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L’école est-elle vraiment au cœur du débat ?

Nous sommes dans la dernière ligne droite électorale, même s’il faudra ensuite s’intéresser de près aux élections législatives, et nous avons au CRAP-Cahiers pédagogiques , comme beaucoup d’autres, porté un regard sur les programmes, les discours, les déclarations d’intention. Et en particulier bien sûr sur ce qui concerne l’éducation. Il ne nous appartient pas de prendre position pour tel ou tel candidat, en dehors de notre opposition bien évidemment absolue à tous ceux qui représentent l’extrême-droite. Mais il parait légitime à un mouvement pédagogique engagé comme le nôtre, qui a toujours porté des valeurs de la gauche progressiste et démocratique, de donner quelques éléments d’appréciation sur tout ce que nous avons lu et entendu.
Nous avons, lors d’une réunion de nos instances, examiné de près les éléments programmatiques des trois principaux candidats (et également des Verts qui nous ont associé, un temps, à leur réflexion, voici quelques mois).

Nous ne pouvons que nous réjouir de voir l’éducation occuper une place sans doute plus importante qu’en 2002 dans les débats. Cette place doit être centrale, nous disent les candidats, mais quand on regarde de près ce qui est dit, le flou a tendance à régner et les grandes déclarations, parfois lyriques, tendent à l’emporter sur les choix concrets et précis. Les propositions affichées sur les sites respectifs ont-elles été suffisamment travaillées, de façon approfondie ? Nous pouvons en effet en douter et manifester quelques inquiétudes.
La question de l’égalité scolaire, se résume bien souvent à l’existence ou non de zones d’éducation prioritaire sans que soit abordé alors le problème fondamental des inégalités territoriales. On déclare vouloir créer des internats spécialisés pour les élèves difficiles ou des enseignements culturels ou sportifs pour ceux qui sont en difficulté, des classes préparatoires dans les quartiers défavorisés et des filières d’orientation adaptées aux élèves pour résoudre l’échec de notre système. Le « soutien scolaire gratuit » tend notamment à devenir l’alpha et l’omega de la lutte contre l’échec scolaire, qu’il soit assuré par des enseignants « travaillant plus pour gagner plus » comme chez N. Sarkozy, ou également par des répétiteurs (mot bien mal choisi) chez S. Royal. Mais qu’en est-il des pratiques de classe, ces pratiques qui peuvent être discriminantes et excluantes ? L’idéologie de l’égalité des chances (qu’on peut appeler aussi la méritocratie ) renvoie à l’élargissement social des élites, mais ne pose pas vraiment la question de la « réussite pour tous » envisagé dans le rapport de la Commission Thélot en 2004. Affirmer, comme F. Bayrou, qu’il faut diviser par deux l’échec, et en particulier en lecture reste un vœu pieux et on n’aura pas la cruauté de rappeler des déclarations du même type avant que celui-ci ne devienne ministre de l’Education nationale (dans son livre La décennie des mal-appris). Et on se méfiera des solutions privilégiant l’individu sur le territoire. Il ne s’agit pas, pour nous, d’aider «ceux qui veulent s’en sortir », mais bien d’aider chacun à avoir la volonté de s’en sortir et de favoriser les pratiques collectives qui vont dans ce sens.
Seule aussi des trois grands candidats, S. Royal propose, semble-t-il, de revenir sur l’apprentissage à 14 ans. Même si ce dispositif concerne peu d’élèves finalement, il était une brèche symbolique dans une scolarité commune obligatoire et laissait (laisse) la porte ouverte à un retour fort des filières. N. Sarkozy prône des classes de niveau pour les élèves faibles, tout en déclarant leur donner des moyens supplémentaires. Et si on faisait davantage confiance dans l’hétérogénéité et la mixité sociale et culturelle ?

