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L’école ouverte : un espace pour la mixité

« Soigner le milieu », disait Fernand Oury. Jouer de l’espace scolaire pour que chacun y trouve sa place est un moyen sûr d’inciter à la coopération, à la vie collective, à l’effacement des distinctions entre filles et garçons. Observations dans une école « ouverte ».

L’instauration de la mixité dans les écoles est davantage le résultat de considérations matérielles que d’une volonté pédagogique. Alors qu’elle est attendue de tous, la mixité reste un objectif peu travaillé, « allant de soi ». Les garçons et les filles n’ont pourtant pas appris à partager les mêmes bancs de l’école, la reproduction d’un ordre social établi ayant séparé les garçons et les filles dans une concurrence et une opposition interminable.

Une gestion des espaces différente

Lors d’une enquête dans une école ouverte de la région nantaise, nous avons été confrontés à une autre réalité : des garçons et des filles qui se côtoient dans un dépassement des oppositions et des distinctions habituellement mises en avant dans les constructions sociales des genres. Une réalité qui leur permet de vivre une autre expérience de la mixité.

Il s’agit d’une école à « aires ouvertes », en référence à la circulaire Deygout de 1973, traitant de l’aménagement de l’espace scolaire. Elle répond à « la nécessité d’une construction modulable du bâtiment favorisant l’individualisation de l’enseignement, la pédagogie du soutien, le travail en équipe, le décloisonnement des classes et des disciplines, ainsi que l’ouverture sur le monde extérieur ». Trois critères définissent l’école ouverte : des locaux polyvalents permettant l’accueil d’associations ou de spectacles, l’intervention des parents et l’absence de clôture.

Dans le cas de cette école, cette spécificité de l’architecture a été utilisée pleinement par l’équipe enseignante : tous les espaces sont accessibles durant les temps de recréation, ce qui permet aux enfants d’agir différemment au sein de leurs espaces disponibles. Lors des différentes observations sur les temps de récréation, nous avons pu assister aux jeux des enfants qui nous donnent à voir une certaine entente entre les sexes qui ressemble de près à une mixité « réelle ». Nous ne retrouvons pas les garçons au centre et les filles dans la périphérie comme peuvent le montrer Claude Zaidman ou Julie Delalande, mais bien un rassemblement qui permet aux genres de se côtoyer dans le jeu1.

Des jeux d’extérieurs ouverts à tous

Dehors, les jeux d’attrape occupent la majeure partie de l’espace de la cour goudronnée. Ces courses poursuites impliquent différentes équipes : celle des garçons et celle des filles. Si la mixité est autorisée au sein même des équipes, elle reste peu répandue. Chez les plus grands, les rôles changent de sorte que les poursuiveurs deviennent poursuivis. De cette façon, les garçons et les filles peuvent considérer l’autre sexe non plus comme le plus fort et le plus faible, mais bien comme un égal. Ce jeu est pratiqué à toutes les récréations, surtout à celles du temps du midi qui permettent aux enfants de prolonger le jeu avec d’autres variables. Se courir après, se faire attraper, attraper, se délivrer sont des interactions qui, en plus de réguler le groupe, permettent tout aussi bien la séduction que la coopération.

À l’intérieur, c’est le calme

Dans les bâtiments, les jeux diffèrent de ceux de la cour de récréation. Le règlement de l’école impose aux enfants le respect d’un certain calme dans l’enceinte des bâtiments. Cela n’empêche pas pour autant quelques garçons et filles de s’adonner à quelques caches-caches, que permettent les recoins de l’école, qui souvent se terminent en course poursuite en extérieur. Les gradins de la salle polyvalente sont idéals pour les parcours de billes que garçons et filles inventent dans une ambiance d’intense concentration.
Dans les salles de classe, garçons et filles vaquent à des occupations variées. Tout le mobilier est à leur disposition, ce qui leur permet d’alimenter quelques-uns des jeux symboliques autour du tableau, des craies, des règles et autre matériel pédagogique des enseignants.

Les enfants peuvent lire, écrire ou dessiner dans les salles qui leur conviennent le mieux. Le fonctionnement n’octroyant aucune salle à un groupe, les enfants visitent toutes les salles de l’école chaque jour en fonction des matières qui leur sont enseignées. Ainsi, ils peuvent appréhender l’espace d’une autre façon puisqu’il leur est familier dans son ensemble. Si l’agitation est trop importante dans une salle, ils vont dans une autre plus calme qui leur permettra de s’adonner à des activités qui requièrent patience, concentration, silence, etc. Cet accès à tout l’espace favorise une variété des jeux et des activités et une division du groupe qui ne se retrouve pas étouffé dans une espace trop réduit où le conflit imposerait sa conquête.

Un fonctionnement accueillant

De plus, les temps de récréation du midi se font sur un temps échelonné qui permet aux plus jeunes de manger lors d’un premier service afin de profiter d’un temps de récréation seuls pendant que les plus âgés mangent à leur tour. « C’est bien, le midi, on a la cour pour nous tout seul, comme ça, les grands, y nous embêtent pas ! » (Léna, CE1)

Autre facteur contribuant à une mixité « réelle » : le fonctionnement de l’école qui ne régit pas les groupes en classes fixes. Chaque enfant fait partie d’un groupe de base qui réunit des enfants de cycle 2 (CP-CE1) ou de cycle 3 (CE2-CM1-CM2). Ces groupes de bases se réunissent chaque matin durant quelques minutes pour commencer la journée, puis se retrouvent en fin d’après-midi pour pratiquer des activités (sport, musique, poésie ou arts plastiques). Les groupes de base permettent aux élèves de s’exprimer librement sur ce qu’ils attendent de l’école, sur leurs désaccords, et surtout de côtoyer les enfants des autres niveaux lors d’un moment très formel.

La coopération au centre des apprentissages

Durant les temps d’enseignement, les enfants travaillent le plus souvent en groupe de quatre ou plus. Ces habitudes de coopération amènent les enfants à trouver dans le groupe une force et un certain amusement dans leurs différents apprentissages. Garçons et filles doivent s’entraider pour parfaire leurs apprentissages. Cette conscience de groupe se retrouve lors des temps de récréation où les groupes mixtes des temps scolaires se pérennisent lors des temps de loisirs.

Cette gestion de l’espace réfléchie par l’équipe de l’école ouverte permet une mixité réelle sans que celle-ci ait été l’objectif initial. Il est d’autant plus frappant de constater qu’une autre gestion de l’espace peut aboutir à ce que garçons et filles choisissent de partager les mêmes bancs, juste pour le plaisir d’être ensemble.

Nadège Tenailleau
Doctorante au CREN (centre de recherche en éducation de Nantes)
Université de Nantes, UFR des Lettres et Langages

Sur notre librairie :

N°487 – Filles et garçons à l’école

Coordonné par Isabelle Collet et Geneviève Pezeu

L’école mixte est régulièrement mise en cause, accusée de desservir tour à tour les filles ou les garçons. La question des violences sexistes et homophobes préoccupe les acteurs de l’école. Ce dossier rend compte des débats, met en lumière l’inventivité de tous celles et ceux qui agissent en faveur de l’égalité entre filles et garçons.


Notes
  1. Julie Delalande, La cour de récréation, pour une anthropologie de l’enfance, PU de Rennes, Coll. Le Sens Social, , 2001.
    Claude Zaidman, La mixité à l’école primaire, Paris, L’harmattan, 1996