français. » Au départ, ils organisent des collectes de nourriture et de vêtements.

C’est un succès, mais ils veulent aller plus loin, délaisser les risques de la charité pour donner de réels moyens d’agir. « Il y a beaucoup de Soudanais, d’Afghans, d’Irakiens. Il sont différents mais avec un parcours similaire. Certains sont plein de désillusions, d’autres ont toujours beaucoup d’espoirs. » Elle constate qu’ils sont confrontés à un système puissant qui ne respecte pas toujours le droit. Par exemple, l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) ne met pas systématiquement à disposition un traducteur en cas de refus de la demande d’asile. « Ils ne s’en rendent pas compte, ce n’est pas facile de les conseiller car nous ne sommes pas juristes. » Alors le mieux, c’est de leur permettre de se débrouiller au quotidien en français pour qu’ils comprennent par eux-mêmes, sachent s’exprimer pour demander simplement que leurs droits soient respectés.

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Affiner la méthode

Le bouche à oreille a bien fonctionné à l’Université de Poitiers, dans toutes les filières, de la médecine aux lettres. Quatre-vingt-dix bénévoles ont rejoint l’association Buddy System Réfugiés. Une enseignante de Français langue étrangère, leur prodigue des conseils, répond à leurs questions. Elle leur a donné aussi des supports, des exercices. « On ne se prétend pas profs mais référents. Il y a un référent par migrant. »

Petit à petit, les méthodes s’affinent en allant voir du côté du théâtre, de vidéos, de situations qui permettent d’exercer l’oral, la compréhension pour « comprendre les papiers, savoir demander à l’Ofpra ». Des psychologues viennent aussi pour des temps d’écoute auprès des exilés car les cours de français ne suffisent pas à panser les fractures psychologiques.

L’action se mène en lien avec d’autres associations de la ville. Adèle Diop a été contactée par Médecins du Monde pour accueillir des travailleuses du sexe nigérianes dans les cours de français. Elle a participé à des maraudes pour expliquer, donner envie de venir à des femmes anglophones, poussées sur le trottoir, le long de la nationale, par un exil capté par des proxénètes. Elle a été confrontée là à l’expression concrète d’une misère extrême dont elle avait entendu parler et sur laquelle désormais, elle met des visages et des vies brisées. Quelques unes viennent déjà, retrouvant le temps d’un cours un peu de liberté, une prise aussi sur leur destin en accédant à la langue française qu’elles ne maîtrisent pas. Pour tous, l’association veille à créer un climat accueillant là où le système oppose une politique froide, un climat inhumain.

Chemin d’avenir

Et pendant ce temps, Adèle se construit un avenir, qu’elle souhaite en concordance avec ses engagements. L’envie de ne pas choisir, de rester ouverte, « de ne pas être enfermée dans un système de pensées » l’a conduite jusqu’à une filière où se mêlent philosophie, sciences sociales, langues et lettres. Elle se sent bien dans cette pluridisciplinarité, dans une option à faible effectif, une dimension humaine et large qui lui convient. Elle prépare des concours pour rentrer à Sciences po, et pense faire de l’action humanitaire son chemin d’avenir. Mais pas n’importe comment, elle souhaite travailler pour une ONG, avec des agents locaux, et ne pas arriver parachutée avec une certaine idée du bien. Elle s’imagine aller en Afrique de l’Ouest, là où sont ses racines paternelles, là où elle se sent légitime parce qu’elle y est venue à maintes reprises visiter sa famille.

Alors, droit des étrangers, droits de l’Homme et actions humanitaires ? Elle ne sait pas encore, elle se laisse le temps d’explorer, de ne pas se spécialiser trop vite. Son association lui accorde un chemin d’apprentissage différent. Elle sait aujourd’hui que l’engagement est une voie que chacun prend à sa mesure. Ce qu’elle nommait indifférence est à ses yeux tout autre aujourd’hui. « Il faut amener aux gens des choses concrètes, des choses toutes construites pour qu’ils s’engagent. Après, ils sont ravis alors qu’à priori, ils n’iraient pas voir ce qu’il se passe. »

Derrière cette initiative de jeunes étudiants, elle constate le relais d’enseignants, le souci de l’Université aussi de faciliter l’accès aux études pour les exilés. Elle sait que l’action même infime entraîne dans son sillage de multiples ricochets. Un jour, elle a reçu une lettre de Christiane Taubira qui lui parlait de l’engagement et la félicitait de s’intéresser à la politique. Elle avait été sélectionnée par Mon quotidien pour interviewer François Hollande. Elle en avait profité pour lui confier son admiration pour celle qui était alors sa ministre de la Justice. Sans doute, cette lettre a coloré son propre engagement, joué un rôle dans un relais entre une femme dans la maîtrise de son art et une jeune fille en devenir.

Monique Royer

Pour aller plus loin :
La page Facebook de Buddy System Réfugiés

Une vidéo de présentation de l’association