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L’efficacité des SEGPA se mesure

L’évaluation concerne les démarches mises en œuvre pour accompagner de façon optimale l’accès à une formation qualifiante de niveau V : synthèses de cas d’élèves, suivi des stages, actions pédagogiques, travail sur le projet personnel… Elle se centre sur des critères d’efficience des moyens, de cohérence des actions entre elles, de pertinence des actions en fonction du public concerné et de conformité à la programmation dans le temps.
Les acteurs de terrain attendent du dispositif d’évaluation du projet de la SEGPA qu’il régule et améliore le fonctionnement de la structure et permette d’anticiper les actions à mener. Devant la difficulté à utiliser le projet comme un tout structuré et organisé dans un monde peuplé d’incertitudes, il est transformé en un canevas global, un guide des pratiques qui éclaire l’écheveau des causalités sans rentrer en profondeur dans les détails des réalisations : il reste à un niveau trop général pour générer des critères de mesure précis.

Quelle valeur donner aux observations faites ?

En revanche, d’autres formes d’évaluation développées par les équipes tentent de mettre en rapport le recueil d’indices et la valeur qu’on doit leur attribuer : il s’agit, lors des réunions de synthèse et de coordination, d’évoquer cette multitude de traces au quotidien qui permettent de situer le degré d’adaptation de l’adolescent au milieu scolaire, d’apprécier sa socialisation, d’analyser les détails qui permettent de savoir si une action est réussie ou non, si un achat était pertinent, si une décision apportait une certaine efficacité. De même, au cours des synthèses, les participants cherchent à élucider le fonctionnement d’un individu, les causes profondes de son histoire qui jouent sur son comportement.
On adopte ici une conception de l’évaluation comme gestion afin de repérer les dysfonctionnements, de les réguler et d’améliorer la plus-value du système au bénéfice des adolescents.

Le dispositif d’évaluation

Le dispositif d’évaluation du projet de SEGPA porte donc sur :
– Les flux d’élèves, réussite au CFG, accès à une formation professionnelle en LP, CFA ou autre, etc. qui confirme l’efficacité du système.
– Le degré de réalisation programmatique des objectifs des actions pédagogiques entreprises dans le cadre de la formation, l’éducation, l’orientation et le suivi que nous traduirons ici par l’insertion sociale et professionnelle. L’évaluation ne concerne pas les apprentissages en tant que tels, qui reviennent aux acteurs de l’action éducative, mais le déroulement satisfaisant de l’action engagée et sa régulation éventuelle face à des obstacles rencontrés.
– Un suivi des moyens utilisés qui correspond à l’efficience du projet.
– La cohérence des objectifs opérationnels entre eux et avec les finalités de la structure.
– La pertinence du projet par rapport aux besoins du public accueilli, aux possibilités de l’environnement économique et aux finalités de la structure, constitue un critère important s’ajoutant aux activités réalisées afin que le tout aboutisse à une dynamique participant de l’efficacité générale du collège.

Les enjeux de la régulation

Trois enjeux importants justifient la régulation du dispositif :
– La gestion du projet par ses acteurs leur permet de se l’approprier et de l’accompagner sur un parcours souvent plein d’aléas, ce qui assoit une régularité de fonctionnement et donne une stabilité à la SEGPA.
– La capacité de l’équipe à travailler ensemble pour bâtir des solutions adaptées : l’organisation est alors conçue comme un phénomène autonome et le concept de système d’action concret (Crozier, 1977) rend compte des relations créées entre les membres de l’équipe.
L’évaluation se construit autour des échanges développés dans les réunions formelles ou les espaces informels de la vie de la structure, ces lieux de parole invitant à mettre en commun des pratiques, des modes de fonctionnement, des usages : un référentiel précis ne conviendrait pas à une évaluation subjective et compréhensive car il poserait d’emblée la contrainte d’un moule.

La marge de manœuvre pour un projet

Cette évaluation qui comporte des éléments objectifs et d’autres subjectifs représente la marge de manœuvre des acteurs pour réorienter le projet de SEGPA au gré des savoirs expérientiels accumulés et de l’articulation des différentes évaluations menées.
Des critères trop rigides ne donneraient pas assez de souplesse à un système évoluant dans un univers anomique et instable, où un même événement peut signifier des choses différentes selon les personnes qui les vivent. Le projet de SEGPA concerne des sujets dont les actions s’inscrivent dans une situation, un contexte, une histoire : il ne peut préjuger du sens que prend un fait précis car cela nierait son caractère unique attaché à la singularité de la personne ; il peut seulement orienter les actions dans le cadre des finalités globales de la structure.

Mettre à jour, identifier et formaliser toutes ces petites choses « insignifiantes » qui permettent à l’organisation de fonctionner au quotidien étaye le travail des enseignants : sa prise en compte donne un cadre à l’expérience de l’équipe de SEGPA, elle stabilise les innovations et sécurise la relation enseignant/enseigné. L’équipe constitue une instance de création informelle de dispositifs et d’usages qui parcourent la professionnalité enseignante et qui permettent de cerner des éléments volatiles, intangibles car imprégnés des relations subjectives et engagées d’êtres humains.
Valoriser les évaluations qualitatives à partir des indices recueillis, les pratiques de type clinique centrées sur l’élucidation du fonctionnement de l’adolescent et les réflexions sur la pertinence des actions et leur cadre éthique permet de compléter le recueil de statistiques afin d’offrir un panorama complet de ce qui se passe réellement dans une SEGPA. Les professionnels doivent partager, repérer, analyser leurs pratiques afin de les mettre en commun et de définir leurs usages. On évite aux enseignants de se sentir démunis face à la demande ministérielle d’une évaluation qu’ils se représentent comme une mesure : on suscite ainsi leur participation à une objectivation des savoirs expérientiels comme partie intégrante de la praxis pédagogique.

En conclusion, les dispositifs d’évaluation des projets de SEGPA observés sont plus larges que ce que le législateur avait prévu. On trouve des éléments de contrôle nécessaires aux évaluateurs externes du système éducatif (IEN, IA). En revanche, les équipes, dans leurs quotidiens, recherchent une évaluation qui étaye leurs pratiques, qui formalise leurs expériences. Ceci explique que l’on ne retrouve pas de référentiel de critères qui simplifie un réel très complexe, mais que l’on constate l’utilisation de modèles qualitatif et clinique, plus souples, qui débouchent sur l’interprétation d’un sens par la mise en lien de toutes ces démarches.

Gilles Pedreno, Directeur adjoint chargé de SEGPA, collège Paul-Gauthier, Cavaillon.