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L’avenir de l’école : la nécessité d’en débattre ?

À lire la presse majoritaire et à observer les informations diffusées par les chaînes de télévision, le débat lancé dans un courant d’air lundi dernier à Lille, serait un grand moment de démocratie directe, une occasion unique offerte à tous les citoyens de s’exprimer sur l’état de l’école et sur les transformations nécessaires… À en croire les déclarations ministérielles, rien n’est joué d’avance, tout est à construire… En bref, tous ceux qui s’intéressent à l’école devraient vivre de formidables moments. L’euphorie n’est pourtant pas au rendez-vous. Personne ne croit vraiment que la nouvelle loi d’orientation n’est pas déjà écrite dans ses grandes lignes, comme cela se dit au groupe parlementaire UMP. Pire, en particulier dans les écoles maternelles et élémentaires, le climat qui se détériorait déjà, indépendamment, ou en plus, des désillusions du printemps, devient insupportable au fil des déclarations péremptoires des ministres, du président de la République et d’une campagne soigneusement organisée.

Ici et là, de vives tensions ont commencé, depuis plusieurs mois, à éclater entre parents et professeurs des écoles. Le nombre d’enseignants interpellés et mis en cause par des parents s’est accru rapidement depuis la rentrée :
– ceux des CP accusés de ne pas reproduire les méthodes dont les parents ont été les bénéficiaires (ou les victimes) alors que le ministre ne cesse de glorifier le b-a/ba. Et comme c’est le ministre qui l’a dit et qu’il l’a dit à la télévision… les enseignants n’auraient qu’à obtempérer ;
– ceux qui ont abandonné, depuis longtemps, la notation assassine, les classements au centième de point dès le CP, le redoublement, et qui subissent les assauts des anciens et des nouveaux conservateurs confortés par les discours officiels ambiants sur l’autorité, sur l’émulation, sur le retour aux bonnes vieilles méthodes qui n’ont pourtant jamais fait leurs preuves… sinon pourquoi diable se serait-on évertué depuis plus de trente ans à tenter de transformer l’école !
– ceux qui ont appliqué consciencieusement les programmes et instructions signés de Luc Ferry, président de la commission nationale des programmes, et qui se heurtent aux déclarations diamétralement opposées de Luc Ferry, ministre.

Les tensions, qui furent terribles entre instituteurs et professeurs de collège au point de rendre inutiles voire risquées les tentatives de liaison école/collège, qui s’étaient un peu apaisées avec un effort d’harmonisation et de continuité de programmes, renaissent et s’exacerbent. Ceux qui dans le passé, se heurtant aux difficultés de la prise en compte de l’hétérogénéité, faisaient systématiquement le procès de l’amont, renouent avec leurs vieux démons au nom de la transmission redevenue sacro-sainte des savoirs, du « retour » à l’autorité, à l’effort et à la responsabilité des parents. Les récentes réunions école/collège observées sont de très mauvais augure.

Les temps sont durs pour ceux des enseignants qui ont avancé pas à pas depuis la fin des années 70, sous la droite, puis sous la gauche avec des alternances qui n’ont pas imposé de rupture, qui ont compris que la loi d’orientation de 1989 avec l’élève au centre du système et pas l’enseignant et son programme disciplinaire à transmettre à une minorité, avec les projets d’établissement et le travail d’équipe, avec les cycles, était un acte historique marquant enfin une rupture claire avec l’école du xixe siècle qui avait longtemps agonisé. Que d’énergie dépensée, que d’intelligence mise en œuvre, que de réflexions partagées et approfondies collectivement avec le soutien des mouvements pédagogiques (OCCE, AFL, ICEM, GFEN [[Office central de la coopération à l’école, Association française pour la lecture, Institut coopératif de l’école moderne (mouvement Freinet), Groupe français d’éducation nouvelle).]]…) aujourd’hui étouffées. Que de grands spécialistes contemporains (Meirieu, Dubet, Morin, Giordan, Bassis…) aujourd’hui méprisés ! Tout cela pour presque rien… pour revenir cinquante ans en arrière !

Il faudrait que les enseignants progressistes soient héroïques ou inconscients pour ne pas être désespérés par tant de hargne, par tant de mépris pour la recherche et l’innovation, par un tel rejet annoncé de la pédagogie.

On s’attend un peu partout, à de vives joutes oratoires entre les « anciens » et les « modernes » dans de nombreuses écoles qui ont rencontré de réelles difficultés pour trouver un animateur compétent et suffisamment informé pour éviter procès et mises en cause. Les spécialistes savent qu’ils auront, sur des problèmes aussi complexes et vitaux pour notre société, bien du mal à s’accommoder du niveau du café du commerce et à ne pas s’insurger… même s’ils ont bien compris qu’ils doivent céder la place aux sondages, aux microtrottoirs, aux idées reçues… Entre indifférence et colère, les conflits arrivent… et la grande désillusion avec.

Qui sème le vent, récolte les tempêtes. Le ministre ne l’ignore pas, il sème du vent, mais il sait aussi que c’est le prix à payer pour réussir le démantèlement du service public et ouvrir la voie au libéralisme. Il observe donc tout cela avec une certaine philosophie…

Pierre Frackowiak, inspecteur de l’Éducation nationale.