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L’autorité éducative, la construire et l’exercer

Pour l’auteur et les différents contributeurs du livre, l’autorité n’est pas innée, elle ne relève pas du charisme, elle s’élabore au jour le jour et reste, de façon permanente, « en construction ». Une orientation générale qui va à contrecourant d’un certain esprit ambiant en quête d’une restauration de l’autorité d’hier pensée comme l’attribut quasi sacré de ceux qui la possèdent.

Si ce mode d’autorité, légitimé par un principe de transcendance, a pu fonctionner dans des sociétés patriarcales marquées par une organisation hiérarchique, « le mouvement d’émancipation critique de la modernité » rappelé par Eirick Prairat le rend inopérant en ce qu’il « ne cesse de faire l’éloge de l’égalité ». Une analyse partagée par François Dubet pour qui « la crise de l’autorité est la conséquence fatale de la modernité, qui rationalise et désenchante le monde » et par Daniel Marcelli qui souligne, lui aussi, que « dans une société démocratique, fondée sur le principe d’égalité des individus, […] il n’est plus possible de conserver une définition de l’autorité qui s’appuie sur une hiérarchie implicite et inégalitaire ».

Quels peuvent donc être alors les ressorts de l’autorité aujourd’hui ?

Pour Dubet, « dans une société démocratique, on obéit à une loi parce qu’on la pense juste » et, ajoute-t-il, « il nous faut donc construire l’autorité et sa légitimité en la faisant découler de la justice scolaire et en l’inscrivant dans un art de vivre ensemble des sociétés démocratiques ». Les nombreux témoignages et récits d’expériences de praticiens (souvent appuyés sur la pédagogie institutionnelle) lui donnent raison en montrant l’intérêt d’associer les élèves à l’élaboration collective des règles de fonctionnement et à leur contrôle.

Mais on pourra aussi mettre l’accent sur quelques traits saillants qui nous paraissent particulièrement pertinents, bien que peu inscrits dans les mentalités.

D’abord (et cela ressort à la fois dans les récits d’expériences et les propos de chercheurs), l’adulte qui a de l’autorité est, comme le rappelle Mireille Cifali, consistant, certes, mais « avec ses fragilités ». Sa consistance s’appuie sur ses valeurs, ses convictions et son aptitude à assumer la dissymétrie des places dans la relation éducative. Mais elle n’est pas rigidité : elle reste vulnérable aux failles inhérentes à la condition humaine, aux erreurs toujours possibles et aux affects qui traversent toute relation. Ne pas l’accepter peut mener à confondre pouvoir et autorité.

Or l’autorité, nous dit Daniel Marcelli, loin d’être une manifestation de domination de l’autre, est un « non-acte » de qui a su « renoncer à son pouvoir de contrainte ou de soumission par la force ou par la séduction ». Et c’est parce qu’il n’a pas été contraint de se soumettre que le plus faible peut accepter d’obéir et reconnait l’autorité de celui qui respecte l’éventualité de sa désobéissance et de sa transgression. Penser l’autorité comme une attitude de retenue (de la force ou de la séduction) là où il est fréquent de la penser sur le mode unique de l’intervention, ouvre des perspectives tout à fait intéressantes.

Une des conditions de l’autorité réside bien dans « l’engagement personnel, l’autorisation d’être partie prenante d’une relation, avec et parfois au-delà de notre statut » (M. Cifali). Un engagement qui ne va pas sans risque : celui de toute relation qui cherche à être authentique. Si les jeunes ont besoin d’un cadre sécurisant et contenant pour se construire, ce cadre n’est agissant qu’au travers des adultes qui l’investissent.

Une autre piste est particulièrement féconde : le « collectif ». On ne fait pas autorité tout seul. Les dynamiques collectives d’établissement facilitent l’exercice de l’autorité de chacun, mais travaille-t-on suffisamment sur leur mise en œuvre ?

Tout est bon à prendre dans cet ouvrage précieux, tant du côté des références théoriques que des récits d’expériences et des principes d’action. Les voix croisées de chercheurs et d’acteurs diversement situés dans le champ éducatif (enseignants, chefs d’établissement, formateurs, conseillers principaux d’éducation, parents), loin de diluer le propos, lui donnent au contraire consistance et crédibilité.

Formulons le souhait que sa lecture en soit largement conseillée dans les ESPÉ et dans les établissements scolaires, qu’elle contribue à modifier les discours simplistes et réducteurs sur l’autorité et la tenue de classe et qu’au-delà de « trucs pour agir », elle fournisse aux éducateurs des outils pour penser. Car on aura compris que pratiquer une autorité qui se veut éducative consiste moins à tenir une classe ou assujettir des élèves qu’à trouver collectivement les voies d’une relation et d’une organisation qui les aident à se mettre en mouvement pour apprendre et grandir.

