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L’école ne fera pas toute seule réussir les élèves

« Commission Thélot » ? Dans le livre où Claude Thélot, conseiller à la Cour des comptes et ancien directeur de l’évaluation et de la prospective au ministère de l’Education nationale, retrace toute l’opération du grand débat sur l’école de 2003-2004, il rappelle en passant (d’après L’Express du 4 septembre 2003) que Jean Pierre Raffarin avait d’abord pensé à Jean-Luc Delarue pour mener l’opération : pour le premier ministre, c’était une opération de « com ». Pourquoi pas Jean-Pierre Pernaut ?
L’anecdote aide à comprendre pourquoi la montagne a accouché d’une souris. La loi Fillon est « lisse et assez pauvre », dit encore Claude Thélot (Le Monde de l’éducation, septembre 2005), mais tout le débat qui a précédé la rédaction et le vote en urgence (encore un choix révélateur) de la loi a permis à un grand nombre de personnes de dire comment elles voyaient l’école et comment elles voudraient la voir changer, et les documents qui en sont issus seront utiles, notamment le miroir du débat.
Ce fut un travail impressionnant, par sa préparation, son ampleur, la diversité de ceux qui se sont exprimés, l’articulation minutieuse de débats aux différents niveaux. Opération coûteuse ? Non : 11 centimes d’euro par habitant, ou 55 par élève. Opération d’experts ? Non : la commission était plurielle (le P.S. a refusé d’y envoyer des parlementaires), et il est remarquable que souvent elle soit arrivée à un accord sur des sujets difficiles. L’auteur rappelle avec malice qu’un des rares opposants, Alain Finkielkraut, n’est venu qu’une fois aux réunions, vers la fin, pour déplorer que la commission n’ait pas voulu surtout dénoncer « le naufrage » de l’école et pour finalement démissionner ; Élisabeth Altschull, qui a aussi démissionné (deux démissions sur 40 membres), l’a fait après avoir travaillé. L’opération a été agencée de telle sorte que parents, enseignants, élèves (peu), administrateurs, mais aussi simples citoyens, puissent s’exprimer ; plus d’un million l’ont fait. Les organisations de divers types ont été auditionnées ; mais on voit avec étonnement que les auditions des fédérations de parents et des confédérations syndicales ont été beaucoup moins suivies que d’autres. Les débats ont porté beaucoup plus sur la façon de faire réussir les élèves que sur les principes, valeurs et missions de l’école : n’est-ce pas le plus important ?
Bref, un mécanisme bien pensé et préparé pour réussir un débat public qui ne soit pas une discussion de café du commerce. D’où vient la déception, que Claude Thélot exprime avec retenue ? L’ensemble n’était qu’une pièce dans la stratégie du pouvoir, lequel d’ailleurs changeait entre temps : Luc Ferry a lancé l’affaire, François Fillon l’a exploitée, mais la loi est loin d’être le décalque du rapport, et Gilles de Robien la met en musique. Espérons qu’il comprendra la remarque de Claude Thélot : « Les départs (de presque la moitié des enseignants dans les dix ans à venir) sont si massifs qu’ils obligent à réfléchir à la réorganisation éventuelle de l’offre éducative : doit-on, si oui pourquoi et si non pourquoi, remplacer tous les départs dans tous les établissements scolaires ? Ne devrait-on pas en profiter pour accroître le nombre d’enseignants dans les écoles, collèges et lycées difficiles, quitte à ne pas combler tous les départs lorsque l’environnement de l’établissement est favorable ? » (p.11). N’oublions pas que « la plus grande partie du coût du système éducatif est constituée de frais de personnel » (p.146).
Reste que, comme l’indique le titre du livre, Débattre pour réformer, l’exemple de l’école, la méthode, purgée de toute idée de récupération politicienne, est une des voies que l’on pourrait emprunter dans d’autres domaines que l’école : santé, sécurité sociale, justice…

Enfin, il faut relever cette remarque : « il ne faut plus penser que l’école réussira, c’est-à-dire fera réussir tous les élèves, seule » ; la société est aussi en question. Qu’en dit Delarue ?

Jacques George