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L’autonomie de l’enseignant

Vous pouvez vérifier. La notion d’autonomie est présente dans tous les projets d’établissements, absolument tous. Leitmotiv qui traduit mieux que n’importe quel argument l’urgence de la question du sens à l’école et les difficultés que nous avons à y répondre. La plupart de ces projets proposent des pistes ; ils reviennent sur le principe de l’individualisation du parcours de l’élève, sur la nécessité de lui proposer des contenus signifiants, présentés sous forme contractuelle et si possible interdisciplinaire ; on tente d’homogénéiser la façon dont il est évalué, on prend des initiatives pour le faire participer à un fonctionnement le plus démocratique possible de l’établissement, de la classe.

Cette recherche d’autonomie chez les enfants et les adolescents scolarisés, cette quête quasi obsessionnelle face à trop d’attitudes passives, consuméristes, serviles chez certains de nos élèves n’est pas anodine. Mais le plus surprenant est que cette réflexion omniprésente à propos de l’autonomie de l’élève n’est jamais accompagnée d’une réflexion à propos de l’autonomie de l’enseignant. Or, nous partons du postulat selon lequel l’autonomie de l’enseignant et celle qu’il va développer chez l’élève sont en interaction.

C’est à partir de ce constat que l’idée du présent dossier a pris naissance. De plus, le statut particulier de l’enseignant, fonctionnaire dans une institution fortement hiérarchisée, nous a interrogés quant à ses possibilités réelles de répondre aux injonctions ministérielles l’incitant à faire preuve d’autonomie et à favoriser celle des élèves. Or, vouloir rendre l’élève « acteur » n’exige-t-il pas que l’on soit au clair sur sa propre autonomie en tant qu’enseignant ? Comment s’exerce-t-elle ? Quelles formes prend-elle ? Quelles en sont les particularités et les limites ? L’autonomie de l’enseignant peut-elle se confondre avec l’indépendance, avec la liberté illusoire de celui qui, refermant la porte de sa classe, croit qu’il n’a de comptes à rendre à personne ? Creuser ces pistes amène vite à découvrir les ambiguïtés inhérentes au concept d’autonomie et aux problèmes qu’il soulève dans le cadre de la fonction enseignante C’est ce qui sera ici traité dans la première partie du dossier. On lira en particulier dans ce volet, concernant cette problématique, les articles de Michel Tozzi, Philippe Perrenoud et Richard Etienne qui tous trois soulignent les tensions contradictoires auxquelles les enseignants sont confrontés par leur statut et leurs aspirations.

La deuxième partie témoigne des interrogations, des recherches et des initiatives des enseignants pour exercer leur autonomie pédagogique dans le cadre des lois, des règles et des références institutionnelles. Comment faire pour orienter leurs pratiques vers plus d’autonomie pour les élèves. L’autonomie est donc un processus, une conquête quotidienne qui s’incarne dans des démarches, des choix, des convictions et des valeurs qui sont autant de devoirs de résistance à une soumission passive et applicationniste de contenus définis ailleurs. Ici, Pierre Madiot, Daniel Comte et Chantal Bonne-Dulibine, entre autres, montrent en quoi l’enseignant, au quotidien, peut rester acteur de ses choix et de ses orientations pédagogiques et refuser de n’être qu’un agent.

Enfin on ne peut poser ces questions sans les mettre en relation, dans une troisième partie, avec la formation des enseignants, qui au-delà des contenus didactiques devrait les amener à sortir du « flou artistique » (Perrenoud) qui entoure leur profession. Il serait absurde de prétendre qu’il existerait une formation spécifique à l’autonomie. Cependant les conditions et contenus des modules de formation peuvent favoriser un état d’esprit propice à la prise d’autonomie par les enseignants et les aider ainsi à sortir des modèles « conformants » qui installent des attitudes de dépendance.

Au cours des « Journées d’automne » du CRAP, à Nantes en novembre 1999, on a débattu du thème de l’autonomie de l’enseignant, de l’élève, de l’établissement. La réflexion d’un des ateliers nous a paru poser la question de l’autonomie dans toutes ses dimensions éducatives : « Dans ses espaces sociaux que sont la classe, l’équipe et l’établissement, l’autonomie suppose une élaboration progressive de règles par les acteurs eux-mêmes, et donc l’opportunité de remettre en cause ces règles, de questionner les lois en fonction de valeurs égalitaires et démocratiques dont chacun est en même temps le porteur et le porte-parole… Elle est négociations, échanges, marchandages et conflits. »

Jacqueline Castany, Professeur honoraire de lettres.
Jacques Méard, Formateur EPS à l’IUFM de Draguignan (Var).