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L’autorité et les surveillants

L’autorité : une compétence

Le rôle des surveillants est aujourd’hui plus qu’hier de faire preuve d’autorité, c’est-à-dire d’avoir une véritable mission éducative. Faire preuve d’autorité s’apprend. Tout d’abord parce qu’on ne peut plus s’appuyer sur l’autorité de statut, pour se faire entendre, et ce d’autant plus en ce qui concerne celui des surveillants qui est resté figé depuis 1937. Alors que le public a radicalement changé, les formes de recrutement, les exigences de l’institution, elles, n’ont pas évolué. Ensuite, parce qu’il nous semble qu’invoquer l’autorité naturelle dans toute fonction éducative est un leurre. L’autorité ne peut se réduire au simple fait de se faire obéir, ou d’avoir un certain charisme. Il n’y a d’autorité qu’autorisée par la loi, et c’est précisément cette loi qui protège les individus contre les abus de pouvoir d’un chef ou d’un leader. Autrement dit, ne peut faire preuve d’autorité que celui à qui l’État a attribué une fonction. Bien entendu, c’est une condition nécessaire, mais non suffisante.

Autorité et respect de l’autre

L’autorité exclut le pouvoir sur l’autre en général. Autrement dit, le pouvoir entendu comme pouvoir sur et non comme pouvoir de faire et d’être, engendre un certain nombre de réactions et de comportements, qui vont à l’encontre des finalités de l’autorité éducative. En premier lieu, le pouvoir engendre le contre-pouvoir, c’est-à-dire les mécanismes de défense des élèves : se révolter, se soumettre, résister ou devenir passifs. En second lieu, l’usage du pouvoir diminue l’influence de l’éducateur : il contraint seulement les élèves à se comporter selon les règles imposées. Enfin, l’usage du pouvoir prive l’adulte d’une relation réelle avec l’élève, où chacun peut apprendre de l’autre. Bref le pouvoir sur l’autre impose, alors que l’autorité, même si elle contraint, respecte l’autre.
Ainsi, l’autorité éducative est liée à la croissance, au développement et non à un interdit ou à une coercition sans finalité. Et c’est bien là tout le sens du mot auctor. L’autorité vise à rendre les élèves autonomes, c’est-à-dire capables de se référer à eux-mêmes et non pas à une autorité extérieure. L’autorité a pour finalité de rendre les élèves responsables de leurs actes, c’est-à-dire capables de prévoir ce qu’ils font et d’assumer ce qu’ils sont.
L’autorité ainsi définie semble bien nécessaire. Et elle l’est lorsque l’on considère les besoins propres de l’adolescent. Ce dernier a besoin de rencontrer des adultes structurants d’abord pour échanger avec eux, être écouté, ensuite pour s’opposer à eux, afin de se construire. Par conséquent, l’autorité de l’éducateur, qui ose dire non tout en donnant la raison de ce non, n’est-elle que le respect dû à l’autre, à cette personne qui a besoin d’affronter la consistance de son environnement pour devenir maître de soi.
Fondamentalement, faire preuve d’autorité, c’est toujours témoigner de ses valeurs, sans chercher à utiliser la force, la ruse ou d’autres mécanismes psycho-affectifs. Mais c’est aussi quelquefois s’efforcer d’influencer l’autre, en lui présentant ses arguments avec conviction et enthousiasme, en lui montrant toutes les conséquences d’une décision ou d’un comportement.

L’autorité des surveillants en question

L’autorité éducative se trouve être une composante essentielle de la fonction de surveillant. En effet, dans un établissement scolaire, les surveillants sont les premiers à être en contact avec les élèves. Ce sont aussi ceux qui les côtoient le plus dans les lieux et les moments interstitiels de la vie scolaire. Couloirs, récréations, demi-pension, internat constituent des lieux et des moments de socialisation où les élèves s’expriment librement. Il s’agit prioritairement, de manière individuelle et collective, d’assurer leur sécurité. Il s’agit aussi de s’attarder sur un certain nombre de comportements et d’agissements, qui sont autant d’occasions éducatives, pour peu que les surveillants sachent et puissent faire preuve d’autorité. Qu’en est-il ?
Les surveillants, dans leur grande majorité, reconnaissent avoir connu des difficultés lors de leur premier poste. Les difficultés rencontrées sont liées à la désobéissance et à l’insolence des élèves, le lieu névralgique étant celui de la permanence. Les difficultés principales concernent le positionnement à avoir et l’usage de la sanction. Comment me positionner vis-à-vis d’un élève insolent, qui remet en question ce que je dis, qui ne respecte pas les règles édictées ? Faut-il sanctionner, et si oui, à quel moment et comment ?
Les surveillants ont bel et bien des difficultés à faire preuve d’autorité et ce, aujourd’hui plus qu’hier. Pourquoi ?

