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L’aventure d’un lycée différent

Jeannot Médinger est un des membres fondateurs du Neie lycee. Il nous a présenté, ainsi que Mehmed Ozen, membre de l’équipe, les grandes lignes de ce projet novateur.
Tout est parti, il y a plus de dix ans, du constat que l’enseignement au Luxembourg fonctionnait de façon très individualiste, tout en étant assez inefficace. Tant d’élèves ne travaillent tout au plus que pour le contrôle et oublient très vite ce qu’ils ont appris… Les concours de recrutement du secondaire, très sélectifs, n’ont aucun aspect pédagogique et au bout des trois ans obligatoires de stage, beaucoup de professeurs entrent dans le métier sans vraie préparation et sans grande motivation. Aussi la petite équipe qui a peu à peu constitué le projet de lycée pilote a-t-elle voulu réagir et bâtir un établissement qui reposerait sur la coopération, sur de vrais apprentissages, avec des évaluations différentes, afin de préparer vraiment les élèves à la vie moderne et à la citoyenneté.
Suite au changement de majorité politique en 2004 et à l’arrivée au ministère de l’Éducation d’une socialiste, Mady Delvaux-Stehres, le projet a pu voir le jour et en juillet 2005, le Parlement a voté une loi qui instituait le lycée pilote[[On peut lire l’intégralité de cette loi sur http://neielycee.web.myschool.lu/]].
Le lycée, établissement public, fonctionne cependant selon un régime dérogatoire, puisque les enseignants ont un temps de présence de 30 heures (mais sont tous volontaires), avec un service diversifié comprenant des cours (dix-huit séquences de cinquante minutes), des moments de tutorat (avec huit élèves) et une concertation régulière. Des « cafés pédagogiques » mensuels permettent d’aborder divers sujets et de mutualiser l’expérience de chacun.
Les élèves sont eux aussi présents plus longtemps (trente heures) et doivent suivre des cours, mais aussi participer aux études et rencontrer leur tuteur. La scolarité se fait sur sept ans, avec au bout de trois ans un passage devant un jury externe qui décide de l’orientation.[[Nous n’aborderons pas la complexité de l’organisation de l’enseignement au Luxembourg, l’objet de cet article étant plutôt d’évoquer en quoi le lycée fonctionne « différemment ».]] L’enseignement se fait de façon originale, tout en se soumettant aux objectifs nationaux qui, notamment, séparent dès l’entrée dans le secondaire les secteurs généraux, technique et professionnel – mais en l’occurrence les passerelles seront effectives au Neie lycee.

Une journée bien remplie

Prenons, pour être concret, la journée d’un lycéen (pour le moment, il n’y a que les premières années, soit 160 élèves). Nous sommes lundi matin. À 8 h 10, c’est un premier cours de cent minutes dans une des branches disciplinaires (langues[[La situation du Luxembourg est complexe, entre le français, le luxembourgeois, l’allemand (et l’anglais de plus en plus nécessaire).La situation du Luxembourg est complexe, entre le français, le luxembourgeois, l’allemand (et l’anglais de plus en plus nécessaire).]], mathématiques). Le professeur fera peut-être ce matin travailler les élèves pour les besoins techniques du projet en cours. Après un moment assez long de pause, l’élève va travailler à nouveau cent minutes dans une « branche interdisciplinaire », soit science et technique, soit sport et santé, soit art et société, soit éducation aux valeurs. Il travaille là sur un projet qui peut donner lieu à un exposé oral et doit absolument aboutir à une trace sur un portfolio qui va accompagner l’élève durant toute sa scolarité. Il s’agit de développer l’une des compétences figurant sur un socle élaboré par l’équipe. Si par exemple, on prend les compétences de la branche Art et société, on aura à développer la capacité à contextualiser, qui se décline en chercher/interpréter/transférer/faire preuve d’esprit critique/traiter les textes par rapport à leur contexte. On peut lire le tableau complet des compétences sur le site du Neie lycee.
Suivent les études, le repas, des activités complémentaires (théâtre, cirque, artisanat, jardinage, musique…) qui correspondent souvent à un besoin repéré de l’élève et sont assurées par des intervenants extérieurs, pendant quarante minutes. Puis à nouveau une activité interdisciplinaire, et enfin une plage d’études (quarante minutes) jusqu’à 16 h 30 certains jours, dix-huit heures d’autres.
Un emploi du temps bien rempli, avec deux fois par semaine une activité de perfectionnement (dont, par exemple, le latin ou l’anglais).

D’autres manières d’apprendre

La volonté des initiateurs de projet est d’avoir des classes hétérogènes. Ils sélectionnent les candidats en équilibrant les élèves d’origines sociales et culturelles différentes : ceux à qui les parents ont souhaité donner une éducation moins conformiste, et ceux qui sont en difficulté, à la limite du décrochage. Le recrutement traduit le souhait d’être un lycée « ordinaire ». Le fonctionnement, on le voit, est en revanche très différent, avec comme principes pédagogiques la mise en activité de l’élève, le développement de la créativité, de l’esprit critique, de l’engagement et de la responsabilité. La pédagogie du projet est essentielle. On y retrouve les trois phases classiques : exploration et information, puis recherche organisée et appropriation et enfin restitution (avec souvent une soutenance devant la classe). Le groupe classe est maintenu, sauf dans les moments de « perfectionnement ». L’essentiel du travail se fait dans l’établissement, pendant les fréquentes heures d’études.
Jeannot Médinger insiste bien sur le fait qu’il n’y a pas, dans le lycée, de doctrine pédagogique et qu’au contraire, il est prôné la diversité des méthodes. Il est vrai qu’il lui faut répondre aux accusations des frères jumeaux des antipédagogues français. C’est ainsi que le journal d’une association de professeurs de l’enseignement secondaire et supérieur attaque le lycée et ses concepteurs dans son numéro de février 2006, en déformant des propos tenus notamment dans le Monde de l’éducation de décembre 2005. Avec le projet du Neie lycee, il s’agirait d’une « nouvelle attaque contre les enseignants » et de la tentative d’imposer une « pensée pédagogique unique » fondée sur le constructivisme et visant à « la destruction de toute transmission des connaissances ».
Il y aura certes à voir les résultats concrets du lycée, qui de toute façon est suivi par un groupe lié à l’université, tout en étant guidé également par un conseil scientifique très pluriel (où on trouve par exemple, à côté d’André Giordan ou d’Albert Jacquard, un banquier ou un industriel). Si des échos dans la presse locale sont pour le moment favorables, on se doute bien qu’un tel projet, ambitieux et dont l’échec ravirait bien des gens, n’est pas facile à mettre en place et à faire fonctionner. La ministre, dans ce petit pays, vient régulièrement discuter avec l’équipe, l’enjeu étant important. Le lycée accueillera bien volontiers des visiteurs venus voir comment il fonctionne, mais à condition que ce ne soit pas épisodique et qu’on s’efforce, sur un temps pas trop court, de bien saisir la logique de fonctionnement.
Affaire à suivre…

Reportage de Jean-Michel Zakhartchouk, février 2006.