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L’école face aux crises de société

En réaction aux attentats terroristes qui ont marqué ces derniers mois, la réponse éducative a logiquement été avancée comme une solution privilégiée pour combattre le radicalisme. On peut néanmoins garder un certain sens critique et s’interroger sur la place réelle de l’école dans la fabrication de la jeunesse et, par voie de conséquence, la production de la société.

Une tendance forte de l’éducation depuis plusieurs années, au-delà de la conjoncture dramatique récente, est en effet d’intégrer de nouveaux programmes d’éducation transversaux pour éduquer à la citoyenneté, éduquer à la laïcité, éduquer à l’environnement, éduquer à la santé, éduquer au numérique, etc. C’est souvent un moyen de faire bouger les frontières disciplinaires pour prendre en compte dans l’enseignement les évolutions scientifiques, culturelles et sociales1.

Ces « éducations à » ont souvent en commun de viser des compétences, c’est-à-dire des changements de comportements tout autant que l’acquisition de connaissances. Nous disposons de peu d’informations en revanche sur les résultats de ces programmes transversaux sur les comportements effectifs.

L’école fait-elle la société ?

Plus globalement, on pourrait invoquer la métaphore de la poule et de l’œuf pour noter qu’on ne sait pas grand-chose de l’impact de l’école sur la société. Des travaux d’histoire et de science politique pourraient être convoqués pour montrer que la façon dont on a sélectionné les élites par la distillation scolaire n’est pas étrangère au malaise actuel dans le gouvernement de nos institutions. D’autres travaux de sociologie pourraient être convoqués pour montrer que les inégalités de réussite à l’école sont essentiellement le fruit des inégalités sociales qu’entérinent, voire aggravent, certains processus scolaires.

La forme scolaire typiquement française est sans doute très liée à la centralisation et à la division du travail administratif caractéristiques des institutions françaises. On sait que l’école a eu une communauté de destin avec la construction de la République à la fin du XIXe siècle, ce que ­François Dubet a résumé par la jolie formule de « programme républicain » de l’école qui semble en difficulté depuis la fin du siècle dernier2. Cela nous autorise-t-il à affirmer que, comme l’école a accouché de la République, elle pourrait accoucher d’autres formes sociales ? Cela semble bien imprudent.

Depuis le développement des médias de masse et surtout du numérique, on ne manque pas de prophéties sur la fin du monopole de l’école sur la transmission des savoirs. Il est vrai que depuis la popularisation de la Bible par l’imprimerie jusqu’à l’affichage des résultats de Wikipédia en tête des réponses sur Google, du chemin a été parcouru ! Mais la mise à disposition des connaissances est-elle synonyme d’éducation ?

À contrario, on pressent que la scolarisation de masse, trait commun de l’ensemble des sociétés développées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur le cours de la société. Quelles sont les conséquences tangibles d’au moins quinze ans de scolarisation commune de la jeunesse3 ?

Les hypothèses en la matière sont affaire de convictions et d’intuitions plus que de savoirs, et cela devrait nous inciter à une certaine prudence. Or, dès que la société est confrontée à une crise, on a tendance à avancer que l’école est la réponse avant même d’avoir précisément défini la question. Et on multiplie les « éducations à » dans les programmes, alimentées par des actions, au demeurant parfaitement louables et généreuses dans leurs intentions, mais conçues à l’extérieur de l’école ou à ses marges pour venir irriguer les acteurs éducatifs de kits, de dispositifs, de guides ou de mallettes sur tel ou tel problème sensible. Ce faisant, on oublie parfois un peu vite que l’enseignement est un métier et qu’il ne suffit pas de porter une cause pour disposer des compétences nécessaires à la formation et l’éducation des jeunes.

Entre prérogatives et responsabilités

Les enseignants se font parfois les complices de leur propre dépossession professionnelle, en invoquant le manque de formation ou une certaine angoisse légitime devant des enjeux de société qui les dépassent. Pourtant, ils sont, au fond, les mieux placés pour intégrer dans leurs pratiques les questions sensibles et pour choisir la meilleure façon de les présenter à des élèves qu’ils connaissent bien. Certes, il faut pointer les mises à jour nécessaires en termes de connaissances ou les insuffisances de certains cadres disciplinaires pour prendre en charge des sujets que la nation estime devoir être au centre des contenus d’enseignement. Il est en revanche probablement contreproductif d’utiliser l’école et ses acteurs comme un lieu passif pour y déverser des contenus préemballés.

Il convient finalement de trouver l’équilibre entre les prérogatives particulières de l’école en matière d’éducation et les responsabilités qui relèvent de la société dans son ensemble. Pour paraphraser un ancien Premier ministre, l’école ne peut pas résoudre tous les problèmes du monde, mais elle doit en prendre sa part !

Olivier Rey
Chargé d’étude et de recherche, service Veille et analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon).

Un article de notre n°527, à retrouver sur notre librairie :

Neurosciences et pédagogie
Les neurosciences provoquent des polémiques. Pour certains, elles représentent une menace pour une vision humaniste de la pédagogie. Pour d’autres, elles produisent des résultats évaluables qui feraient office de preuves. Est-on condamné à cette logique binaire ?

Notes
  1. Catherine Reverdy, « Éduquer au-delà des frontières disciplinaires », Dossier de veille de l’IFÉ, n° 100, 2015.
  2. Voir notamment : François Dubet, Marie Duru-Bellat et Antoine Vérétout, Les sociétés et leur école. Emprise du diplôme et cohésion sociale, éditions du Seuil, 2010.
  3. Rémi Thibert, « Une jeunesse fantasmée, des jeunesses ignorées ? », Dossier de veille de l’IFÉ, n° 95, 2014.