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L’école des chances

Dans ce petit livre très abordable (lisibilité… et prix !), François Dubet analyse avec une grande acuité l’idée d’égalité des chances à l’école, afin de répondre au mieux à la question posée dans le sous-titre Qu’est-ce qu’une école juste ? Pour lui, il faut continuer à utiliser cette notion comme « fiction nécessaire » à laquelle les élèves comme les enseignants sont obligés de croire, car sinon, « le travail pédagogique ne serait plus possible et toute l’architecture de la liberté et de l‘égalité s’effondrerait ». Et d’autre part, il n’y a pas vraiment de modèle alternatif si l’on reste dans le cadre de la démocratie, ce qui est plus que souhaitable. Il faut donc travailler à ce que l’école distingue le plus possible le mérite indépendamment de la naissance et de l’héritage socioculturel. Ceci implique d’aider les enfants issus des classes populaires, sur le plan collectif (en se gardant des dérives possibles de la discrimination positive) comme sur le plan individuel, par exemple en leur transmettant davantage les codes nécessaires pour s’en sortir (pour « en sortir »). Il y a bien des efforts à faire encore pour être vraiment des républicains.

Mais cela ne suffit pas. La compétition pour les places étant inévitable dans une société inégalitaire (on peut bien sûr lutter pour qu’elle le soit moins) il faut que celle-ci ne soit pas trop dure pour les « vaincus ». Dubet utilise un langage cru, mais réaliste, loin de l’hypocrisie habituelle. L’égalité restera relative et tout le monde n’aura pas accès aux meilleurs postes dans la société. Mais rien ne justifie la surcompétition à l’école, l’écrasement des plus faibles renvoyés à leur « nullité », l’alignement de l’école pour tous sur le modèle de l’excellence (la référence à la terminale S du lycée Henri IV en gros). Si on veut, à côté de la promotion du « mérite », éviter les fractures scolaires et sociales, il faut à tout prix :
– Définir un véritable socle commun, l’indispensable que nul ne doit ignorer.
– Assurer l’hétérogénéité jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, car c’est ce qui est le plus favorable au plus grand nombre.
– Ne pas oublier la dimension éthique : « Chaque élève doit être reconnu comme tel, traité comme un sujet singulier et égal à tous les autres, indépendamment de ses performances et de ses résultats. » (d’où l’importance de la vie scolaire, des relations professeurs-élèves, etc.)

Cela s’appelle rétablir un peu d’équité non pas en opposition avec l’idée d’égalité, mais comme moyen indispensable pour parvenir à davantage d’égalité.

Loin des proclamations lyriques et des diatribes enflammées, ce petit ouvrage indique quelques pistes pour construire l’école « la moins injuste possible », et cela, c’est peut-être bien plus révolutionnaire et dérangeant que de dénoncer les attaques du libéralisme ou de se concentrer sur la demande de moyens supplémentaires. Un livre qui arrive à point dans le débat sur l’école.

Jean-Michel Zakhartchouk