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Journal d’une enseignante. Une approche originale pour découvrir les grands pédagogues

Cet ouvrage est une fiction pédagogique. Les auteurs choisissent de rédiger un journal professionnel fictif d’une enseignante nommée Ellen (un clin d’œil est fait à la pédagogue suédoise Ellen Key, Le siècle de l’enfant, 1900) débutante dans le métier qui se trouve aux prises avec toutes les complexités de l’agir pour nous faire redécouvrir le riche patrimoine professionnel et pédagogique, trop oublié, et richement composé des apports-clefs de praticiens, psychologues, philosophes, sociologues, et pédagogues de hier et d’aujourd’hui, vingt-deux au total.

Ellen se pose des grandes questions professionnelles, regroupées par les thèmes centraux du travail enseignant,  dont nous retenons  quelques citations glanées au fil de la lecture, comme signes d’encouragement à lire de plus près ce journal professionnel et la manière de problématiser le métier.

Le premier axe cible la première rentrée scolaire d’Ellen. Elle dialogue intérieurement à la recherche des méthodes les plus sûres , en s’inspirant largement de Johann Heinrich Pestalozzi (« Tout apprentissage passe par les sens et doit rester ancré dans le vécu le plus immédiat de l’enfant », p. 27 ; « Que chacun se fasse œuvre de soi-même », p. 29), Célestin Freinet (« Il n’y a plus techniquement d’une part, sensibilité et intelligence d’autre part » ou « ce n’est pas le jeu qui est naturel à l’enfant mais le travail », p. 35), Léon Tolstoï (« Toute instruction sérieuse s’acquiert seulement par la vie », p.49), John Dewey (« learning by doing » ou «  l’école organise donc « un mode d’activité », de la part de l’enfant, qui reproduit un type de travail exercé dans la vie sociale parallèle », p. 53), Jean-Ovide Decroly («  Le programme doit tendre à l’unit en ce sens que toutes ses parties doivent se tenir entre elles, former un tout indivisible», p. 63).

Le deuxième axe concerne l’organisation du travail scolaire. Ellen devient un ajusteur de cette organisation.  Sont évoqués Maria Montessori (« L’utilisation des nombreux matériels variés dont il dispose pour les diverses opérations mathématiques permet à l’enfant d’avoir plusieurs approches différentes d’une même thème central (…) », p. 75), Roger Cousinet (« Maître et élèves se conforment pareillement à l’ordre et obéissent pareillement à la loi. Maitre et élèves vivent dans un monde organisé et réglementé », p. 83), Philippe Meirieu (« Il serait vain de concevoir l’organisation d’un groupe de telle sorte qu’elle contraigne chaque individu à y participer si, dans le même temps, l’on ne s’assurait pas qu’ils y disposent chacun des moyens nécessaires à cette participation», p. 86).

Dans le troisième axe, Ellen s’intéresse de près à ce qui se passe dans la tête des élèves en vue de devenir « une jardinière » d’éducation. Elle dialogue à partir de Gaston Bachelard (« J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l’erreur, de l’ignorance et de l’irréflexion », p.101), Lev Vygotski (« Ce qui est incompréhensible, c’est presque toujours non le mot lui-même mais le concept exprimé par le mot. Le mot est toujours prêt lorsque le concept l’est », p. 109), Jean Piaget (« L’action constitue une connaissance autonome, dont la conceptualisation ne s’effectue que par prises de conscience ultérieures », p. 120), Pierre Bourdieu ( « Si le sociologue a un rôle, ce serait plutôt de donner des armes que de donner des leçons », p. 128) et les apports des « neurosciences sur l’éducation, la variété des parcours cognitifs et la singularité du cerveau de chacun » (Stanislas Dehaene et Olivier Houdé, p. 145).

Dans le quatrième axe, Ellen, se compare à l’artiste Bartabas, dont les ingrédients  sont indispensables – « tact, fougue et intuition » (p. 192) – pour développer le comportement et le savoir-être à l’école. Et de se référer à  François Rabelais (« Bonne éducation corrige un mauvais naturel », p. 158), Alexandre Neill (« La discipline scolaire, quand elle est bonne, peut ressembler à celle de l’orchestre. Trop souvent, elle ressemble à celle de l’armée », p. 160 ), Michel de Montaigne (« Il vaut mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine », p.166), Janusz Korczak (« N’oubliez jamais comment bat le cœur d’un enfant qui a peur », p. 176), Henri Wallon (« Il – l’enfant – apprend à se conduire comme une personne parmi ses semblables, avec la volonté desquels il peut avoir à composer d’où résulte pour lui la possibilité d’épanouir toute une variété nouvelle de conduites sociales », p. 184) et Antoine de Saint-Exupéry (« Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te juger, c’est que tu es un véritable sage », p. 190).

Selon le cinquième axe, Ellen s’intéresse aux valeurs, aux dilemmes et routines qui traversent les pratiques enseignantes. Elle devient à son tour un peu plus philosophe en suivant certaines thèses de Nicolas de Condorcet (« L’esprit des lois à cet égard est ne blesser ni de gêner les opinions religieuses d’aucun citoyen » ou « La possibilité d’abuser de la liberté ne donne pas le droit de la gêner », p.200), Joffre Dumazedier (« Par-dessus tout, [le professeur] doit initier tous les élèves à un art permanent du questionnement de la vie quotidienne, à tout âge, en tout condition sociale », p.212), Jacky Beillerot (« Pédagogies qui se veulent moins impositives, moins autoritaires, qui acceptent, voire provoquent des débats avec ceux qui doivent apprendre », p. 219) et de Daniel Hameline (« Qu’est-ce que la pédagogie ? Un lieu d’élection pour la dispute, un révélateur de la discordance, un opérateur pour la disjonction », p. 230).

Le sixième axe se concentre plutôt sur le langage de la pratique et le langage scientifique, sur leurs articulations, et leurs complémentarités.

Cette rencontre fictive entre l’enseignante débutante Ellen et tous ces pédagogues invite le lecteur à aller plus loin, à découvrir davantage ce qui constitue le patrimoine pédagogique, tout en continuant à le faire dialoguer avec la complexité du métier dans notre quotidien des écoles. Les réponses pédagogiques ne sont pas toutes faites, toutes prêtes, mais les questionnements qui s’imposent aux enseignants, bien qu’ils puissent paraitre anciens, sont révélés d’une manière inédite lorsque la volonté est forte de démocratiser l’école au plus grand nombre.

Andreea Capitanescu Benetti