Un autre point important est l’affirmation de la liberté pédagogique. On peut certes se réjouir de la voir réaffirmée, en des temps où elle a été bien malmenée et où on a vu un ministre se mêler de méthodes de lecture ou de calcul. Mais il y a peu de réflexion sur ce qu’elle signifie vraiment. Liberté des individus, selon une conception très libérale, ou liberté à la fois individuelle et collective (projets d’établissement, travail d’équipe), ce qui ne va pas alors sans tensions et contradictions. La liberté pédagogique va de pair avec le pilotage, ce qu’affirme le programme de l’UMP, certes, mais avec une idée de « culture du résultat » qui peut inquiéter (les indicateurs de ces résultats sont à travailler, et il ne peut s’agir que d’un travail à long terme).
On peut quand même se réjouir, dans certains discours et programmes (notamment chez la candidate du PS) que l’expérimentation et l’initiative pédagogique soient mis en avant que la présence d’adultes professionnels de l’éducation dans les établissements soit renforcée (conseiller d’éducation, assistante sociale, infirmière, assistant d’éducation, enseignant en surnombre…)
A contrario, le statut et la définition du métier d’enseignant sont passés sous silence, leur recrutement par l’unique voie d’un concours n’est pas remis en cause ni même questionné, la valorisation de leur salaire n’est envisagée que par le supplémentaire et non l’autrement ou le différemment (avec évolution des services), bref, la question du changement des pratiques demeure taboue pour laisser place aux immobilismes ou aux discours généraux qui rassurent. On peut de même regretter que la nécessité d’une recherche pédagogique appuyée sur les pratiques soit absente chez tous les candidats.
Autre grande inquiétude : l’absence quasi-totale de référence au socle commun de connaissances et compétences. On trouve très peu de références à ce socle (si ce n’est sa suppression pour M.-G. Buffet qui y voit un nivellement par le bas), dont on ne sait dès lors s’il sera conservé. Plus généralement, les candidats se désintéressent des contenus, alors que la question est essentielle. Il est plus facile de parler structures et péri-scolaire.
Et s’il nous semble avoir compris en rencontrant des experts en éducation du Parti socialiste, que des dispositifs comme les IDD et les TPE allaient être renforcés en cas de victoire de S. Royal, la rénovation pédagogique n’a été évoquée qu’en termes vagues. F.Bayrou revendique la paternité des TPE, dont la genèse se situerait dans les TIPE de classes préparatoires qu’il avait institués. Mais que ne demande-t-il de développer des dispositifs de ce type, que soutient avec force D. Voynet en revanche.

Mais, en fin de compte, les candidats souhaitent-ils vraiment que l’école change ?
Peuvent-ils annoncer aujourd’hui de véritables transformations du système éducatif sans risquer le marasme électoral ?
Le jeu de l’élection incite les candidats à préférer la prudence et l’immobilisme à une véritable transformation de l’école. Du coup, la question du pédagogique est éludée, le projet d’établissement dénaturé, la loi d’orientation oubliée, l’idée de socle noyée dans des formules vagues… pour ne pas faire de vagues justement.

La liberté pédagogique pour enseigner des fondamentaux réunit tous les candidats. Mais cette expression reste floue et peut être interprétée dans un sens rétrograde.
Et si les principaux candidats se différencient sur le montant budgétaire prévu pour accomplir les missions de l’école ou sur la priorité ou non donnée à l’accueil de tous les élèves dans une structure commune dans le cadre de la scolarité obligatoire, aucun ne s’engage ou ne s’expose sur ce que pourrait être concrètement une école de la république plus juste socialement, moins mystificatrice et plus pédagogique, c’est-à-dire au service d’une éducation culturelle commune pour chaque jeune.

Le CRAP-Cahiers pédagogiques , 21 mars 2007.


Liens utiles pour en savoir plus sur les propositions des candidats

Les propositions de Ségolène Royal.
– Les propositions de Nicalos Sarkozy : discours d’Angers et convention de l’UMP sur l ‘éducation.
Les propositions de François Bayrou
Les propositions de Marie-Georges Buffet
Les propositions de Dominique Voynet
– Les propositions de Jean-Marie Le Pen

À signaler le site Votons qui propose une synthèse des propositions des candidats avec possibilité de les comparer en sélectionnant des candidats puis des thèmes :
http://www.votons.info