Les obstacles à l’autorité…

On peut tout d’abord dire qu’une des causes de la difficulté à faire preuve d’autorité tient à la psychologie même de l’individu. Faire preuve d’autorité signifie en effet faire le deuil du besoin d’être aimé. Pour faire ce deuil, il est nécessaire de comprendre ses propres mécanismes de fonctionnement. Ainsi, la démagogie, régie par le besoin de valorisation, d’amour et de reconnaissance, lorsqu’elle s’impose comme mode de fonctionnement, entrave totalement la mission de l’adulte-éducateur.
Les surveillants expliquent également leurs difficultés par d’autres causes individuelles la proximité d’âge, le manque d’expérience ainsi que le fait d’être arrivé en cours d’année. Mais ils évoquent majoritairement des causes institutionnelles : l’organisation et le fonctionnement des lieux et des moments de surveillance. En permanence, par exemple, le fait d’avoir à surveiller des études surchargées, où viennent s’ajouter les élèves exclus de cours et les élèves en retenue, ne facilite pas leur rôle.
Par ailleurs, les statuts, les formes de recrutement, les exigences de l’institution n’ont pas suivi l’évolution des publics scolaires. Le public scolaire a en effet radicalement changé : public hétérogène, parfois très difficile, réfractaire à toute forme scolaire. Dépourvus du sens de l’effort, de la loi, de l’autorité, les nouveaux publics scolaires mettent en difficulté l’ensemble des acteurs de l’école, et notamment les surveillants.
Enfin, on peut pointer une dernière difficulté qui a trait non plus au monde des élèves, mais à celui des surveillants. Les surveillants en poste à partir des années 1980 font partie de la génération des années soixante : ils ne sont pas aussi bien armés que leurs prédécesseurs pour faire preuve d’autorité. Inscrits dans la même mouvance culturelle que les élèves qu’ils encadrent, les surveillants sont peu outillés pour reconnaître et intervenir en cas de transgression.

…et leurs conséquences

Un fonctionnement démagogique ou un manque d’autorité peut avoir des conséquences non négligeables à la fois pour les élèves et pour l’équipe des surveillants. La démagogie, elle, rend tout positionnement de l’adulte difficile, voire impossible. Les élèves manquant de repères stables, vont tenter de « jouer avec » le surveillant, tout en jugeant les autres trop sévères ou injustes. Ce fonctionnement risque fortement de provoquer des conflits entre surveillants et, à tout le moins, un manque de cohésion et de cohérence au sein même de l’équipe.
Le manque d’autorité, lui, qui se manifeste dans la pratique par la même difficulté à se positionner, à savoir dire non, voire à mettre des sanctions, aura des conséquences quelque peu différentes : tout d’abord les élèves manqueront de limites claires par rapport à la loi, chaque surveillant ayant plus ou moins les siennes. Ensuite, les élèves, qui font vite la différence entre le surveillant « sévère », et celui qui l’est moins, auront tendance à négocier, à s’adresser à la « bonne » personne pour contourner la loi. Enfin, le surveillant qui fait preuve d’autorité a le mauvais rôle et risque de s’épuiser s’il n’est pas suivi dans sa démarche par les autres collègues. Ses interventions pour rappeler la loi se feront de plus en plus rares, il pourra aller, dans certains cas, jusqu’à fermer les yeux sur les agissements transgressifs des adolescents.

Le CPE garant de l’autorité

Le CPE a un rôle fondamental dans l’exercice de l’autorité des surveillants et peut agir dans différentes directions. Tout d’abord, il s’agit de contribuer à mettre en place un cadre sans uniformiser les personnalités, il s’agit d’harmoniser les modes de fonctionnement. C’est la mise en place de règles de fonctionnement, respectées par tous les surveillants d’un établissement, qui assurent la cohérence des actions et des interventions. Car, en définitive, ces règles permettent aux élèves d’avoir des repères et d’apprendre la consistance et la persistance de la loi. Elles limitent les failles du système et donnent moins l’occasion aux élèves de « jouer » avec la loi et les différences entre surveillants.
Ensuite, quand on interroge les surveillants, on se rend compte qu’ils attendent du CPE un accompagnement. Ils attendent que le CPE les soutienne, bien entendu, mais aussi qu’il se positionne, qu’il les responsabilise et qu’il leur fasse confiance. Autrement dit, c’est bien une relation d’autorité que les surveillants attendent du CPE, une relation « en miroir » qui consiste à instaurer avec les surveillants ce que l’on souhaite qu’ils instaurent avec les élèves. Il apparaît dès lors qu’une telle relation CPE-surveillants ne peut que favoriser leur autorité.

