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Marie Bonhoure-Marsillach a amené dans le Nord son accent du Sud et ses inspirations catalanes, celle des Castells notamment, ces pyramides humaines où l’équilibre dépend de la place de chacun, de sa concentration et de la complémentarité entre tous. Elle promène sur la vie ses pinceaux, ses couleurs, ses convictions aussi où le partage et la générosité s’imposent en teintes dominantes. « Je ne savais pas comment transmettre cela » nous dit-elle. Elle a tenté de le faire par des cours pour des adultes où les attitudes de consommateurs plus que d’acteurs l’ont lassée. Alors, elle s’est dirigée là où l’art est essentiel, comme une bulle d’oxygène dans un univers qui en est privé, vers les milieux où il permet de respirer, de se construire, d’exister à l’égal des autres.

Depuis, dans les classes relais, dans les centres de loisirs des quartiers défavorisés, à l’école de la deuxième chance ou à l’hôpital, elle déplace ses outils et son savoir pour les partager, en faire ensemble œuvre utile. Son site est une invitation à voyager en couleurs de réalisation en réalisation, qui chacune raconte une histoire de rencontre, de découverte, de création. L’unité gériatrique de l’hôpital d’Armentières a ouvert ses portes aux élèves de l’école de la deuxième chance. Ensemble, ils ont créé une composition faite de fleurs en mosaïque qui sera installée dans le jardin.

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Des binômes sont constitués autour de la table pour composer une partie, un jeune qui un jour peut-être travaillera dans le secteur de l’aide à la personne, une personne âgée dont la mémoire parfois défaille mais dont les mains sont solides. Tous les deux sont dans des structures à part, de celles qui accueillent ceux qui trébuchent. Ensemble, ils doivent respecter les règles de conception de la mosaïque et créer une partie d’une œuvre harmonieuse qui sera exposée, partagée avec les patients et les passants. Ailleurs, dans un autre hôpital, la conception collective d’une fresque par le personnel pour décorer le self fait partie d’un programme pour l’amélioration du bienêtre au travail.

Avec les élèves de l’école de la deuxième chance, elle a aussi conçu une sculpture en hommage aux donneurs d’organe et à leur famille pour un lieu de mémoire qui n’existait pas encore. Faire œuvre citoyenne, l’ambition renforce encore la portée du travail, la confiance en soi qu’il redonne est décuplée lorsque les familles des donneurs viennent se recueillir, les remercier. Au dispositif relais du collège Rabelais, elle intervient pour la deuxième année consécutive. Cette fois, les élèves réaliseront de grands mandalas, des cercles colorés qui recèlent des trésors cachés. « Ça les amène à autre chose, à se poser, à être calmes, détendus ».

L’artiste apprécie particulièrement de travailler avec ceux dont le parcours scolaire est sur le fil, enfants phobiques, enfants perturbés, dont la vie est difficile, écartés un temps d’un cursus normal. Elle rend hommage au passage à leur enseignante et assistante pédagogique pour ce doux mélange entre exigence et compréhension dont elles font preuve, elles dont le travail nécessaire n’est à son goût pas assez reconnu et soutenu par l’institution. Leur complicité, leur appui est indispensable pour que la confiance qu’elles recueillent auprès des élèves se propage dans la réalisation de l’œuvre collective.

A chaque fois qu’une intervention s’achève, elle fait le bilan avec les élèves. Elle leur demande décrire ce qu’ils ont découvert en précisant qu’elle ne prendra pas garde aux fautes d’orthographe, aux difficultés d’expression. « J’ai découvert qu’on pouvait utiliser des matériaux différents, créer, utiliser plusieurs couleurs », « j’ai passé des moments formidables avec mes camarades », « j’ai remarqué que j’étais plus calme, plus attentif ». Un élève exprime son envie de devenir carreleur mosaïste. Ce qu’elle lit la ravit, renforce son envie de poursuivre, d’aller plus loin encore. Une heure trente par semaine, cela n’est pas grand-chose à ses yeux, juste une petite goutte d’eau amenée pour leur confiance en eux, leur créativité, leur ouverture. Elle pressent aussi dans leur confiance qu’ils ressentent qu’elle a été l’un d’eux, comme eux, une élève perdue à l’école que le dessin et le sport ont aidée à surmonter les difficultés, que ce fil les relie mieux encore que les carrés de mosaïque et les pots de couleurs. Alors, chaque fois, à son tour, elle apprend de ce partage.

