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L’école, question philosophique

Denis Kambouchner est un professeur d’histoire de la philosophie et voudrait que les philosophes s’intéressent davantage à la question de l’école. Car pour lui, les problèmes de l’école sont « philosophiques » en tant qu’ils ont trait aux principes, que ceux-ci sont confus ou introuvables et qu’en préalable à l’effort public, il faut remonter aux origines et s’interroger sur la persistance de ces problèmes. Mais comme les philosophes ont délaissé ce terrain, il est traité par toutes sortes de spécialistes (psychologie cognitive, sociologie…). L’auteur expose leurs théories avec un très grand respect pour des points de vue qu’il ne partage pas, à tel point qu’on aurait l’impression qu’il les partage. Ce qui est immensément appréciable.

Une problématique nouvelle est née, surtout avec les sociologues Dubet et Duru-Bellat : qu’est-ce qu’une école juste ? Denis Kambouchner dans ses propositions philosophiques ne perd jamais de vue ce questionnement. Or, pour lui, la crise est une désadaptation dont témoignent les enseignants : perte de la visibilité des normes régissant l’éducation (p. 37). Il faut distinguer la crise de l’éducation et la crise de l’enseignement (p. 45). L’auteur s’en tiendra à la seconde. Des sources ? la massification, le numérique… Deux manifestations principales : crise de l’autorité et crise de la culture. L’autorité est à la fois une condition nécessaire pratique de l’enseignement, (que le professeur soit entendu quand il parle) et un principe, une idée.

Cet idéalisme pédagogique a été critiqué par les tenants de la reproduction scolaire des inégalités sociales (p. 55), comme Bourdieu et Passeron. L’école porte une violence sociale symbolique, dans sa pédagogie et dans son contenu. Cela contient une puissante mise en questions de la culture lettrée (p. 66). Kambouchner développe surtout la question de cette culture scolaire qui ne semble plus adéquat au sentiment commun (p. 103). Cette culture scolaire n’est pas facile à définir. Il ne s’agit pas seulement de la « transposition pédagogique », il s’agit d’un ensemble de normes, de « valeurs », des contenus… qui ne fonctionnent plus ou plus assez bien. Crise de l’autorité et crise de la culture se rejoignent dans ce qu’on appelle la crise du sens : les élèves ne comprennent pas l’école, son langage, ses méthodes, ses contenus. La représentation de l’école a perdu en force et en positivité (p. 84). La tentation est forte de remplacer une école de classe (sociale) par celle d’une école démocratique (avec méthodes actives, tâtonnement expérimental…p. 114). Le socle semble une tentative de redéfinir cette culture scolaire. Philippe Perrenoud, et d’autres, avaient prédisposé cette idée du minimum à acquérir. Cependant, le socle est surtout lié au sommet de Lisbonne de 2000. Outre que l’idée de compétence n’entre structurellement pas dans la culture scolaire (on ne peut réellement voir la fonctionnalité du savoir acquis que dans que situation non-scolaire), elle appartient à une culture de l’entreprise et dirige le but de l’éducation vers l’employabilité (p128). Le socle, faisant souvent doublon avec les programmes auxquels il est censé donner sens (p 121) est écrit avec une inflation des mots connaissances, capacités et attitudes, dans une grande intempérance et grandiloquence. Kambouchner n’y voit rien d’utile. Il propose pour sa part douze principes de reconstruction, des principes philosophiques, pas des « mesures » (p134/142). Resterait à dire comment mettre en œuvre ces principes dont la plupart sont consensuels. Il rappelle les quatre grandes fonctions de l’école : accueillir, apporter (nourrir), demander, décider… Utile peut-être, mais dans l’ensemble, on reste sur sa faim…

Mais quand Denis Kambouchner, dans la seconde partie de son livre, décrit les penseurs qui l’aident à penser : Erasme, Cicéron, Rousseau, Durkheim, Foucault… alors ces gloses sur ces auteurs d’une limpidité, d’une clarté tout à fait remarquable. Une bonne raison de lire cet ouvrage, écrit par un critique de la pédagogie nouvelle qui a fait l’effort de lire ceux qu’il critique…

Aurelien Pereol