Le CPE et l’accompagnement

Enfin, il nous semble fondamental de mettre en place avec les surveillants des modalités d’accompagnement. Les modalités d’accompagnement sont des temps clés qui posent les jalons d’un véritable travail en équipe (CPE-surveillants). En ce sens, l’accueil nous semble être le premier de ces moments. Il remplit plusieurs fonctions : tout d’abord une fonction d’intégration : il est fondamental que les surveillants se sentent accueillis en tant que personnes et associés au devenir de l’établissement. L’accueil remplit ensuite une fonction d’information : la présentation de l’établissement, de son fonctionnement, et les caractéristiques du public, donnent aux surveillants un premier aperçu de leur mission. L’accueil permet par ailleurs la présentation des rôles respectifs : expliquer aux surveillants les contraintes constituant leur emploi du temps et le sens des exigences que l’établissement s’est fixées. Le CPE, nous semble-t-il, doit ainsi expliquer aux surveillants ce qu’il attend d’eux. Ainsi, la cohérence est le principe qui régit les différentes actions ou interventions. Autrement dit, chacun ne peut pas fonctionner de manière autarcique, en se fondant uniquement sur l’idée qu’il a de l’éducation, de l’autorité, de la loi. Il s’agit selon nous de dire aux surveillants que le CPE est solidaire de leurs interventions, mais que parallèlement, il observera leur travail et fera le point avec chacun d’eux.
L’accueil remplit ainsi une dernière fonction : une fonction de sécurisation.
Les réunions de concertation constituent la deuxième modalité d’accompagnement. L’objectif principal est une régulation collective : faire le point sur le fonctionnement et les exigences de départ. Y a-t-il des tâches qui posent problème ? Les surveillants ont-ils des propositions à faire pour améliorer leur service et optimiser leur rôle ? Y a-t-il des dysfonctionnements au sein de l’équipe ? Peut-on se mettre d’accord sur des exigences communes ?
L’organisation d’entretiens individuels constitue une autre modalité d’accompagnement. Ces entretiens doivent permettre à chaque surveillant de s’exprimer sur son vécu dans l’établissement, sur les satisfactions et les difficultés qu’il peut rencontrer dans sa mission. Il doit aussi permettre au CPE de faire le point individuellement avec chaque surveillant, à la fois pour valoriser son travail et pour mettre en perspective les améliorations possibles. Ce dispositif nécessite en amont que le CPE observe attentivement le travail de chacun, pour l’évaluer de façon objective et impartiale.
Nous pensons, pour conclure, que l’attitude et la volonté du CPE d’une part et la mise en place de modalités d’accompagnement d’autre part, sont les éléments clés qui favorisent non seulement les postures d’autorité, mais aussi la constitution et la cohérence de l’équipe.

Stéphane Auger, CPE au collège Diderot à Aubervilliers (93)

  • Le cas de la permanence
    Pourquoi la permanence ? En premier lieu parce qu’elle est le moment où les surveillants disent avoir le plus de difficultés. La permanence se trouve être le lieu à haut risque de l’autorité des surveillants. En second lieu, corollairement, parce que c’est un moment « vide », qui représente dans la plupart des cas un « trou » dans l’emploi du temps, un lieu d’attente, un lieu de jeu (celui du chat et de la souris) entre les élèves et les surveillants. Bref, c’est un moment qui a perdu sa signification à la fois pour les élèves et les adultes.
    Ainsi, il s’agit de transformer ce lieu d’exclusion, de passivité, de punition, en un lieu d’accueil, en un espace éducatif et pédagogique. La permanence doit être repensée autour de ces objectifs. Ainsi, redonner du sens, c’est d’abord instituer des règles de fonctionnement communes qui aident les élèves et facilitent véritablement le travail des surveillants. Ces règles favoriseraient la cohérence de l’équipe, légitimeraient leur autorité et constitueraient un appui pour sanctionner. Mais elles permettraient aussi d’optimiser le travail de l’élève et favoriseraient l’apprentissage de la règle. Redonner du sens, c’est ensuite diversifier les lieux et les moments où les élèves ne sont pas pris en charge par les enseignants : un accès facilité au CDI, un foyer, une permanence gérée par les élèves (de troisième par exemple), en autodiscipline. Enfin, faire de la permanence un lieu digne d’intérêt nécessite de trouver un autre lieu pour les élèves qui seraient exclus de cours et ceux qui sont en retenue. Le rôle du surveillant s’en trouve automatiquement modifié : plutôt que de craindre des débordements et de réprimer les comportements transgressifs, son rôle, outre de surveiller et de contrôler, pourrait être de stimuler et d’encourager les élèves.