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L’éducation prioritaire, dans quel état ?

Le 18 mai dernier se tenait la journée nationale de l’Observatoire des zones prioritaires (OZP). Pour l’association, il est essentiel de faire le bilan de la « refondation » engagée en 2014. Aussi, devant le silence du ministère, l’OZP a-t-elle lancé sa propre évaluation.

Notre journée annuelle du 18 mai a été essentiellement consacrée à la restitution des premiers éléments d’une grande enquête que nous avons lancée ce printemps auprès des acteurs de l’éducation prioritaire et de l’analyse des réponses reçues.

Pourquoi cette enquête ? Il y a un an, l’OZP avait rencontré à sa demande le cabinet du ministre, pour rappeler la nécessité d’évaluer l’éducation prioritaire depuis la refonte de 2014. Si le bienfondé de cette demande avait été reconnu, aucune précision n’avait été apportée sur le calendrier. Depuis, silence. L’OZP a donc décidé d’entreprendre par ses propres moyens une évaluation publique de l’éducation prioritaire, avant tout pour identifier les réussites et les blocages, rendre visibles les transformations concrètes pédagogiques et éducatives engagées par les réseaux, et faire apparaitre l’émergence de collectifs professionnels de la scolarité obligatoire.

Rendre visible la réalité de l’éducation prioritaire est d’autant plus nécessaire qu’elle se trouve régulièrement sous les feux de l’actualité. Elle a ainsi été ces derniers mois l’objet de rapports de la Cour des comptes et du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire), d’une étude de France Stratégie, du dispositif nouveau des « cités éducatives », et elle sera directement concernée par le rapport d’Ariane Azéma et Pierre Mathiot sur la politique de territorialisation de l’éducation, qui devrait être rendu très prochainement.

Pour élaborer puis exploiter ce questionnaire, l’OZP a constitué un conseil scientifique qui réunit des personnalités reconnues pour leur connaissance et leur engagement en faveur de l’éducation prioritaire depuis de nombreuses années : inspecteurs généraux, praticiens de terrain, chercheurs français et étrangers (Suisse, Belgique, Corée du Sud).

Notre enquête ne s’apparente pas à une enquête officielle, et les réponses reposent sur le volontariat. Elle s’adresse à l’ensemble des personnels des réseaux REP+ (réseau d’éducation prioritaire renforcé) et REP, et non aux seuls chefs d’établissement REP+. Enfin, elle se veut collaborative et est constituée d’un certain nombre de questions ouvertes, de façon à permettre ou faciliter les échanges au sein des équipes et de recueillir des réponses qui reflètent le mieux possible des réalités souvent complexes. Ces questions ouvertes concernent le Référentiel pour l’éducation prioritaire produit par le ministère en 2014 et destiné à servir de ressource pour l’élaboration des projets de réseaux, accueillir, accompagner, soutenir et former les personnels.

L’enquête se complète par un état des lieux concernant les évolutions entre 2014 et 2019, sur l’environnement, la stabilité des personnels et de l’équipe de pilotage ou le pourcentage de personnels précaires.

Des réponses seront encore prises en compte et une synthèse générale sera présentée lors du prochain séminaire national de l’OZP, à l’automne 2019.

Premiers résultats

Nous comptons pour le moment 268 réponses, dont un tiers de collectives, venant de toutes les académies, avec une forte représentation des académies très concernées par l’éducation prioritaire. La majorité souligne une aggravation des difficultés sociales dans le réseau entre 2014 et 2019 mais, dans le même temps, une majorité perçoit une amélioration de la situation du réseau et de son travail. Il convient donc d’aller plus loin à partir de trois thématiques apparues très importantes dans les réponses : l’usage du référentiel et la question de la formation, le travail collectif, les leviers et les points d’appui.

Selon Anne Armand, inspectrice générale de l’Éducation nationale et membre du conseil scientifique de l’OZP, « si on peut relever que la connaissance précise du référentiel est davantage maitrisée par les pilotes de réseau que les enseignants de terrain, le plus important est de pouvoir mesurer les points d’amélioration comme de blocages. Ainsi, concernant l’axe 1 “Garantir l’acquisition du lire/écrire/parler”, la référence à la langue orale et à l’école maternelle est bien dans l’esprit des répondants quand ils évoquent une amélioration de la situation, mais la coanimation est mise à mal par la disparition du maitre supplémentaire et le manque de personnels spécialisés. La formation apparait fortement parmi les leviers envisagés pour mettre en œuvre l’axe 1, mais n’apparait plus nettement quand on interroge sur ce qui fait bouger un réseau. […] Enfin, la formation apparait dans les obstacles : manque de remplacement, formation décalée par rapport aux besoins, formation continue calquée sur la formation initiale ».

À la lecture des réponses, on constate que le travail collectif s’est développé dans plus de soixante des situations, quelles que soient les catégories professionnelles des répondants. Les coordonnateurs de réseau mettent l’accent sur le temps de concertation sur le temps de service en REP+, les dispositifs de formation qui ont favorisé notamment la construction du cycle 3 (CM1, CM2 et 6e), les échanges entre les écoles et le collège, la liaison entre grande section d’école maternelle et classe de CP, les observations croisées, le développement de la co-intervention, l’harmonisation des pratiques pédagogiques.

L’évolution positive soulignée par la majorité des répondants apparait reposer sur un triptyque de facteurs. Il y a tout d’abord un effet de structures : postes supplémentaires, pilotages académique et local efficients, temps de concertation ; puis revient l’importance des dispositifs de formation continue adaptés aux besoins exprimés par le terrain ; enfin, et c’est peut-être l’élément le plus nouveau, un effet collectif d’engagement professionnel qui marque l’émergence d’une culture professionnelle de réseau. Mais cet ensemble est fragile : que les moyens supplémentaires en postes soient remis en cause, que la formation proposée (ou imposée) ne convienne pas, que le pilotage soit injonctif ou absent, et c’est l’ensemble de ce processus de transformation professionnelle qui peut en être affecté.

La réussite de tous les élèves de l’éducation prioritaire passe par des pratiques pédagogiques pensées collectivement afin de traiter la difficulté scolaire dans la classe, des collectifs de travail, des instances de régulation, un leadeurship partagé.

Tout ce travail demande du temps, de la continuité politique et un pilotage reposant sur l’échange, les réflexions croisées, la confiance dans les acteurs et non la combinaison permanente d’autoritarisme et d’injonctions telle qu’elle est développée actuellement.

Marc Douaire
Président de l’OZP

Un article publié dans notre n°554, en vente sur notre librairie :

 

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