L’éducation est sa prairie, la mer du Nord l’horizon qui la rassure et la Catalogne, l’univers qui l’inspire. Et les trois, sous son regard, se marient dans les projets qu’elle anime dans des lieux que l’art semble avoir délaissés. La mosaïque pour cela est magique. Elle part de rien, se remplit petit à petit, sans que jamais il n’y ait de vide. Chacun peut prendre sa part. Marie Bonhoure-Marsillach veille à laisser une place aussi à la liberté de faire, de ne pas faire. Dans ses interventions en centre de loisirs, elle remarque ces enfants qui n’ont pas choisi d’être là dès huit heures du matin, qui ne sont peut-être pas d’humeur ou d’envie de participer. Alors elle aménage un coin avec des livres et regarde avec délice les récalcitrants venir peu à peu avec plaisir se mêler à la création collective.

Elle apprécie les mélanges de publics, les mains et les imaginaires inconnus qui se mêlent pour construire ensemble. Comme ces apprentis en CAP « gestion des déchets » et des traumatisés crâniens en résidence dans un centre spécialisé qui ont créé en binômes des sphères, une « expérience hypervalorisante » pour les uns et les autres nous dit-elle. Elle peaufine, avec sa ville, Villeneuve d’Ascq, pour l’été prochain un projet qui rassemblera des enfants des centres de loisirs et des enfants en situation de handicap pour « vivre ensemble malgré nos différences ».

Elle s’adresse aussi aux familles avec des animations lors de journées thématiques. A Villeneuve d’Ascq, lors de la manifestation « entre lacs », un public familial est venu composer une œuvre collective et éphémère avec des poissons. Les participants sont repartis avec un poisson. Avec une association de Roubaix, elle interviendra auprès de familles en grande difficulté. Pour elles sans doute, la décoration n’appartient pas à leur préoccupation première. Encore une fois, il s’agira de surprendre, de proposer un temps d’évasion en réalisant ce qui semblait lointain, inaccessible.

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A chaque fois ce sont des belles expériences. L’artiste s’adapte, prépare soigneusement les matériaux, facilite leur utilisation et accompagne plus ou moins dans la création en fonction des publics, des temps disponibles. L’utilité de son travail est indéniable pourtant il nécessite en préalable la recherche de crédits de plus en plus ténus. Dans le Nord, elle trouve des collectivités territoriales, des structures éducatives avec qui elle partage des valeurs de solidarité qui voient dans ses couleurs une beau chemin pour vivre ensemble. Pourtant, elle ne peut encore délaisser son bâton de pèlerin pour montrer et démontrer encore que l’art ensemble est nécessaire partout et surtout dans les lieux qu’il délaisse.

Lorsqu’on parcourt le site de Marie Bonhoure-Marsillach, on est saisi par la beauté des œuvres ainsi créées en collectif. On imagine sans peine les binômes en action, les créations qui émergent, les mosaïques qui se construisent, les chemins qui s’éveillent. L’art par son action est un bien commun, un fruit de solidarité, une fleur de et pour l’éducation. Alors, on a simplement envie d’applaudir et de clamer « bravo l’artiste ! ».

Monique Royer

Le site de Marie Bonhoure-Marsillach

 

La mosaïque prend le relai

 

« La mosaïque, ce n’est pas ennuyeux, ça me plait bien. ». « Moi, au début je n’aimais pas trop. Et puis j’ai appris à aimer ça, j’ai appris à utiliser le matériel. » Sarah et Mohammed parlent ainsi du projet de mosaïque dans lequel intervient Marie Bonhoure-Marsillach en classe relai au collège Rabelais de Mons-en-Baroeul.

Dans cette classe, les élèves restent en principe dix semaines, et jusqu’à trente semaines. « Ils sont là pour des problèmes aussi divers que la phobie scolaire, l’absentéisme, des problèmes liés à l’attention ou au comportement. », précise Mme Lepetit, responsable de la classe avec Mme Raguet. D’où un travail individualisé : « Un groupe accueille des élèves de la 5e à la 3e et marche bien à six élèves. Au-delà, les difficultés de chacun sont impossibles à accompagner correctement. »

Cette année, la classe réalise une deuxième fresque, qui rassemblera les éléments réalisés individuellement par les élèves. Ricardo travaille sur son élément depuis trois semaines : « J’ai dessiné le modèle sur une planche de bois, j’ai choisi les motifs et couleurs avec mon copain Alexis. Et on l’a fait ensemble. ». Et Steve de poursuivre, sans arrêter de découper et coller ses petits carreaux bleus : « J’avais vu le modèle quelque part, il me plaisait bien. Et j’ai choisi les couleurs. » Marie Bonhoure explique le silence étonnant qui règne dans la salle de classe : « Le travail de la mosaïque est lent, demande de se poser. Le graphisme et la technique amènent à se calmer, à se concentrer. D’autant que tout est prévu dans le déroulement d’une séance pour éviter la dispersion… » Dans cet espace protégé où les choses se rejouent, tout est calme.