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L’enfant, la littérature et la philosophie

La légitimité de la philosophie avec les enfants prend une allure officielle par la recommandation de discussions à visée philosophique en classe dans le programme d’enseignement moral et civique entré en vigueur à la rentrée 2015. L’ouvrage d’Edwige Chirouter, professeure de philosophie, est bienvenu dans cette perspective, d’autant qu’il explore les liens que l’on peut faire entre philosophie et littérature de jeunesse, très prisée à l’école primaire (les enfants adorent les histoires). L’un des intérêts de l’ouvrage est de tisser pédagogiquement deux types de débats réflexifs, le débat d’interprétation sur des textes littéraires et la discussion à visée philosophique sur les problèmes de fond qu’ils soulèvent.

Dans une première partie, plus théorique, l’auteur montre la porosité de la frontière entre littérature et philosophie, qui, « au-delà des formes spécifiques qu’elles entretiennent avec le langage, sont toutes les deux des discours qui visent à donner sens et intelligibilité à notre existence ». Elle rappelle l’émergence en France et les enjeux de la philosophie avec les enfants, ainsi que ses principaux courants. Elle souligne ensuite la consistance et la résistance d’une partie récente de la littérature de jeunesse, littérature à part entière, et son rôle dans la construction de soi, comme « laboratoire de l’imaginaire » permettant « des explorations menées dans le royaume du bien et du mal » (P. Ricœur). Elle précise enfin comment une reprise problématisante et conceptuelle d’une narration ancrée dans la sensibilité et l’imagination permet d’en expliciter plus rationnellement les tenants et aboutissants éthiques et existentiels.

L’ouvrage s’ancre dans une deuxième partie dans une expérience de terrain, pour illustrer concrètement cette élaboration théorique. Pendant les trois ans d’un cycle 3, l’auteur a mené des discussions à visée philosophique avec les mêmes élèves, utilisant des albums de jeunesse pour les aider à entrer en philosophie. Les ouvrages étaient soigneusement choisis et mis en réseaux thématiques : elle donne les exemples de l’amitié ; de vieillir et mourir ; de l’art et le beau. Un certain nombre de séances sont analysées, dégageant une méthode d’animation. Elle insiste particulièrement sur la façon dont les références littéraires des albums que font les enfants dans les dialogues permettent de maintenir des exigences intellectuelles de pensée (problématiser, conceptualiser, argumenter notamment). Et sur le rôle très particulier de l’enseignant dans ces séances, qui, dans un rapport personnel à la littérature et la philosophie, développe des « gestes professionnels » (D. Bucheton) spécifiques à ce type d’animation, non programmée d’avance, en particulier d’ajustement à ce qui surgit (le « kairos », l’opportunité).