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«Je suis inspecté lundi»

L’inspecteur qui s’annonce pour une visite éclair en classe, faisant généralement trembler l’enseignant, est-ce une situation répandue ?

Rémi Thibert : Pas du tout. En France, cette situation existe parce que l’on estime que la qualité de l’enseignement dépend de l’enseignant. Le système français est en règle générale plus centré sur l’individu qu’ailleurs : le travail collectif n’est valorisé ni pour les élèves ni pour les professeurs, et le leadership est très axé sur le charisme du chef d’établissement. C’est donc aussi la raison pour laquelle les inspections individuelles sont la norme. Mais la France fait figure d’exception dans le domaine : partout ailleurs depuis les années 80, les inspections individuelles ont cédé le pas aux inspections d’établissement. En effet, l’établissement est généralement l’échelon privilégié pour s’assurer de la qualité de l’enseignement. C’est le cas des pays du Royaume-Uni, qui ont donné le la pour beaucoup d’autres. Le Danemark, lui, avec un système éducatif très décentralisé, accorde une très grande confiance aux autorités locales (municipalités) et à l’école. Certains pays (Finlande, Estonie) n’ont même plus de système d’inspection externe. Les inspections d’établissement sont souvent liées à une auto-évaluation interne. Elles sont suivies d’un rapport qui est généralement rendu public et elles ont pour but l’amélioration de la qualité de l’éducation et l’assurance que l’établissement gère bien ses responsabilités. Pour évaluer cette qualité, la tendance est au pilotage par les résultats : on détermine la qualité de l’éducation dispensée dans un établissement en fonction des résultats obtenus par ses élèves, même si ces données peuvent être pondérées par des critères relatifs à l’environnement : social, géographique, etc. Quant à la gestion des responsabilités de l’établissement, c’est ce qu’on appelle la «reddition de comptes» (accountability en anglais) : l’établissement doit rendre des comptes à sa tutelle sur ses résultats plutôt que sur les moyens mis en œuvre. L’évaluation pourra alors avoir des répercussions sur l’établissement : il peut s’agir de recommandations à suivre, de la rédaction d’un plan d’amélioration avec des objectifs précis à atteindre, mais il peut aussi y avoir des sanctions qui affectent soit l’établissement, soit les responsables : diminution de ressources, retrait de certaines prérogatives, amendes ou encore renvoi de personnel.

Est-ce que l’enseignement est réellement gagnant dans ce fonctionnement ?

Ces inspections sont d’autant plus efficaces qu’elles se font de façon transparente, dans un cadre national et standardisé, et que le rapport fait l’objet d’un suivi attentif pour ce qui concerne l’organisation, les objectifs, etc. Des inspections complémentaires existent, qui permettent d’espacer les inspections globales ou encore d’apporter un autre éclairage. Ainsi, on verra des inspections thématiques sur la qualité de l’éducation dans une discipline donnée, sur un niveau de classe ou encore sur un type de formation, mais aussi sur l’encadrement, le leadership, la prise en compte du handicap, l’inclusion scolaire, les enfants nouvellement arrivés en France (Enaf) ou l’évaluation. Un autre type d’inspection complémentaire sert à évaluer le «risque» de l’école quant à la qualité de l’éducation. Une école est considérée comme étant «à risque» si, compte tenu du public qu’elle accueille et de ses spécificités, les résultats aux évaluations sont en deçà de ce qu’on pouvait supposer. Aux Pays-Bas, ce risque tient compte des résultats et du contexte de l’école ainsi que des problèmes signalés par les personnels mais aussi les parents. Une inspection complète est alors prévue pour les écoles dites «à risque». Beaucoup préconisent un cycle d’inspection compris entre trois et cinq ans. Pour autant, il semble que les inspections aient des effets très limités. C’est dans l’articulation entre l’inspection, la direction, mais aussi les partenaires extérieurs et les autorités (locales ou non) que va se jouer la qualité de la démarche. L’évaluation est plus efficace si les évalués sont réceptifs et si l’évaluateur est à l’écoute de l’évalué. Les inspections peuvent être élargies à d’autres acteurs (partenaires, parents, associations, etc.) ; parfois les pairs sont sollicités (par exemple avec des collègues d’une même discipline, mais venant d’un autre établissement).

Alors, «Je suis inspecté lundi !», c’est bientôt fini ?

Je ne pense pas qu’il soit envisageable de passer d’un extrême à l’autre. Mais l’inspection peut davantage jouer un rôle d’aide et de soutien pour les enseignants, surtout dans une période où leur travail évolue autant. Et les inspecteurs pourraient aussi être associés à l’évaluation globale de l’établissement.

Rémi Thibert
Chargé d’études et de recherche au sein du service Veille et Analyses de l’Ifé