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Le livre du mois du n°531 – L’école des réac-publicains

Face au succès médiatique des idéologues réactionnaires que l’auteur appelle les « réac-publicains » (leur refusant à juste titre le qualificatif de « républicains »), voici (enfin !) un livre qui cesse de chercher à réfuter le discours conservateur en ne le traitant que sur le mode allusif.

L’école des réac-publicains rend compte d’une enquête approfondie et fourmille de citations et de références, tel un florilège des insanités qui émaillent les pamphlets faciles, qui font à chaque rentrée des succès de librairie en traitant les élèves de crétins et en affirmant avec aplomb que l’école n’est plus qu’un parc d’attractions. En plus de nommer ces analystes approximatifs des problèmes de notre institution éducative, le livre de Grégory Chambat retrace les filiations idéologiques et met au jour les parentés, les échanges d’idées et l’évolution des argumentaires.

L’analyse qu’il propose du discours réac-publicain montre, citations à l’appui, que les contempteurs du pédagogisme s’acharnent moins à défendre une école plus juste et plus efficace qu’à promouvoir un élitisme, voire une recherche de l’entre-soi social qui préserve l’univers dans lequel ils ont construit leur identité de toute contamination par l’immigration et le multiculturalisme, le doute et la démocratie, l’ouverture et la différence. Et, conforté par sa visibilité médiatique, le discours conservateur s’exprime avec une assurance croissante, affirmant d’une façon de plus en plus décomplexée ses options réactionnaires les plus odieuses.

La démonstration, cela dit, court parfois le risque de n’être convaincante que pour les lecteurs déjà convaincus. L’usage de la citation (à l’occasion trop courte et sortie de son contexte) a ses limites et le panorama souffre de quelques omissions, qu’il s’agisse du soutien de Jules Ferry (réduit à son côté le plus conservateur) aux principes de la pédagogie active ou des débats qui ont entouré la réforme du lycée de 1902, dont l’étude aurait permis de poser la question de l’adhésion de nombreux professeurs au discours conservateur. Celui-ci semble en effet n’être porté, à la lecture du livre de Grégory Chambat, que par des politiques ou des intellectuels. La question de la récupération syndicale de certains éléments de l’antipédagogisme n’est pas non plus abordée (à l’exception de Force Ouvrière), alors qu’elle est d’une grande actualité, comme elle a pu l’être à d’autres moments déterminants, comme sous Savary ou Allègre. On aimerait également en savoir plus sur la « pédagogie de combat » qu’il défend pour répondre à la « pédagogie noire » des réac-publicains.

Ce sont là les limites d’un livre délibérément militant, dont l’auteur rappelle d’ailleurs qu’il s’agit d’un élément de la mobilisation qu’il veut susciter dans sa ville, Mantes-la-Ville, dirigée depuis 2014 par une municipalité Front National. Et l’extrême droite, justement, est présente à chaque page, ses publications sur l’école et l’éducation faisant l’objet d’une lecture serrée. C’est là que l’argumentaire asséné par Grégory Chambat trouve toute son utilité : la parenté des formules, des références, des anathèmes antipédagogistes avec ceux de l’Action française, de Vichy, du Front National ou de son collectif Racines est manifeste. Même relayée par des essayistes ou des politiques qui ont pu se dire de gauche, la doxa réac-publicaine doit être perçue pour ce qu’elle est : une modalité de la lepénisation des esprits.

Yann Forestier


Questions à Grégory Chambat

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Les « réac-publicains » dont vous parlez n’usurpent-ils pas le mot « république » et, d’une certaine façon, ne donnent-ils pas une image fausse de ce qu’a pu être l’école de Jules Ferry ?
Les diatribes réactionnaires ont toujours pris pour cible celles et ceux qui entendaient améliorer et transformer l’école au nom de l’égalité et de la démocratie. Le terme « réac-publicain » invite à distinguer l’héritage républicain de son instrumentalisation réactionnaire avec sa vision caricaturale et mythifiée de l’école de Jules Ferry. Celle-ci, avec ses contradictions, est le reflet des luttes entre deux conceptions de l’éducation : une « pédagogie noire » (un enseignement de et par l’obéissance) face à une pédagogie active et coopérative.

Mais n’oublions pas que la IIIe République se revendique d’un projet social conservateur avec ses deux ordres d’enseignement, l’un pour le peuple, l’autre pour les dominants. Quand Jules Ferry reprend à la Commune l’idée d’une école publique, gratuite et laïque, c’est, dit-il, pour « clore l’ère des révolutions » et la retourner contre l’aspiration du mouvement ouvrier à s’émanciper lui-même. Au terme du fameux Tour de France par deux enfants (sous-titré « Devoir et patrie »), ces enfants d’ouvriers réintégreront leur classe d’origine. Là est la continuité avec le projet scolaire et social des réac-publicains : perpétuer et légitimer l’ordre établi et non le changer.

N’y a-t-il pas, chez ceux qui se réclament d’une pédagogie progressiste, trop d’indifférence et une tendance à ignorer les attaques outrancières des réactionnaires ?
Alors que les « réac-publicains » sont en passe d’assoir leur hégémonie culturelle, il est important de comprendre, en reliant les discours déclinistes à leurs enjeux historiques, sociaux, économiques et politiques, comment et pourquoi c’est d’abord autour des questions scolaires que cette offensive idéologique s’est cristallisée et radicalisée.

Pour la combattre, il ne faut pas laisser à cette nébuleuse le monopole de la contestation de l’école telle qu’elle est, c’est-à-dire ségrégative, élitiste et déjà trop traditionaliste. Face à cette vague réactionnaire, il convient d’opposer d’autres pratiques, égalitaires et démocratiques (travail collectif, conseils coopératifs, mobilisation des savoirs pour comprendre et agir sur le monde, etc.).

Peut-on dédouaner des syndicats qui reprennent pour certains, même atténué, le discours réac-républicain ?
Le Snalc (Syndicat national des lycées et collèges) ou Force Ouvrière font de leur antipédagogisme un argument électoraliste ; les autres, avec certes des nuances, ont malheureusement déconnecté le social, le collectif et le pédagogique. Les messages sont brouillés : comment lutter contre le libéralisme sans dénoncer un système éducatif axé sur la compétition et l’obsession de l’évaluation ? Comment le démocratiser sans combattre les régressions sociales actuelles ? Notre défi pourrait être de relier, au-delà des étiquettes partisanes, syndicalisme de luttes et pédagogies d’émancipation.

Qu’en est-il du corps professoral, dont une partie non négligeable n’hésite plus à afficher son attirance pour les idées droitières ?
Trente ans de harangues contre le pédagogisme et l’égalitarisme ont préparé le terrain à une droitisation décomplexée permettant au Front National de se lancer à la conquête de l’école.

Misère sociale, abandon des services publics, mais aussi injonctions contradictoires de l’institution alimentent les tentations réactionnaires et encouragent les solutions tape-à-l’œil faussement rassurantes (crispation sur les disciplines, les fondamentaux et la notation, appel à restaurer l’autorité, etc.).

Dès lors, comment s’affirmer progressiste tout en restant, par ses pratiques (ou ses revendications) dans un conservatisme routinier que la réalité du métier rend de plus en plus illusoire et inefficace ?

Face aux sirènes réactionnaires et à la fabrique de l’impuissance qu’est l’école, le pari est de retrouver le sens du collectif et de redonner un horizon émancipateur à nos mobilisations sociales tout comme à nos pratiques pédagogiques.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk et Cécile Blanchard