Nicole Priou


Questions à Bruno Robbes

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Pour François Jacquet-Francillon, nous sommes passés d’une « culture des humanités classiques qui avait pour but de faire des individus “distingués” séparés culturellement du reste de la société » à une « culture destinée à nous rendre semblables et non pas différents », ce qui affecte l’autorité du maitre. Partagez-vous ce constat ?
On pourrait soutenir à l’inverse qu’avec l’essor de l’individualisme comme valeur sociétale dominante, les personnes cherchent à se distinguer davantage les unes des autres, dans un environnement concurrentiel où la culture est d’abord un modèle économique qui les normalise certes, mais avec subtilité, puisqu’elle est capable d’adapter ses stratégies aux singularités.

Si les humains ont en eux cette double aspiration à être à la fois semblables et distincts, il faut se demander pour quelles finalités, et quels environnements leur permettraient de la satisfaire. S’agit-il de leur faire croire qu’ils sont distincts ou semblables par l’illusion, la séduction, donc au final de les soumettre, ou de les aider à devenir toujours davantage auteurs d’eux-mêmes, en reconnaissant que cette quête jamais achevée d’exister distinctement des autres passe irréductiblement par d’autres ? Une vision marchande de la culture et des connaissances ne peut que limiter les ambitions et les exigences qualitatives, au risque de l’emprise et de l’asservissement des individus. La place des contrecultures, des pratiques culturelles alternatives ou minoritaires est essentielle. Sur ces deux aspects, l’autorité enseignante est directement concernée à travers l’accès à des lieux culturels de qualité, les objets culturels et les supports de connaissance proposés aux élèves. Aujourd’hui d’ailleurs (et c’est réconfortant), dans les discours d’enseignants comme de la plupart des chercheurs traitant de ces questions, on oppose de moins en moins culture, savoir et pédagogie.

Vous affirmez, dans votre livre, que « la recette est un leurre » et proposez des « outils pour penser » plutôt que « des trucs pour agir ». Est-ce déjà possible en formation initiale ? Ou plutôt envisageable en formation continue ?
C’est possible et même souhaitable, à la fois en formation initiale et continue, à condition de travailler en tenant compte des préoccupations des professionnels (celles des enseignants débutants ne sont à priori pas celles des plus expérimentés, ce qui n’exclut pas de les faire travailler ensemble sur les mêmes situations), en variant les lieux d’exercice (la diversité des terrains d’expérience est une richesse pour l’analyse), en multipliant les situations étudiées qui présentent en contexte plusieurs réponses possibles (afin d’éviter l’effet modélisant de la réponse qui a fonctionné dans une situation donnée). Il s’agit d’abord de mettre au jour des principes directeurs qui guident les actions, des cheminements réflexifs qui explicitent les décisions prises et les buts poursuivis, plutôt que de compiler les bonnes pratiques. Il ne s’agit pas, comme le dit Eirick Prairat à propos de la sanction éducative, de « faire voir », mais de « donner à penser ». Ainsi, plusieurs textes de l’ouvrage résultent de l’utilisation de dispositifs nombreux dont nous disposons aujourd’hui, pour répondre à des besoins de formation complémentaires : méthodologies d’analyse de situations, monographies de la pédagogie institutionnelle, plateforme NéoPass@ction, etc.

Dans le chapitre 5 sur « les relations d’autorité dans l’établissement », on voit bien la diversité des fonctionnements des collectifs que sont les établissements. La division du travail (conseiller principal d’éducation d’un côté, enseignants de l’autre) qui n’existe pas dans tous les pays (dans le livre, exemples de la Finlande ou de la Nouvelle-Zélande) n’est-elle pas en France un obstacle à une mise en œuvre réussie de l’autorité éducative ? Dans quel sens faudrait-il faire bouger les choses ?
Je pense en effet que l’habitude des professeurs français à sous-traiter les questions de discipline, de sanction, d’autorité et à abuser de l’exclusion est un obstacle, d’abord à l’exercice de l’autorité des professeurs eux-mêmes, ce dont peu sont conscients. Car demander à quelqu’un d’exercer l’autorité à sa place, c’est faire disparaitre la sienne. Pour autant, il existe des situations limites où un professionnel, aussi expérimenté soit-il, peut avoir besoin de (voire même doit !) faire appel à d’autres. Pour une mise en œuvre réussie de l’autorité éducative, il importe d’abord de distinguer les situations qui relèvent de la responsabilité du professeur dans sa classe et qu’il doit traiter seul, de celles d’un niveau de gravité supérieur qui requièrent l’intervention d’un tiers, donc la collaboration entre professionnels. Cela suppose une réflexion de l’équipe éducative en entier. Si l’autorité ne se partage pas, un accord entre professionnels sur des procédures claires ainsi qu’une cohérence minimale sur des principes d’action communs favorisent l’exercice de l’autorité de chacun. Enfin, il serait temps de former professeurs et conseillers principaux d’éducation à analyser ensemble ces situations qui les concernent. Dans les ESPÉ telles qu’elles se mettent en place actuellement d’après mes informations, cela est malheureusement loin d’être acquis.