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L’échec scolaire

Qui a tué Davy Moore ? chantait Bob Dylan, en posant la question de la responsabilité de la mort d’un boxeur (son adversaire, le système « pourri », etc. ?) On pourrait intituler cet ouvrage en fait « qui est responsable de l’échec scolaire ? » tout en sachant qu’il s’agit d’un objet bien insaisissable, comme le disent les auteurs au début, quand d’aucuns considèrent comme échec le fait de ne pas être reçu à un concours prestigieux et d’autres comme une réussite d’obtenir un CAP dans les métiers de bouche pour un élève motivé et rêvant de son métier futur, plus ou moins fantasmé.

Ce livre s’inscrit dans la belle collection dirigée par André Tricot « Mythes et réalités ». Un des mérites principaux, c’est qu’elle nous permet sinon connaitre, du moins avoir un aperçu de nombreuses études et recherches sur un sujet donné et présente une synthèse assez complète de ce qui se dit et s’écrit autour d’une grande question. Mais la contrepartie, si on peut dire, c’est qu’on est plongé dans la complexité et qu’on sera vite déçu si on croit trouver des réponses définitives et des « preuves ». Ici, la multi dimensionnalité, la multi causalité l’emportent largement et des recherches citées peuvent parfois se contredire, ce qui autorise chacun à s’en revendiquer pour par exemple aussi bien prôner, pour faire réussir le maximum d’élèves, « l’instruction directe », le frontal ou au contraire un enseignement les impliquant et les rendant actifs.

Les auteurs font le tour des possibles accusés : des élèves pas assez « doués » ou « intelligents », de « mauvais profs », de « mauvais établissements », des « familles déficientes », le ministère ou encore des politiques mal conçues comme celle de l’éducation prioritaire. Et sur chaque point, les études nous incitent à la prudence avant d’édicter que oui, la taille des classes est décisive (ou au contraire, importe assez peu), que, oui, la part du maître est essentielle (alors qu’il est bien difficile de le démontrer, surtout de façon durable), ou encore que la politique d’éducation prioritaire est inutile ou au contraire positive à certaines conditions.

Pour autant, quelques points forts se dégagent. Pour ce qui est des idées reçues, une fois de plus le mythe du « c’était mieux avant ! » est mis à mal, il faut toujours rappeler les statistiques de l’échec au certificat d’études (un élève sur deux) ou le faible nombre de bacheliers jusque dans les années 60-70 (mais il est vrai que la « non-réussite » n’était pas forcément perçue alors comme un « échec scolaire »), le peu de mérite d’établissements prestigieux à se classer en haut du palmarès alors qu’ils sélectionnent les élèves les plus brillants : leur « valeur ajoutée » est finalement limitée par rapport à des établissements dynamiques, qui contredisent ce qui était attendu vu la composition sociale de leur public. Tout cela est connu bien sûr, mais par qui ? Les titres de grands medias ou les réflexions entendues parfois en salle des professeurs nous montrent en fin de compte l’intérêt d’un ouvrage accessible et bien ficelé qui met en avant ces « évidences ».

Pour ce qui est des pratiques pédagogiques efficaces face à l’échec scolaire, comme nous l’avons dit plus haut, il est difficile d’y voir clair. D’autant que l’outil d’évaluation influe beaucoup sur les conclusions qu’on peut tirer de diverses recherches. Surtout qu’il est toujours plus facile de proposer des questionnaires à choix multiples ou des exercices standard que d’évaluer des compétences, y compris ces fameuses compétences psychosociales qui auront une si grande importance dans la vie. Et d’ailleurs, réussir à l’école est-il toujours gage pour « réussir dans sa vie ».

Dans leur conclusion, les auteurs montrent bien la différence entre une vision collective de l’échec, avec une grande importance des facteurs sociaux et culturels et l’échelle individuelle où l’élève peut défier le « fatum », ce que Camille Peugny appelle le « destin fixé au berceau ». Et citons la dernière phrase de l’ouvrage : « Créer des conditions qui permettraient à l’enfant de s’émanciper des déterminations que tel ou tel milieu de vie construit dans la manière qu’il a de se projeter dans le monde scolaire reste le challenge principal de l’école républicaine. »

Jean-Michel Zakhartchouk